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les principales: On nous annonçait fréquemment que les troupes autrichiennes, tantôt au nombre de cinquante-six mille hommes, tantôt de cent mille, devaient descendre incessamment dans les Pays-Bas, sans compter les Hollandais qui y arrivaient pour garder les villes qui étaient presque toutes patriotes; et que, bientôt après leur arrivée, on formerait des camps aux environs de Mons, Ath et Tournai, et que même il y en aurait un dans la grande plaine de l'abbaye de Cambron. Cette abbaye est à trois quarts de lieue de Lens elle est superbe et riche. Son revenu est de cinq cent mille livres, et le nombre des moines monte à quarante.

« Quelquefois on faisait courir le bruit que le roi de Prusse était en marche avec trente à quarante mille hommes, et qu'ils étaient dans le Brisgaw, où, depuis quatre à cinq mois, les journaux les cantonnaient; que le roi de Suède, à la tête de quinze à vingt mille Suédois, avançait à grandes journées. On n'omettait pas de nous débiter aussi l'arrivée prochaine de dix-huit à vingt-quatre mille Russes, et de dix à douze mille Tartares : ces derniers devaient venir quelquefois par terre, quelquefois par mer, et débarquer à Ostende.

<«< Huit jours avant notre départ, nous apprîmes que l'empereur avait été empoisonné le 20 février par son valet de chambre et le nègre du duc d'Orléans, et qu'il était mort le 1er mars. On répandit le bruit que ces deux scélérats avaient été arrêtés et qu'ils avaient deux autres complices; que le sieur Delacroix, ambassadeur de l'Assemblée nationale, était sorti de Vienne, à pied, dès qu'il avait été instruit de cet empoisonnement; que l'archiduc, fils de l'empereur, avait été également malade du poison, mais qu'on s'en était, fort heureusement, aperçu à temps; que le contre-poison avait eu un bon effet, et que même il était entièrement guéri, et était dans les dispositions les plus favorables pour les émigrés. Le bruit courut, également, que tous les ambassadeurs de l'Assemblee nationale, dans les autres cours, s'en étaient retirés; que deux ou trois jours avant la

mort de l'empereur, on avait promené à Paris sa tète et celle du roi d'Espagne, sur des piques, et jusque sous les fenêtres du roi et de la reine; et que le projet des abominables monstres de France était de faire subir le même sort à tous les potentats de l'Europe, ensuite aux princes et chefs des émigrés, et à ces derniers après.

« Le 24 mars, départ, journellement annoncé, tant désiré, et enfin arrivé pour aller coucher sur la paille au petit bourg de Senef. Le 25, j'arrivai à Nivelle, où étaient cantonnés les gentilshommes normands, et après diner je fis quatre ou cinq lieues pour aller coucher encore sur la paille dans le petit bourg de Sombref. Le 26, j'arrivai avant les autres à Namur, grande ville, place forte avec un bon château sur une montagne escarpée de tous côtés, au confluent de la Sambre et de la Meuse. A la porte de la ville, on me fit entrer dans un bureau pour y donner mon nom. Dès que l'officier de garde me vit, il me demanda d'où je venais et de quel cantonnement j'étais, ensuite il me laissa entrer dans la ville. Après dìner, je m'embarquai avec cent autres émigrés ou environ, pour Huy, petite ville sur le bord de la Meuse. Le 27 à midi, nous nous embarquâmes de nouveau sur la Meuse pour Liége, où nous devions séjourner d'après le consentement de M. de la Châtre. Une liet e avant d'y arriver, nous fùmes obligés de débarquer, vu que le bateau était chargé. Nous traversàmes la ville de Liége, dont les rues me parurent assez belles, pour aller à deux lieues et demie coucher sur la paille dans un trèspetit village, nommé Fay, sur le bord de la grande route. Le 28, de Fay je fis route pour Spa, petite ville jolie, où sont des promenades très-belles et très-agréablement variées pour les personnes qui prennent les eaux, ainsi que des redoutes superbes pour les bals, concerts et autres divertissements. Nous y séjournâmes deux jours et demi. Pendant mon séjour, j'y ai vu passer beaucoup d'émigrés du cantonnement d'Ath et d'Enghien pour Stavelot et Malmedy, deux petites villes à trois licues de Spa. Les volontaires d'Enghien étaient dans cette dernière.

<«< Durant la route, nous avons été payés 1 1. 10 s. par jour:

ainsi, depuis le 24, jusque et compris le 31, j'ai dépensé 12 liv. de l'argent des princes, et 24 liv. de ma bourse.

« Le 31 mars, nous partìmes de Spa pour Stavelot, où nous arrivȧmes le même jour à dix heures, et où nous trouvâmes trois compagnies d'officiers d'infanterie du cantonnement d'Ath. Pendant notre séjour dans cette ville, nous apprìmes que le roi de Suède avait été tué au bal, d'un coup de pistolet. Cette mort me parut affliger les émigrés; et c'était une perte réelle pour nos princes, par le mouvement qu'il se donnait auprès des autres puissances pour en déterminer au moins une a déclarer au plus tôt la guerre. Il se disposait à venir iui-même à notre secours; et en mourant, il recommanda au duc de Sudermanie, son frère, régent actuel de la Suède, de se joindre aux puissances et de seconder nos princes. On n'a pas su ce qui avait donné lieu à cet assassinat rien n'a transpiré de l'interrogatoire de l'assassin, et cette affaire a été étouffée, ce qui a donné lieu de soupçonner qu'il y avait des grands, tant de la Suède, que peut-ètre d'ailleurs, compliqués dans cette affaire. Nous avons demeuré quinze jours à Stavelot. Les étrangers ne manquent pas d'aller voir une belle cascade qui est à une lieue de la ville. C'est une rivière assez forte qui se partage, et dont la chute est de 25 à 30 pieds.

