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II, p. 113, avec une note de Picard. Contra Tribunal de commerce de la Seine, 1er décembre 1924, Dall., 1925, II, p. 33; Note critique de Picard et Mestre, Revue des concessions départementales et communales, 1924, qui citent un jugement du tribunal de Grenoble du 26 juillet 1922.

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Que la liberté des contrats soit un principe juridique fondamental dans toute société civilisée, la chose n'est pas contestable. C'est la condition même pour qu'existe la liberté du travail, du commerce et de l'industrie. Elle en est aussi le couronnement et c'est pourquoi j'en ai réservé l'étude à la fin de ce chapitre. Dans le droit positif français, le principe de la liberté des contrats est formulé à l'article 6 du code civil ainsi conçu: « On ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs. » La formule n'est peut-être pas très heureuse; mais cependant elle ne peut laisser aucun doute sur l'idée qu'elle exprime.

En effet, formuler le principe de la liberté des contrats, ce n'est pas dire que les hommes peuvent conclure des contrats quelconques. Quelque étendue que doive avoir la liberté contractuelle, elle a cependant, comme toutes les libertés, une limite; le législateur a certainement le pouvoir et le devoir de la fixer. Il peut et il doit interdire les contrats dont l'objet, à un moment donné, est considéré comme contraire à l'ordre public, à l'intérêt général et à ce qu'on est convenu d'appeler les bonnes mœurs. Il y a là une question d'appréciation souvent délicate; on ne peut pas la résoudre en appliquant une règle générale a priori. La solution doit varier suivant les temps et les pays et le législateur, en déclarant que telle obligation est illicite et ne peut faire l'objet d'un contrat, doit se montrer extrêmement

circonspect et prudent. Mais il n'en est pas moins certain qu'il peut et qu'il doit prohiber certains contrats et qu'en le faisant, il ne viole en aucune espèce de façon le principe de la liberté contractuelle. Nous en avons vu des exemples très nombreux en étudiant au paragraphe 19 les commerces et les industries prohibés. Le législateur peut aussi interdire certains contrats pour des raisons fiscales. Dans quelle mesure? C'est la question de savoir quelle est la limite des pouvoirs appartenant au législateur dans l'établissement de l'impôt, question qui a été étudiée au tome IV, pages 425

et suivantes.

Pour déterminer la portée exacte de la liberté contractuelle, il faut donc supposer qu'il s'agisse d'un contrat dont l'objet est licite et dont la conclusion, par conséquent, est permise par le droit. Aussi bien un pareil contrat est-il encore très légitimement prohibé quand, dans l'esprit d'une des parties, il est déterminé par un but illicite. Le législateur ne porte par là aucune atteinte à la liberté contractuelle. De même qu'il peut légitimement déterminer les choses qui sont illicites et qui, comme telles, ne peuvent faire l'objet d'un contrat, de même, il peut fixer les buts qui sont illicites et qui, par conséquent, ne peuvent être le but déterminant pour l'une des parties dans un contrat. J'emploie le mot illicite en un sens général pour désigner en même temps les buts qui sont contraires à une loi écrite et ceux qui sont contraires à ce que dans un pays déterminé, à une époque donnée, on conçoit comme constituant l'ordre public et les bonnes mœurs. Pour le rôle du but dans le contrat, je demande au lecteur la permission de le renvoyer au tome I de ce Traité, pages 246 et suivantes.

En résumé, pour que le principe de la liberté contractuelle s'applique, il faut supposer un contrat pouvant se

former légalement et valablement parce que son objet et son but sont licites. Cela posé, la portée du principe de liberté contractuelle est double. Le législateur ne peut pas dans un tel contrat, sans violer la liberté contractuelle, limiter les droits qui appartiennent aux parties de fixer leurs obligations respectives conformément aux prix qui s'établissent par le jeu normal des lois économiques. D'autre part, un contrat ayant été formé librement et étant légal à raison de son objet et de son but, le législateur ne peut apporter aucune modification à la situation subjective qui lui est consécutive. Ce second point sera étudié au paragraphe suivant.

