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de convention arrivé, ils retournent chez eux. Cependant les provinces, les villes, les forteresses d'outre-Loire se sont données dans les derniers temps au roi de Navarre, qui s'avançait pas à pas jusqu'à l'Ile-de-France. Restaient les provinces du Nord, au sein desquelles la puissance de la ligue des Guises est profondément enracinée.

Le rapprochement tardif des deux Henri change tout à coup la face des affaires, et fait espérer la prochaine restauration du pouvoir légitime et le rétablissement de la paix, quand le couteau de Jacques Clément vient encore ajouter à une guerre civile et religieuse une guerre d'héritage. La ligue est décidée, tant par ses convictions que par ses antécédents politiques, à ne pas recevoir pour roi le Béarnais. Les coreligionnaires de Henri IV, dont la valeur aguerrie lui a été de si bon secours, ont droit à la reconnaissance de leur chef, et c'eût été les trahir que de se faire renégat pour une couronne qu'ils lui décernaient euxmêmes. Et pourtant il fallut en venir là, car Paris, certes, valait bien une messe; mais avec quels ménagements ne devait-on pas agir?

Henri IV seul, avec sa bonté toute gaillarde, son courage invincible et son habileté politique, pouvait parvenir à concilier tant d'intérêts si hostiles les uns aux autres, à ramasser çà et là les lambeaux épars de la royauté : il atteignit son but, mais le vieux levain de la ligue ne l'en laissa pas jouir.

Avant d'expirer, Henri de Valois, le dernier de sa branche, avait fait appeler les nobles seigneurs, alors au camp de Saint-Cloud, pour faire, par devant cette portion fidèle de la noblesse française, le legs de sa couronne. Ainsi, Henri de Navarre avait enfin vu ses droits consacrés et reconnus solennellement par celui qui s'était montré son plus grand ennemi, et qui à cette heure l'instituait de légitime droit son héritier. Victime de ses propres coreligion

naires, le malheureux Valois fut regretté par sa fidèle noblesse, par ses mignons de cour, hommes de cœur et d'épée, quoi qu'on en ait dit, qui partageaient à la fois les plaisirs et les dangers du maître. Le roi de Navarre lui donna quelques larmes, et s'écria : « Il ne s'agit plus de pleurer, mais de venger sa mort. »

Des serviteurs de Henri III, les uns se rallièrent franchement au nouveau roi. « Sire, lui dit Givri, vous êtes le roi des braves et ne serez abandonné que des poltrons. >> Mais l'accord ne fut pas unanime, beaucoup répugnaient à passer sous les ordres de celui qui n'était tout à l'heure encore qu'un rebelle. «< Comme gens forcenés, en présence du roi lui-même, ils enfonçaient leurs chapeaux, les jetaient par terre, criaient, hurlaient, fermaient les poings, complotaient, se touchaient dans la main, formant des vœux et promesses, dont on oyait pour conclusion: plutôt mourir que d'avoir un roi huguenot. >>

Bientôt Harlay de Sancy lui amena les Suisses dont l'exemple entraîna une partie de l'armée. D'Epernon persista dans son opposition, et se retira dans son gouvernement d'Angoulême avec toutes ses troupes. Plusieurs l'imitèrent, sans que cette défection pût arracher autre chose au Béarnais que cette parole gaillarde : « Qu'il permettait à tous les mécontents de se retirer; qu'il aimait mieux cent Français bien intentionnés, que deux cents dont l'attachement lui serait suspect. »

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Cependant grande était la rumeur parmi les ligueurs de Paris, qui avaient confié leur délivrance au bras d'un assassin. La duchesse de Montpensier courait les rues en criant Bonnes nouvelles! le tyran est mort! On portait en triomphe la mère de Clément, pauvre villageoise qu'on avait arrachée à sa chaumière pour je ne sais quelle ovation, dont elle comprenait à peine la cause. On prônait du haut de toutes les chaires l'héroïsme de Clément; l'en

thousiasme populaire fut en cette occasion ranimé pour quelques années encore.

Henri IV, après quelques jours d'intervalle entre la mort de son prédécesseur et son avénement militaire, commença à réfléchir sérieusement sur ses opérations ultérieures. Devait-il demeurer au blocus de Paris ou se retirer au delà de la Loire, afin d'augmenter son armée? D'Aubigné, auquel il demandait conseil, répondit qu'une retraite, bien qu'honorable, porterait préjudice à la cause du nouveau roi : « Qui vous croirait encore roi de France, disait-il, en « voyant vos lettres datées de Limoges ? »

Henri IV céda aux instances des généraux, et reçut alors le serment de la plus grande partie de l'armée, à la condition qu'il protégerait la religion catholique dans le royaume, qu'il se ferait instruire de ses dogmes dans le plus court délai, et qu'il poursuivrait jusqu'au bout la vengeance de son prédécesseur. Dès lors, un grand nombre de catholiques épousent chaudement la cause du Béarnais sans la moindre mésintelligence avec la noblesse calviniste, et dans l'espérance que toute querelle de religion et de succession sera vidée aux états convoqués à Tours par le nouveau roi.

