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Victoria, par Bellarmin, et communément par les

autres auteurs. >>

Mais justement, c'est qu'il n'en est point de l'autorité dans l'Église comme de l'autorité dans l'État. Le magistrat, comme le pontife, tire-t-il son pouvoir d'un caractère ineffaçable empreint dans son âme? S'il ne le fait point, si le pouvoir qu'il exerce est une délégation, il existe une différence radicale entre ce pouvoir et le sacerdoce. Inhérent à leur personne, l'évêque, le prêtre ont toujours leur pouvoir, et si la nécessité l'exige, ils peuvent l'exercer en tout endroit et à toute heure. Au contraire, le pouvoir social est séparable de la personne. Le juge perd le pouvoir de juger en cessant d'appartenir à un tribunal; le roi, l'empereur, le pouvoir de gouverner, s'ils abdiquent ou qu'ils soient détrônés. Et encore pour user de ce pouvoir, il leur faut certaines conditions de temps et de lieu. Le juge, par exemple, ne remplit ses fonctions que là où siége la justice et pendant l'audience.

Je demande s'il est permis d'assimiler le sacerdoce à la puissance séculière; et parce que la propriété et l'usage de celle-ci seraient distincts dans l'État, si on doit conclure que la propriété et l'usage du sacerdoce sont distincts dans l'Église. Que s'ils le sont, alors l'usage y est délégué comme celui de l'autorité temporelle l'est dans l'État. Cependant les docteurs de Paris le nient de toute leur force.

<< Il est important de remarquer, dit Legros, que quand l'Église exerce le pouvoir des clefs par les évêques et les curés, ce n'est pas qu'elle le leur communique à proprement parler; c'est Dieu qui donne la puissance de l'ordre à tous ceux qui sont consacrés par une ordination à laquelle il ne manque rien pour la validité. C'est lui aussi qui donne la juridiction aux évêques et aux curés quand l'Église les élit et les institue. Ils entrent dans les droits des apôtres et des disciples envoyés par Jésus-Christ, lorsqu'ils entrent en leur place par une succession légitime. Mais en recevant de Jésus-Christ le pouvoir de gouverner, ils le reçoivent comme ministres de l'Église, pour exercer en son nom ce pouvoir dont la propriété réside dans tout le corps de cette même Église. » Observons en passant que la juridiction est donnée par l'ordination. Plus loin nous le montrerons.

Ainsi les théologiens que nous combattons enseignent sans détour que les pasteurs tiennent immédiatement de Jésus-Christ l'exercice du sacerdoce. Cet exercice leur appartient donc. Comment ne leur appartiendrait-il pas, étant attaché à un caractère identifié à leurs personnes? Or, en quoi la propriété de l'usage d'un pouvoir diffère-t-elle de la propriété de ce pouvoir même ? Pourrais-je avoir la propriété de l'usage de la raison sans avoir une raison en propriété? D'ailleurs l'exercice d'une puissance peut-il être autre chose que

cette puissance s'exerçant ? Qui possède l'exercice possède la puissance. Qui possède la puissance possède l'exercice. Si les pasteurs ont l'usage des clefs, ils en ont le fonds. Si l'Église en a le fonds, elle en a l'usage.

Effectivement on a accusé ceux qui distinguent la propriété de l'exercice, de mettre l'exercice dans le peuple et de réduire les pasteurs à n'être que ses délégués; c'est surtout à l'occasion de la bulle Unigenitus, condamnant cent une propositions des Réflexions morales de Quesnel sur le nouveau Testament. La 90° est ainsi conçue : « C'est l'Église qui a l'autorité d'excommunier pour l'exercer par les premiers pasteurs, du consentement au moins présumé de tout le corps. » Afin de justifier cette proposition, Quesnel et ses défenseurs emploient la distinction que nous attaquons.

« On doit croire, dit La Chambre, que le corps des pasteurs est propriétaire du pouvoir des clefs, à l'exclusion de la communauté des fidèles, et qu'il est faux que les ministres de l'Évangile ne soient que de simples délégués chargés du soin d'en exercer les actes et les fonctions. Personne n'ignore que le sentiment contraire a été condamné à Rome et en France 1 dans les écrits du fameux Edmond Richer, docteur en théologie de la Faculté de Paris et grand-maître du collège du cardinal

1. Paul V. Le cardinal Duperron, archevêque de Sens, à la tête des évêques de sa province, et l'archevêque d'Aix à la tête des évêques de sa province.

Lemoine. M. de Sainte-Beuve, ce professeur de Sorbonne si estimé du P. Quesnel et de ses disciples, était si vivement convaincu que l'opinion opposée à celle dont il s'agit était mauvaise et pernicieuse, qu'il nous apprend lui-même qu'il craignait très-fort 1 qu'elle ne se renouvelât en France à l'occasion de la censure des cinq propositions de Jansénius. L'idée qu'en donne M. Bossuet, évêque de Meaux, si connu dans l'Église par sa pénétration à fixer les dogmes catholiques, est tout à fait propre à en inspirer de l'horreur : elle met, selon lui 2, en pièces le christianisme et prépare la voie à l'antechrist. Richer lui-même, mieux conseillé et mieux instruit, en est venu enfin à une rétractation solennelle, dans laquelle il lui donne les qualifications les plus odieuses et les notes les plus infamantes. Il y dit, en termes formels, qu'elle est contraire à la doctrine de l'Église catholique, exposée fidèlement par les saints Pères; qu'elle est fausse, hérétique, impie et prise des écrits empoisonnés de Luther et de Calvin 3. >>

La Chambre se trompe sur Richer qui concentre la propriété des clefs dans les pasteurs. Nous consacrerons un chapitre à le venger des fausses imputations auxquelles il est en butte depuis trois siècles 4.

1. Journal de Saint-Amour, part. VI, ch. xxvi, p. 522 et 523. 2. Hist. des variations, liv. XV, ch. cxxI.

p. 258.

3. Traité theol. et dogm. sur la bulle Unigenitus, t. II, 4. La mort n'a pas permis à l'auteur d'achever ce dessein. Voir notre Vie de Bordas, ch. vii, et ci-après.

ÉD.

Mais pour constituer les pasteurs seuls propriétaires des clefs, La Chambre explique trop faiblement la communication des clefs à l'Église. Suivant lui1, « si les Pères de l'Église ont dit, comme on n'en peut douter, que les clefs ont été données à l'Église en la personne des Apôtres, leur but a été simplement de faire entendre: 1° que le pouvoir des clefs n'a pas été accordé à saint Pierre seul; mais à tous les apôtres, et que ce pouvoir ne devait point s'éteindre dans l'Église à la mort des apôtres, mais qu'il devait passer à tous leurs successeurs dans le ministère évangélique; 2° que l'Église est l'objet du pouvoir des clefs, et que c'est pour l'utilité de ceux qui la composent que Jésus-Christ l'a donné aux ministres de la loi nouvelle; 3° que Dieu, dans la réconciliation des pécheurs, a égard aux prières des saints qui sont dans l'Église dans le moment même que les péchés sont remis ministériellement par les pasteurs. » Ici se trouve le passage que nous avons cité en traitant du sacerdoce intérieur, et qu'il est inutile de reproduire.

On voit que La Chambre réduit aux quatre premiers sens et au sixième l'interprétation du don des clefs à l'Église. Par Legros, nous avons prouvé l'insuffisance des quatre premiers sens; par lui nous allons prouver que le sixième ne suffit pas non plus. Il consiste, ne

1. Traité theol. et dogm., etc., p. 286.

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