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dait, et, à deux pas de là, lui ajouta qu'il se recommandat à Dieu. Il le conduisit jusqu'à une galerie obscure, où les soldats le massacrèrent à coups de hallebardes. Son corps et celui de son frère furent mis dans la chaux vive pour en être consumés les os en furent brûlés dans une salle basse du château, et les cendres jetées au vent.» (Daniel.)

On arrêta en même temps les parents et les amis du duc, ainsi que les principaux ligueurs des états. Catherine, que les mignons tenaient depuis quelques années à l'écart, se mourait alors dans son lit. Le coup fait, Henri III descendit chez elle : « Le roi de Paris n'est plus, madame, « s'écria-t-il, et je suis roi désormais. C'est bien « coupé, mon fils, répondit Catherine, mais il faut coudre. » Malheureusement, Henri III s'endormit sur son triomphe.

Le premier moment fut un moment de stupeur pour la capitale; il eût fallu en profiter: on laissa la liberté aux ligueurs, et ils reprirent courage. Les Seize, leurs prédicateurs, soulèvent en un instant toute la population, concertent leurs plans à loisir, tandis qu'Henri perd le temps à faire une clôture fastueuse des états et de magnifiques obsèques à sa mère. « Catherine mourut inaperçue à Blois, « dit l'Étoile, où elle était adorée et révérée comme la Ju<< non de la cour : elle n'eut pas plus tôt rendu le dernier << soupir qu'on n'en fit non plus de compte que d'une chèvre « morte. » Après avoir pris part à toutes les révolutions des trois règnes de ses fils, sa disparition de la scène politique fut à peine remarquée à travers les graves événements qui occupaient bien autrement la France.

Paris voyait incessamment arriver dans ses murs tous les ligueurs échappés de Blois, et d'autres villes aussi dangereuses désormais pour eux. Le peuple les recevait avec des acclamations forcenées, et leur faisait jurer de verser jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour la sainte

union. On offrait sur tous les autels le sacrifice de la messe pour Guise, le cardinal et les autres victimes. De petites figures de cire, à l'image du roi, étaient exposées dans des niches au coin des carrefours, et tout passant allait y imprimer son coup d'épingle, dont le contre-coup devait frapper Henri III. Enfin, on voulut faire consacrer la révolte par l'austère Sorbonne elle-même et le parlement : l'une prononça le fameux décret révolutionnaire qui déliait les sujets de Henri du serment de fidélité; l'autre refusa toute participation à la révolte, et suivit son premier président à la Bastille. Mayenne arrive alors avec la duchesse de Montpensier, on le nomme lieutenant-général par acclamation, et il expédie sur-le-champ un député à Sixte V, pour le supplier d'excommunier le roi de France. Une bulle monitoriale est bientôt lancée, et la révolution semble consommée (février 1589).

Henri ne sortait pas de son incertitude: il écrivait bien aux villes chancelantes; il allait jusqu'à vouloir entrer en arrangement avec Mayenne; mais les premières se jetaient encore plus vite dans les bras des ligueurs, ou même des calvinistes, et l'autre disait pour toute réponse qu'il ne pardonnerait jamais à ce misérable1. On prononça le mot de réunion au roi de Navarre, et la majeure partie de la cour s'écria que c'était le seul moyen de tout réparer. Il y avait trois ans que Henri aurait dù avoir recours au Béarnais et à ses braves compagnies. Il n'était plus temps pour Henri III et le salut de sa couronne; c'était justement l'heure pour Henri IV. Le Béarnais n'avait pas interrompu le cours de ses conquêtes pendant les débats et les catastrophes de Blois. En vain quelques bataillons ligueurs, sous le comte de Nevers, avaient tenté de s'opposer à son passage : le courage d'un côté, et la désertion de l'autre, lui avaient

1 De Thou; Davila, liv. x; Mém. de la Ligue, III.

ouvert l'entrée de plusieurs villes fortes. A la nouvelle des dispositions favorables de la cour à son égard, il prit l'avance, et proposa un accommodement cordial avec les catholiques royalistes. Après quelques tergiversations, Henri se décida enfin à s'aboucher avec le roi de Navarre. L'entrevue eut lieu au Plessis-les-Tours; catholiques et calvinistes se réconcilièrent franchement et se mirent en marche contre les ligueurs, qui avaient osé s'avancer jusqu'au pied des murailles de Tours. Ils furent repoussés, battus encore dans les plaines de Senlis, et le roi put établir son quartier général en face même de sa capitale rebelle, au château de Saint-Cloud.

Cependant Mayenne s'était vu contraint à se renfermer dans Paris. Ses affaires, comme on voit, ne pouvaient que tourner au pire à toute heure; mais la cité possédait encore cette multitude de fanatiques qui ne cessaient tout le long du jour de prêcher qu'il était licite à qui voudrait de tuer un tyran, un idolâtre, un infâme comme le Valois. Il était impossible que du milieu de cette tourbe en délire, et plus furieuse à la vue du danger qui la menaçait, il ne sortit pas un de ces Brutus de populace, qui croient à une récompense et à une gloire éternelle pour prix de leur dévouement régicide. Jacques Clément fut cet homme, et ses héroïques intentions furent vivement encouragées par Mayenne, la duchesse de Montpensier et les Seize, qui les mirent à profit aussi bien était-ce leur seul espoir de salut, tant les besoins d'une ville bloquée de toutes parts se faisaient déjà rudement sentir. Le jeune jacobin court hors de Paris, se présente aux gardes avancées du camp royal, et se fait conduire devant Henri III, pour lui faire, disait-il, d'importantes révélations. Pendant que le roi lit ses prétendues lettres de créance, le meurtrier lui perce le bas-ventre d'un coup de poignard. Le malheureux prince trouve en

core assez de force pour saisir l'arme de son assassin, et lui en déchirer la figure, tandis que ses officiers achèvent de le massacrer (1589). Henri III n'avait que trente-huit ans, et périssait pour n'avoir su vouloir que la dernière année de sa vie.

CHAPITRE IV.

HENRI IV.

Au moment où le Béarnais n'a plus que deux de ses grandes batailles à livrer pour devenir roi de France, donnons en quelques mots le tableau que ce royaume présente à l'histoire, ce sera la meilleure introduction du nouveau règne, puisque nous verrons par là ce qu'Henri devra faire en présence d'un tel état de choses.

Depuis bientôt vingt années, la guerre civile tourmente la France presque sans relâche, l'unité gouvernementale et administrative est rompue. Chaque province s'est isolée du gouvernement central, et parfois s'est divisée contre elle-même. Il est des villes qui, abdiquant toute obéissance, se sont établies en république; Paris a montré l'exemple comme au temps de la féodalité; des seigneurs puissants se sont confinés dans les donjons de leurs vieux manoirs, travaillant pour leur compte, et tranchant du roi dans leurs domaines. Au besoin, ils vendent leurs services, et le terme

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