Le législateur ne peut pas, sans violer le principe de la liberté contractuelle, limiter les droits qui appartiennent aux parties de fixer leurs obligations respectives d'après les prix qui s'établissent par le jeu normal des lois économiques. - Le code Napoléon s'est pleinement conformé à cette règle. Il laisse, en principe, les parties libres de déterminer comme elles l'entendent l'évaluation des prestations qu'elles s'engagent à fournir. Sans doute, il admet la rescision pour cause de lésion en faveur du mineur; mais il n'y a là qu'une mesure de protection en faveur des incapables, laquelle laisse subsister intact le principe de la liberté contractuelle. Le législateur de 1804 a aussi autorisé la rescision de la vente d'immeubles au profit du vendeur pour lésion de plus des sept douzièmes (art. 1674) et celle du partage pour lésion de plus du quart (art. 887). Mais, dans ces deux cas, la rescision est fondée sur la présomption d'erreur et, en outre, dans le cas de vente sur la présomption que le vendeur à court d'argent a été victime de manœuvres qui l'ont conduit à accepter un prix notablement inférieur à la valeur réelle de la chose. Il n'y a donc, dans aucun de ces deux cas, une restriction à la liberté contractuelle; il y a, bien au contraire, une mesure prise pour la protéger.

On en doit dire autant des dispositions inscrites dans la loi du 8 juillet 1907 relative à la vente d'engrais ou amendements et de substances destinées à l'alimentation des animaux de ferme. Dans ces ventes, la lésion de plus du quart subie par l'acheteur donne lieu, non à la rescision de la vente, mais à une action en réduction du prix et en dommages et intérêts (art. 1er). Le législateur de 1907 a voulu protéger les cultivateurs contre les sollicitations des commis voyageurs peu scrupuleux qui leur font miroiter les vertus merveilleuses de certains engrais, de certaines substances nutritives artificiellement fabriquées et qui profitent de leur ignorance pour leur faire payer des prix manifestement exagérés. La loi de 1907 a eu pour objet de maintenir l'égalité des contractants, d'éviter les fraudes et, par conséquent, elle est en tout conforme au principe de liberté contractuelle.

Cependant, j'estime que le législateur ne doit pas aller trop loin dans cette voie, parce qu'il est facile de franchir la limite au delà de laquelle des dispositions de ce genre cessent d'être une protection des ignorants ou des besogneux contre l'erreur ou le dol, pour devenir une restriction à la liberté contractuelle. C'est ainsi qu'à mon avis le code civil suisse de 1912 est allé beaucoup trop loin et a violé le principe de la liberté contractuelle en décidant à l'article 1912 qu'« en cas de disproportion évidente entre la prestation promise par l'une des parties et la contre-partie de l'autre, la partie lésée peut, dans le délai d'un an, déclarer qu'elle résilie le contrat et répéter ce qu'elle a payé si la lésion a été déterminée par l'exploitation de sa gêne, de sa légèreté ou de son inexpérience ». Le législateur suisse s'est certainement inspiré de l'article 138 du code civil allemand où il est dit : « Un acte juridique qui porte atteinte aux bonnes mœurs est nul. Est nu un acte

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juridique par lequel quelqu'un, exploitant les besoins, la légèreté ou l'inexpérience d'autrui, obtient pour lui ou pour un tiers qu'en échange d'une prestation ou promesse on fournisse des avantages patrimoniaux qui excèdent de telle sorte la valeur de la prestation qu'en tenant compte des circonstances ces avantages soient dans une disproportion choquante par rapport à la prestation. » Assurément, ces dispositions des codes suisses et allemands, sont, avant tout, déterminées par la préoccupation de maintenir l'égalité entre les contractants et d'empêcher les manoeuvres tendant à profiter de l'inexpérience ou de la gêne d'une des parties. Mais, malgré cela, elles sont certainement trop générales; elles ouvrent la porte à d'innombrables procès comme elles peuvent aussi favoriser la mauvaise foi du contractant qui, après s'être obligé en parfaite connaissance de cause, essaie, à la faveur de ces textes, de se soustraire à des engagements légitimement contractés.

Pendant longtemps, en France comme dans la plupart des pays, la loi limitait, tout au moins en matière civile, le taux de l'intérêt. L'idée était encore de protéger l'emprunteur gêné contre les manoeuvres des prêteurs professionnels. L'origine de la règle était très ancienne puisqu'elle se rattachait à la vieille règle du droit canonique prohibant le prêt à intérêt, prohibition dont elle avait été une atténuation. Néanmoins, cette limitation du taux de l'intérêt était certainement contraire au principe de la liberté des contrats. Sans doute on pouvait faire de l'usure un délit, c'est-à-dire frapper d'une peine celui qui, habituellement, professionnellement, faisait des prêts usuraires. Mais interdire le contrat par lequel, dans une hypothèse unique et déterminée, l'emprunteur s'engage à payer au prêteur un intérêt supérieur au taux légal, c'est apporter, sans

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