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unanimes dans leurs principes d'intolérance et de dévouement aux volontés des Guises. Depuis lors, la pitié avait gagné les uns, les autres s'étaient éclairés par la lecture et par la réflexion. Bien peu avaient embrassé les nouvelles opinions; mais beaucoup étaient d'avis qu'il fallait convoquer un concile général pour réformer les abus existant dans l'Église, et, en attendant, suspendre les poursuites contre les réformés. Au mois d'avril 1559, un président et huit conseillers proposèrent au parlement d'aviser aux moyens d'atteindre ce double but. Poussé par les Guises, le roi se transporta au parlement et ordonna de débattre librement la question en sa présence. Trois conseillers, se fiant à la parole royale, plaidèrent la cause de la liberté de conscience; et deux d'entre eux, Dufaur et Anne Dubourg, ajoutèrent à leurs raisonnements de sévères avis adressés au roi sur son gouvernement et sur sa conduite. Henri II ordonna au connétable de les arrêter sur-le-champ, et avec eux trois autres conseillers, qui précédemment avaient parlé en faveur de la tolérance religieuse. Le procès de Dufaur et de Dubourg commença immédiatement. Le manque de respect à la majesté royale n'était pour rien dans cette rigueur en effet, les trois conseillers arrêtés avec Dufaur et Dubourg, ne s'étaient en aucune manière rendus coupables de cette offense; et l'action intentée contre Dufaur et Dubourg eux-mêmes porta, non sur les reproches adressés au souverain, mais sur leurs opinions religieuses. D'après les règlements du parlement, toutes les délibérations de cette compagnie étaient secrètes : aucune poursuite ne pouvait donc avoir lieu contre aucun membre pour opinion émise par lui, puisqu'en droit cette opinion ne pouvait jamais être connue. Or, on avait introduit le roi au parlement pour enlever frauduleusement à Dufaur et à Dubourg le secret derrière lequel se retranchait leur inviolabilité, et pour obtenir d'eux une déclaration de leurs

sentiments, sur laquelle il devint possible de les poursuivre on les avait provoqués par la bouche du roi à une liberté dont on devait leur faire un crime. Ainsi on souillait la majesté royale d'un guet-apens juridique et d'un parjure, afin d'intenter une accusation capitale contre deux membres du parlement. L'affaire fut suspendue par la mort de Henri II, et reprise au commencement du règne de son successeur : la fin fut digne en tout du commencement. Dufaur et Dubourg avaient le droit incontestable d'être jugés par leurs pairs, c'est-à-dire par les chambres du parlement assemblées. On viola ce droit. Comme Dubourg était diacre, on saisit ce prétexte pour le renvoyer devant les officialités de Paris, de Sens, de Lyon. Sur l'exposé de ses croyances, il fut condamné comme hérétique, et livré au bras séculier, qui le brûla en place de Grève (1559).

Ces violences, ces illégalités, loin d'étouffer les nouvelles doctrines, leur donnèrent chaque jour des partisans plus nombreux, comme au temps de François Ier, et par les mêmes causes. Nous avons vu, sous ce prince, deux églises réformées s'élever en 1546, à Senlis et à Meaux. Il s'en établit une au milieu de Paris en 1555; et bientôt toutes les principales villes du royaume, Rouen, Angoulême, Blois, Tours, Poitiers, Marseille, etc., etc., eurent la leur. Des cités, l'hérésie se répandit dans les campagnes, où les réformés se réunirent jusqu'au nombre de dix mille. En 1557, ils tinrent à Paris une assemblée qui donna lieu à un mouvement populaire : bientôt leurs promenades au Pré-aux-Clercs attirèrent un concours prodigieux. Nonseulement le peuple, mais la noblesse et la cour abandonnaient les fêtes pour venir chanter avec eux les psaumes de Marot. Ils comptaient au nombre de leurs prosélytes le roi de Navarre, sa femme Jeanne d'Albret, Coligny, d'Andelot, colonel de l'infanterie française: celui-ci osait bien dire en face au roi qu'il aimait mieux mourir que d'aller à

la messe. Leur nombre et leur confiance éclatèrent en 1558 par la procession publique qu'ils firent à Paris. Au temps du colloque de Poissy, en 1561, deux ans après la mort de Henri II, leurs églises, soit publiques, soit particulières, s'élevaient dans le royaume à deux mille cent cinquante; et ils avaient pour eux la sixième partie de la population. C'est de Bèze qui fournit ces indications dans son livre Iv. » (Poirson, Hist. de France.)

Un mot maintenant des personnages qui occupent le premier plan sur le théâtre de ces guerres sanglantes où la France perdit ses trésors, ses plus grands princes, ses meilleurs généraux, des milliers de citoyens; où la royauté fut un instant réduite à la condition mérovingienne; où la chevalerie vit s'éteindre sa franche bravoure, et où le système municipal et administratif n'eut plus ses garanties et sa constitution.

