si fin qu'elles sémoussent dès les premiers coups et ne deviennent propres qu'à servir d'ornement. La mort de Paul Ier eut de l'influence sur le sort de la plupart des émigrés qui habitaient la Prusse. Alexandre, devenu empereur de toutes les Russies, se rappela les gardes du corps de Louis XVIII que son père, dans un de ces emportements qui portaient presque toujours l'empreinte du caprice, avait renvoyés avec tant de précipitation et tant de rigueur. Le général de Beurnonville accueillit volontiers la note diplomatique qui demandait pour de si dignes serviteurs des passeports qui devaient leur aplanir le chemin de la patrie. Des hommes de guerre qui venaient de rendre par leur conduite témoignage à la constance et à l'énergie de leur fidélité. ne dûrent laisser craindre de leur part aucune tentative contre le gouvernement auquel des circonstances impérieuses les soumettaient. Alexandre fit toucher les fonds suffisants pour que chaque individu se vît en état de regagner ses foyers si la route lui en était ouverte. Frédéric-Guillaume III souhaitait d'être délivré d'une charge sans doute peu pesante, mais qui ne laissait pourtant pas de le contrarier. Le premier consul ne fit point attendre une réponse favorable. Un projet se nourrissait, mais n'était point encore assez mûr, pour annuler la fatale liste d'émigration. Le général de Beurnonville trouva sans peine jour à exercer son obligeance. Sous le prétexte de la rentrée des cent gardes du corps, plus de deux cents exilés volontaires revirent la France. Les permissions à cet égard furent recherchées avec une pressante ardeur. Soit amour de son pays, soit tendresse pour ses parents, soit affection pour ses amis, soit regret de ses habitudes, soit légèreté dans le caractère, soit la réunion de tous ces motifs, l'homme qui avait juré de relever l'autel et le trône ou de recevoir un trépas honorable, se plia sous le joug que lui imposait une amnistie. L'indécision de mes démarches me valut la douloureuse satisfaction de fermer les yeux d'un compatriote qui m'inspirait de l'admiration sans exclure de mon cœur l'amitié. Rivarol suivait une route semée de fleurs, lorsqu'un coup aussi rapide qu'imprévu arrêta sa marche; une maladie grave se déclara, et sur-le-champ l'alarme se répandit parmi les Français. Tous accoururent pour partager l'honneur de le servir et de le veiller. Ses douleurs furent extrêmement vives; il s'écria à plusieurs reprises: «Seul au monde je suis «< capable de résister à des maux si déchirants; par bonheur «mes entrailles sont de bronze. » Dans le cours de sa maladie, qui était une fluxion de poitrine bilieuse, Rivarol fit voir dans ses discours, souvent interrompus par des redoublements douloureux, une sérénité qui donnait la preuve de l'énergie de son caractère et de la noblesse de son âme. « Quelque pénible que soit ma position, disait-il, je ne «< saurais me fâcher contre le lit où j'ai conçu mes plus belles « pensées..... Mes amis, je n'ai jamais couru après l'esprit; il << est toujours venu me chercher. >> Les regrets donnés à la mort de Rivarol furent sincères et unanimes. Chez la princesse Dolgorouki, le comte d'Engestrœm, envoyé de Suède, proposa l'exécution du buste en marbre de celui qui avait fait l'ornement et le charme de leur société. L'homme dont le talent pour la parole tenait presque du beau idéal, dont l'esprit répandait la clarté dans les profondeurs les plus reculées de la métaphysique, dont l'imagination créait des plans magnifiques, soit d'histoire, soit de tragédie, dont la sagacité pénétrait jusques aux sources les moins connues de la grammaire, dont le goût prononçait les arrêts d'une critique si saine, par quelle combinaison un tel homme n'a-t-il qu'imparfaitement répondu au vœu de la nature qui l'appelait à se placer sur la même ligne que Voltaire, Rousseau et Buffon? Quelques écrivains ont arrêté leurs regards sur ce véritable problème. Leurs solutions différent entre elles, mais découvrent des aperçus au moins spécieux. Ce ne sera donc pas sans certaine méfiance que je hasarderai mon opinion à titre de simple conjecture. Les triomphes dans les salons ravirent à Rivarol les succès du cabinet respirant à grands flots l'encens de la louange et couronné de roses ou de myrte par les mains de la beauté, il s'abandonna presque toujours à l'attrait d'une voluptueuse indolence, et ne se livra que par intervalle aux efforts pénibles et soutenus qui seuls permettent à l'ambition d'aspirer à la gloire. Heureux fils, mon père et ma mère me rappelaient; ma femme formait avec tendresse le vœu de remettre dans mes bras nos deux enfants. Je sollicitai donc la permission de revoir la France, et ce fut à cette occasion que je contractai avec le général de Beurnonville les premiers liens de la reconnaissance. Les conseils de la prudence me prescrivirent de ne partir que sur la permission du monarque qui m'avait honoré de ses bienfaits. Je l'obtins en ces termes : « Je trouve assez naturel qu'éloigné si longtemps de votre <«< patrie, vous usiez de la permission qu'on vous donne pour << aller retrouver votre famille et veiller quelque temps à << des intérêts trop négligés. Je vous accorde à cet effet un «< congé d'un an. Les motifs qui vous méritèrent quelque « part à mes bienfaits vous assurent qu'ils ne vous seront << point retirés, et qu'à votre retour au terme fixé par vos «propres vœux, les mêmes marques d'intérêt vous atten« dent. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et «< digne garde. « Signé FRÉDÉRIC-GUILLAUME. >> Une fantaisie, frivole sans doute à l'âge que j'avais pour lors atteint, fit que je ne profitai du congé flatteur qui m'était accordé que le 30 juin. Le jour arriva où, le cœur gros de soupirs et les yeux humides de larmes, je jetai mes derniers regards sur Berlin. Cité magnifique, dans ton sein l'industrie, les arts et les talents fleurissent, les vertus hospitalières sont en honneur, et la bienveillance habite. J'y ai coulé six années complètes dont le souvenir ne cessera pas une seule minute de m'ètre bien cher et bien précieux. J'ai trouvé depuis mon retour en France un grand nombre de personnes qui aiment avec une sincère et tendre affection SaintPatern. Toutes désirent de le revoir; ses raisons pour demeurer en Prusse me semblaient assez faibles et me causaient de la surprise. Je me reproche ces deux mouvements. N'aurais-je pas dû soudain sentir que, sensible, reconnaissant et généreux, il veut jusqu'à son dernier soupir arroser de ses larmes la tombe dans laquelle les cendres de son auguste bienfaiteur reposent? Il vit tel que le gardien fidèle d'un inappréciable trésor. PAG. 354-355. Lors d'un éloignement, malheureux pour le roi mourant, et triste pour M. et Mme de Boufflers, j'entretins une correspondance dont le souvenir me flatte et me touche. Les lecteurs ne sauraient être blessés que les sentiments de l'affection et de la reconnaissance me déterminent à placer ici l'une des lettres qu'à cette époque M. de Boufflers m'écrivit : << Posen, ce 28 octobre 1797. « Je sais toutes les obligations que je vous ai, mon très-cher et « plus que digne confrère, et plus je m'y attendais, plus j'en suis « reconnaissant. « Mme de Boufflers, qui se glorifie de votre amitié pour nous m'a a dit qu'il était convenu entre vous et elle que j'adresserais un «<exemplaire au roi avec une lettre à Sa Majesté : ce qui me coûte lui écrire, quoique j'eusse lui exposer. Mais si on d'autant plus que je n'ai pas encore osé « des choses beaucoup plus intéressantes |