Henri divise son armée en trois corps, dont l'un, sous les ordres du duc de Longueville, ira s'opposer au passage des recrues espagnoles, l'autre contenir la Champagne dans le devoir et observer la Lorraine, tandis que le roi marche avec le troisième pour faire sa jonction avec les troupes auxiliaires qu'a promises Élisabeth. En même temps la révolution se constituait définitivement dans la capitale; Mayenne, lieutenant-général, avait refusé la couronne que ses partisans lui décernaient, et se contentant de l'autorité réelle, avait fait proclamer le cardinal de Bourbon, alors prisonnier du Béarnais, sous le nom de Charles X. Puis, prenant le commandement de l'armée de la ligue, il s'avance en publiant qu'il allait prendre le Béarnais.

Celui-ci était arrivé sous les murs de Dieppe avec 8,000 hommes à peine; il attendit néanmoins les ligueurs, bien plus nombreux, sans quitter aucune de ses positions, On en vint aux mains à plusieurs reprises; mais l'affaire la plus importante eut lieu sous les murs d'Arques, village à la pointe du pays de Caux. Les royalistes fléchirent un instant, et se rallièrent pourtant à la voix de leur chef. On sait l'issue du combat par ces quelques mots charmants qu'écrivait le vainqueur à l'un de ses braves compagnons: << Pends-toi, brave Crillon, nous avons combattu à Arques, «<et tu n'y étais pas. Adieu, je t'aime à tort et à travers.»> C'était un beau début qu'une victoire pour cette royauté précaire aussi de nouvelles recrues vinrent-elles se joindre à Henri dès le lendemain. D'Arques, il arrive à marches forcées sous les murs de Paris, emporte quelques faubourgs, et mène les ligueurs toujours battant jusque dans la ville. Il aurait pu s'en emparer; mais on lui fit craindre quelques embûches, et il se retira pour regagner la Touraine, afin de se trouver, selon sa promesse, aux états-généraux. D'un commun consentement, l'assemblée fut ajournée, attendu les circonstances présentes qui la rendaient impossible, et Henri se rejeta sur la Normandie, qu'il soumit à sa domination, la capitale exceptée (1589).

Cependant Sixte V, à l'instigation de la ligue, avait envoyé un légat, Cajetan, pour concilier les intérêts divers du duc de Mayenne, des Seize et de l'Espagne. Philippe II provoquait à tout instant par ses lettres la question d'hérédité du trône, au cas de la mort du cardinal de Bourbon, et faifait clairement comprendre que sa fille devait être instituée légataire de la couronne de son oncle Henri III. Mayenne conservait à part lui de sérieuses prétentions, qui seraient sans doute contrebalancées par celles du jeune Guise, fils du Balafré, mort à Blois. Chacun de ces prétendants avait sa faction au sein même de Paris, et Henri IV lui-même

pouvait compter que, dans cette population bourgeoise de la bonne ville, bien des cœurs désiraient ardemment le triomphe de sa cause; mais ces partisans demeuraient autant que possible à l'ombre, car la mort eût été le prix assuré de toute tentative en sa faveur. On appelait ce parti les parlementaires, parce qu'au moindre échec, ils en profitaient pour proposer une transaction avec le vainqueur. Mais le fanatisme des halles savait bientôt faire justice de ce qu'on appelait la couardise des méchants citoyens. Pour ne plus laisser de doute aux timorés, la Sorbonne rendit un décret par lequel il était dit que quiconque reconnaîtrait les droits du roi de Navarre se rendrait coupable de péché mortel. Elle faisait aussi appel à toute la France pour délivrer des mains de Henri Charles X, son vieil oncle. Peu soucieux désormais du trône, le captif fit rendre hommage à son neveu, en sujet soumis.

Les rigueurs de l'hiver n'avaient pas arrêté les travaux militaires; Henri marchait le premier à la tête de ses soldats, et il avait soumis une grande partie des provinces de l'ouest, quand enfin il arriva encore une fois aux environs de Paris. Mayenne sortit à sa rencontre avec de nombreuses troupes, et les deux adversaires se battirent dans les plaines d'Ivry (1590). Le panache blanc d'Henri reparaissant dans la mêlée, après avoir disparu un instant, ranime le courage des siens, et les fait se précipiter à travers les bataillons ligueurs, qui se débandent et prennent la fuite par les campagnes. Du milieu du carnage, un cri se fait entendre: Sauve les Français! On s'attacha surtout aux Espagnols et aux Suisses. Mayenne retourna tout honteux à Paris, où il apprit, pour surcroît de malheur, que ses lieutenants étaient battus sur tous les points par ceux du Navarrais.

Le cardinal Cajetan voulut alors s'entremettre dans la querelle, et demanda un abouchement avec Henri et ses seigneurs à Noisy. Cette démarche ne servit à rien; le légat, espérant

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