La paix de Cateau-Cambresis avait terminé la lutte entre l'Espagne et la France, qui pouvait alors espérer un instant de repos, après tant de secousses éprouvées depuis la funeste journée de Pavie: le coup de lance de Montgommery en décida autrement.

Henri II laissait quatre fils, dont l'aîné, qui lui succéda, avait à peine seize ans. Une régence de fait devait s'ensuivre; mais qui devait en être revêtu? Le roi signera, puisqu'il est majeur; mais qui guidera la main? Femme de roi et mère de roi, Catherine se présente. Elle a pour elle tous les précédents de l'histoire. Point de loi salique pour ce qui est d'une ambition de ce genre. Mais, soit rancune pour le nom italien, qu'elle rappelle trop par ses mœurs, par sa politique, soit ressentiment contre Henri II qui a continué François Ier, seulement dans ce qu'il avait de dur et de despotique, Catherine de Médicis n'est point populaire. De plus, l'époque est féconde en hommes qui veulent ètre grands par eux-mêmes et pour eux-mêmes, et, indé-

pendamment des questions de personnes, le protestantisme sème partout la méfiance, et se prépare à entraver la marche du gouvernement.

Pendant les onze jours qui s'écoulèrent entre la blessure de Henri II et sa mort, Anne de Montmorency, connétable de France, avait mis tout en œuvre pour conserver quelque part dans le gouvernement: il écrivit aux princes du sang, les exhortant à venir prendre leur place dans le conseil du roi. Ses instances s'adressaient surtout à Antoine de Bourbon, roi de Navarre, le plus proche héritier du trône, après les frères du roi. Il lui mandait de se hàter, que le moindre délai allait donner à des étrangers une supériorité qu'on ne pourrait plus leur ravir.

Ces étrangers étaient les Guises : l'un est un brave guerrier, habile capitaine, juste envers les soldats, rattachant à son nom de nobles souvenirs de gloire; l'autre, le cardinal, est un érudit, beau parleur; il entraîne au conseil par son éloquence, et ne s'oublie jamais dans ses péroraisons. Il est en regard une autre famille qui compte aussi un guerrier et un cardinal: c'est Coligny et le cardinal de Châtillon; l'amiral a toute la bravoure de François de Guise, mais moins de fermeté, de résolution; souvent il ne sait pas prévoir l'événement, mais une fois engagé dans la lutte, il la soutient opiniâtrement; et telle est la confiance qu'il inspire, que jamais la responsabilité d'une défaite n'a pesé sur lui; son frère, le facile évêque, se jette à corps perdu dans les libertés qu'accorde la réforme.

Viennent ensuite les princes du sang, Antoine de Bourbon, le père de notre Henri IV, qui se laisse conduire comme l'on veut, excepté comme le veut sa rude femme, Jeanne d'Albret; le prince de Condé, qui aime mieux avoir la première place dans le parti protestant que la seconde dans le parti catholique; chef actif, infatigable, payant de sa personne en toute occasion, et merveilleusement orga

nisé pour cette vie d'intrigue et d'action. A leur suite s'agite le vieux Montmorency, dont le meilleur temps est passé. Et enfin, mentionnons Lhôpital, comme l'expression de ce que nous appelons le tiers-parti, qu'on nommait alors politique. Le chancelier intègre, comme ne le furent jamais ses prédécesseurs des règnes de Francois Ier et Henri II, voulut arrêter le torrent des révolutions menaçantes, et ses efforts, pour être demeurés inutiles, n'en sont pas moins les plus beaux titres qu'il ait acquis à la reconnaissance de la postérité. Telles sont, en résumé, les principales figures qui animent le tableau que nous allons présenter des guerres dites de religion.

Quoique Catherine de Médicis se fût bien promis de régner sous le nom de son jeune fils, pourtant, dès les premiers moments, elle commença par être supplantée, grâce aux adroites menées des Guises. Avant la mort de son père, François II était déjà marié, et les ambitieux Lorrains avaient tant fait, que le prince était devenu leur neveu par son union avec la belle et infortunée Marie Stuart.

Puissants par l'influence de leur nièce sur l'esprit de son époux, les Guises occupent tout, régentent tout, en dépit des autres familles prêtes à envahir le gouvernement, en dépit même de Catherine, qui, pour prix de son inaction momentanée, obtient la disgrace de Diane, l'impérieuse duchesse de Valentinois; en même temps les princes du sang, Bourbon et son frère, ayant reçu des missions lointaines, telles que celle de conduire à Philippe II sa nouvelle épouse, il ne resta plus que l'austère connétable, qui tout au moins voulait jouir sans restriction des prérogatives de sa charge. Bientôt, par ordre du jeune roi, lui et les siens furent éconduits avec dignité des affaires. Le champ demeurait donc libre aux nouveaux occupants; restait à savoir si chacun de ces partis, ainsi réduits à s'éclipser devant la famille de Lorraine, ne tenterait pas quelque réaction, dan

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