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bien choisi, et que si nous le laissions échapper, il ne reparaîtrait plus. J'eus bientôt une autre alarme. Madame de Sourdis venant chez Madame pour la suivre à la messe, on lui refusa la porte du petit Luxembourg; mais j'appris bientôt que c'était une bêtise du suisse. Cela me rassura, et j'attendis d'Avaray pour avoir l'explication de son billet. Cependant je fis réflexion qu'il serait peut-être à propos de noircir un peu mes sourcils pour mieux déguiser ma figure, et en conséquence je mis, à dîner, dans ma poche, un bouchon de liége que je destinai à cet usage.

D'Avaray se fit attendre jusqu'à près de sept heures, et j'avoue que le temps me parut long; car, indépendamment de l'inquiétude que j'avais pour lui toutes les fois que j'en étais séparé, et des derniers arrangements qui nous restaient à prendre, c'était le seul être à qui je pusse parler de l'objet qui occupait toutes mes pensées. Il m'expliqua ce que c'était que le verrou dont il s'était plaint, en me disant que Peronnet, à qui il avait confié la clef du petit appartement, étant venu pour y déposer tout mon costume de voyage, n'avait pas pu y entrer, et qu'il avait cru qu'il y avait un verrou. Nous y courûmes aussitôt, et ayant trouvé le paquet, nous vìmes que Peronnet était entré; ensuite nous essayâmes la clef dans la serrurc, et nous nous assurâmes qu'elle allait bien. Nous nous mîmes ensuite à faire l'inventaire du paquet, que nous trouvâmes bien complet. J'essayai les bottes, qui m'allèrent bien ; nous plaçâmes tout par ordre dans l'endroit où j'avais résolu de faire ma toilette. D'Avaray me promit d'y être à onze heures précises; nous nous embrassâmes de bien bon cœur, et nous nous séparâmes pour ne plus nous revoir qu'au moment de l'exécution. (Il y a, dans tous les soins que d'Avaray s'est donnés, une infinité de détails que lui seul sait bien, parce que lui seul a tout fait; je les laisse à sa relation, que je suis bien sûr qui sera exacte en ce point, mon objet n'étant que de rapporter ce que j'ai fait ou vu, et surtout d'empêcher qu'il ne se rende pas justice sur des points essentiels.)

En sortant de chez moi, d'Avaray fut accosté par un homme que je crois, sur le signalement qu'il m'en a donné, être

Desportes, mon huissier du cabinet, qui lui dit qu'il avait quelque chose de pressé et d'important à lui dire. Il le mena dans le corridor qui conduit du petit au grand Luxembourg, et là cet homme, après un long préambule d'attachement pour le Roi et pour moi, lui dit qu'un de ses amis, homme très-digne de foi, lui avait confié qu'on était venu lui emprunter de l'argent pour faciliter l'évasion de toute la famille royale, qui devait avoir lieu dans la nuit mème; qu'il croyait devoir lui donner cet avis, et qu'il le priait de vouloir bien rentrer sur-le-champ pour me le donner aussi. D'Avaray ne se démonta pas; il lui dit que c'était un des mille et un projet d'évasion et de contre-révolution, dont on berçait le public depuis un an; mais l'autre insista, et il ne put s'en débarrasser qu'en lui promettant de m'en parler le soir même à mon coucher, ou tout au plus tard le lendemain. Cependant il crut la chose assez sérieuse pour m'en avertir; il rentra par mon petit appartement, et vint frapper à la porte de mon cabinet; mais ce fut en vain, j'etais déjà parti pour les Tuileries. Alors il agita en lui-mème s'il ne ferait pas mieux d'y aller aussi, et d'y faire demander, soit la première femme de chambre de la Reine, soit moi-même, pour instruire la Reine ou moi de ce qu'il venait d'apprendre; mais il fit réflexion que cela pourrait faire événement, d'autant plus que s'abstenant depuis longtemps d'aller dans le monde, afin d'éviter les questions, on serait surpris de le voir aux Tuileries, et que d'ailleurs les choses étaient si avancées qu'il n'y avait plus moyen de reculer. Toutes ces considérations le portèrent à garder l'avis pour lui tout seul, à ne pas mème m'en parler avant que nous fussions en sûreté, et à remettre le succès entre les mains de la Providence.