« Le 16 avril, nous partîmes de Stavelot pour Hillesheim, petit bourg entouré de vieux murs en ruines, brùlé deux fois par Louis XIV, et situé dans le pays de Trèves, où notre cantonnement fut enfin fixé. La compagnie s'y rendit en deux jours.

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<<< Dans le courant de juin, il fut mention, dans notre cantonnement, que les MM. de Wittech allaient faire un prunt; mais la division qui régnait parmi MM. de Wittecn et ensuite entre ceux-ci et les MM. d'Oudenarde, et la solida rité qu'on exigeait firent manquer l'emprunt.

« A Hillesheim comme à Lens, on nous berçait de bonnes nouvelles; on nous annonçait continuellement l'arrivée des Prussiens. Enfin, le 2 juillet, ils commencèrent à paraître, ainsi que les Autrichiens, aux environs de Coblentz; et du

20 au 25, l'empereur et le roi de Prusse se rendirent dans cette ville. Le duc de Brunswick fut nommé généralissime des armées combinées, et fit une déclaration le 25 dudit mois de juillet, par laquelle il annonçait que le but principal était de faire cesser l'anarchie dans l'intérieur de la France, d'arrêter les attaques portées au trône et à l'autel, de rétablir le pouvoir légal, de rendre au roi la sûreté et la liberté dont il était privé, et de le mettre en état d'exercer l'autorité légitime qui lui est due. Il assurait que les deux cours alliées ne se proposaient que le bonheur de la France, sans prétendre s'enrichir à ses dépens par des conquêtes, ni s'immiscer dans son gouvernement intérieur. II menaçait la ville de Paris et tous ses habitants, sans distinction, d'une exécution militaire, et d'une subversion totale, s'ils faisaient la moindre violence et le moindre outrage à leurs Majestés le roi, la reine et la famille royale ; et s'ils ne pourvoyaient immédiatement à leur sûreté, à leur conservation et à leur liberté, etc.

«Les 27 et 28 dudit mois, le roi de Prusse passa en revue les troupes qui s'étaient rendues aux environs de Coblentz. Ledit jour 28, le duc de Brunswick fit une déclaration 1 additionnelle à celle du 25, par laquelle il déclara en outre que si, contre toute attente, par la perfidie ou la lâcheté de quelques habitants de Paris, le roi, la reine, ou toute autre personne de la famille royale étaient enlevés de cette ville, tous les lieux et villes quelconques qui ne se seraient pas opposés à leur passage, et n'auraient pas arrêté la marche, subiraient le même sort qui aurait été infligé à la ville de Paris, etc.; que la liberté du choix de sa Majesté très-chrétienne, pour le lieu de sa retraite, serait effectuée sous l'escorte que leurs Majestés impériale et royale ont offerte, etc.

« Quelques jours après, j'appris que l'armée du duc de Brunswick était en marche; que l'armée des princes commençait à défiler aux environs de Trèves, où devait être le camp; que les MM. de Wittech se disposaient à s'y rendre.

1 Voyez le n° 1er des pièces justificatives de ce journal.

« Les émigrés étaient partagés en trois corps d'armée, savoir : l'armée du prince de Condé, qui était destinée à entrer en France par l'Alsace et à attaquer Strasbourg; celle des princes, appelée l'armée du centre, qui était à la suite du roi de Prusse, pour faire son entrée en France par la Lorraine, et qui devait aller à Paris directement, et celle du prince de Bourbon, fils du prince de Condé, qui devait pénétrer par les Pays-Bas et attaquer Lille, en Flandre.

« Le 15 août, un aide de camp nous avait apporté, le matin, un ordre de partir le lendemain pour l'armée du prince de Bourbon, et nous devions retourner à Liége ou à Huy; mais le soir, il arriva un ordre des princes de nous rendre à Trèves, et de là au camp de Saint-Maximin; ce qui déconcerta notre capitaine.

« Nous partìmes le 18 de Trèves, vers les huit heures du matin pour Grevenmachen, ou Grevenmaker. L'armée des princes, qui y arriva en même temps que nous, avait, depuis trois semaines, campé deux fois à Saint-Maximin et Penbren, à trois ou quatre lieues de Trèves. La compagnie n'eut pas de tentes; elle coucha à la belle étoile, et fort heureusement la nuit ne fut pas mauvaise. Le 19, de Grevenmaker nous nous rendîmes au bourg de Statbredimus ou Bredemie. La pluie commença une heure après notre départ, fut abondante et rendit la marche pénible; notre compagnie n'eut pas encore de tentes ce jour-là, mais le lendemain. Ce camp tint dix jours.

« Le 22, Monsieur nous annonça la prise de Longwy, en nous disant que les patriotes n'étaient pas si terribles, et qu'on en viendrait à bout. Ah! comme il se trompait dans son attente, qui fit éclater la joie et l'espérance sur tous les visages! Les princes visitèrent le camp deux fois, et le comte d'Artois avec ses deux fils, le lendemain de leur arrivée ; on nous mit toutes les fois sous les armes devant nos tentes.

« Le 29, de Statbredimus à Roussy, par Bodemaker, petite ville fortifiée : c'est le jour de notre entrée en France. Nous nous mêmes en marche avec beaucoup de satisfaction, la joie la plus complète peinte sur tous les visages. Nous

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