J'avais une impatience d'autant plus grande d'arriver aux Tuileries, que je savais que ma sœur devait enfin, depuis l'après-midi du même jour, ètre instruite du secret qu'il me coûtait de lui garder depuis si longtemps. Je la trouvai tranquille, soumise à la volonté de Dieu, satisfaite mais sans explosions de joie, aussi caline en un mot que si elle eût été instruite du projet depuis un an. Nous nous embrassames

bien tendrement; ensuite elle me dit : « Mon frère, vous avez de la religion, permettez-moi de vous donner une image, elle ne peut que vous porter bonheur. » Je l'acceptai, comme on peut bien le croire, avec autant de plaisir que de reconnaissance. Nous causâmes quelque temps de la grande entreprise; et sans me laisser aveugler par ma tendresse pour elle, je dois dire qu'il est impossible de raisonner avec plus de sang-froid et de raison qu'elle le fit; je ne pouvais pas m'empêcher de l'admirer. Je descendis chez la Reine, que j'attendis quelque temps, parce qu'elle était enfermée avec les trois gardes-du-corps qui lui ont donné, ainsi qu'au Roi, la dernière et malheureuse preuve de leur zèle; enfin elle parut, je courus l'embrasser : « Prenez garde de m'atten

drir, me dit-elle, je ne veux pas qu'on voie que j'ai pleuré. » Nous soupâmes et nous restâmes tous les cinq ensemble, jusqu'à près de onze heures. Quand le moment de la séparation fut venu, le Roi, qui jusque-là ne m'avait pas fait part du lieu où il allait, m'appela, me déclara qu'il allait à Montmédy, et m'ordonna positivement de me rendre à Longwy, en passant par les Pays-Bas autrichiens. Enfin nous nous embrassames bien tendrement, et nous nous séparâmes trèspersuadés, au moins de ma part, qu'avant quatre jours nous nous reverrions en lieu de sûreté.

Il n'était pas onze heures quand je sortis des Tuileries, et j'en étais bien aise, parce que j'espérais que le duc de Lévis, qui me reconduisait ordinairement les soirs, ne serait pas encore arrivé; je le désirais pour deux raisons: 1° Parce que je ne me souciais pas qu'on fit des questions qui, tout éloignées qu'elles fussent, auraient pu m'embarrasser; 2o parce que j'étais dans l'usage de causer assez longtemps avant que de me coucher, et que je craignais, en me couchant tout de suite comme cela était nécessaire, de lui donner quelques soupçons. Mon attente fut trompée; il me fit même remarquer une exactitude dont je l'aurais volontiers dispensé. Je me possédai cependant, et je causai tranquillement avec lui tout le long du chemin. En arrivant chez moi je commençai à me déshabiller; il en parut surpris. Je lui dis que j'avais

mal dormi la nuit précédente, et que je voulais m'en dédommager. Il se paya de cette raison; j'achevai ma toilette, et je me mis au lit. Avant d'aller plus loin, il est bon d'observer que mon premier valet de chambre couchait toujours dans ma chambre, ce qui semblait être un obstacle à ma sortie, à moins de le mettre dans ma confidence. Mais je m'étais assuré, par une répétition faite deux jours auparavant que j'avais beaucoup plus de temps qu'il ne m'en fallait pour me lever, alluiner de la lumière et passer dans mon cabinet, avant qu'il fût déshabillé et revenu dans ma chambre.

A peine était-il sorti, je me levai, je refermai les rideaux de mon lit, et ayant pris le peu d'effets que je voulais emporter, j'entrai dans mon cabinet dont je refermai la porte; et dès lors, soit pressentiment, soit juste confiance en d'Avaray, je ne crus hors du royaume. Je mis dans les poches de ma robe de chambre trois cents louis que j'emportai avec moi, et j'entrai dans le petit appartement où d'Avaray m'attendait, après avoir eu une rude alarme; car, en y entrant, la clef avait refusé de tourner dans la serrure. Mille idées, pires les unes que les autres, lui avaient passé par la tête; enfin il avait essayé de tourner en dedans, et c'était précisément le sens de la serrure. Il m'habilla, et quand je le fus, je me souvins que j'avais oublié ma canne et une seconde tabatière que je voulais aussi emporter. Je voulais les aller chercher. Point de témérité! me dit-il. Je n'insistai pas davantage. L'habillement m'allait fort bien, mais la perruque était un peu étroite. Cependant, comme elle allait tant bien que mal, et que j'étais résolu, dans toutes les occasions un peu importantes, à garder sur ma tête un grand chapeau rond, garni d'une large cocarde tricolore, cet inconvénient ne nous fit pas grand'chose. En traversant le petit appartement, d'Avaray me dit qu'il y avait, dans la cour du grand Luxembourg, une voiture de remise pareille à la nôtre, qui l'inquiétait. Je le tranquillisai en lui apprenant que c'était celle de Madame. Cependant, lorsque nous fùmes sur l'escalier, il me dit d'attendre, et il alla voir si elle y était encore. Ne l'ayant plus trouvée, il revint en me disant : « Come along

with me. Jam ready, » lui répondis-je, et nous allàmes prendre la voiture qui était un vis-à-vis. Le hasard fit qu'en y entrant je me plaçai sur le devant. « Quoi! des compliments? me dit-il. Ma foi, lui répondis-je, m'y voilà. » Il nʼinsista pas; et ayant ordonné au cocher de nous mener au • Pont-Neuf, nous sortìmes ainsi du Luxembourg. La joie de me voir échappé à mes geôliers, joie que d'Avaray partageait bien sincèrement, tournait toutes nos idées du côté de la gaieté; aussi notre premier mouvement, après avoir passé la porte, fut-il de chanter un couplet de la parodie de Pénélope, qui dit : « Ça va bien, ça prend bien, ils ne se doutent de rien. » Nous rencontrâmes, dans les rues, du peuple et unc patrouille de garde nationale. Personne ne s'avisa de venir seulement regarder s'il y avait quelqu'un dans la voiture. Auprès du Pont-Neuf, d'Avaray dit au cocher de nous mener aux Quatre-Nations; nous rencontrâmes notre voiture qui nous attendait entre la Monnaie et les Quatre-Nations, dans l'espèce de petite rue qui forme les angles de ces deux "bâtiments. Le cocher, qui y avait déjà débarqué d'Avaray dans l'après-midi du même jour, crut que c'était là où nous allions, et voulut s'arrêter; mais d'Avaray lui dit d'aller visà-vis du collége, et ce fut là que nous sortimes de voiture. Le cocher demanda si nous étions contents? « Très-contents, répondit d'Avaray, je me servirai peut-être de vous aprèsdemain. » Nous reprimes à pied le chemin de la voiture de voyage; d'Avaray m'avertit de prendre garde de dardiner en marchant. Enfin nous la joignìmes; j'y montai le premier; ensuite Sayer, enfin d'Avaray. Peronnet monta à cheval; nous primes l'accent anglais pour dire d'aller au Bourget, et nous partîmes.

En arrivant au Pont-Neuf, nous fùmes passés par deux voitures en poste, ce qui commença à déplaire à d'Avaray; mais ce fut bien pis quand, après avoir changé de chemin pour les éviter, elles nous repassèrent à la porte Saint-Martin, et qu'il vit qu'elles prenaient la même route que nous: il ne pouvait pas douter que ce ne fût quelqu'un de ma famille, et il pestait en lui-même contre les princes, qui, faute

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