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prévoir, mais ce fut par des motifs auxquels personne ne pensait. Marguerite de Valois raconte longuement, dans ses mémoires, les voluptueux passe-temps de la cour de Navarre, et les intrigues qu'elle continuait de mener au dehors du petit royaume. Henri III s'offusquait de son active correspondance avec le duc d'Anjou, car il craignait à tout moment une nouvelle défection qui entraînerait avec elle celle de beaucoup d'autres seigneurs. Il voulut, croyant agir en habile politique, perdre Marguerite dans l'esprit de son époux, et publia qu'elle entretenait un commerce scandaleux avec le vicomte de Turenne. A cette nouvelle, Marguerite s'emporte, surmonte facilement les soupçons de Henri de Navarre, et le décide à prendre ouvertement les armes contre la France; aussi bien, la plus grande partie de sa dot ne lui avait pas été donnée, et il fallait incontinent s'emparer de Cahors, désigné dans le contrat : telle fut la cause de la guerre dite des amoureux.

Le roi de Navarre se met donc aussitôt en marche, tombe sur Cahors et s'y bat, pour assurer sa conquête, cinq jours et cinq nuits, au bout desquels il ne lui restait pas sur le corps un morceau entier de ses habits. Le Béarnais commençait déjà ces guerres héroïques, où la pauvreté dé son armée allait devenir proverbiale.

Condé, fait pour les aventures périlleuses, de La Fère, ville de son gouvernement de Picardie, où il s'était déjà fortifié malgré le roi, passe aux Pays-Bas, vole en Angleterre, revient en Allemagne : près de rentrer en France, il est arrêté sur les frontières de Savoie, volé et dépouillé sans être reconnu. Il échappe enfin, et se met à la tête des calvinistes du Languedoc.

Henri III, effrayé des démonstrations menaçantes des rebelles, recourt aussitôt à des négociations. Tandis que les confédérés amusent les ambassadeurs, leurs troupes continuent toujours leurs progrès. Cependant la cour ne

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peut se tromper sur les intentions de ses agresseurs; trois armées, en un instant, sont prêtes à se mettre en marche; elles repoussent d'abord les colonnes calvinistes, quand, des deux parts, on en vient à un accommodement à Fleix, en Périgord (1580). La dot de Marguerite fut assurée; le roi de Navarre demeura en possession des places qu'il occupait; et ainsi la royauté laissa encore, dans la guerre des amoureux, quelques lambeaux de son autorité.

Après la conclusion de ce nouveau traité, le duc d'Anjou se donna tout entier à la conquête de son royaume des Pays-Bas, qu'occupait militairement alors le général Alexandre Farnèse. La prise de Cambrai et de l'Écluse, signala heureusement ses premières opérations; nous avons dit que ce fut à ces quelques succès que se borna la prise de possession des Pays-Bas par le duc d'Anjou. Que pouvait-il en effet, lui si faible, contre les forces espagnoles, conduites alors par les premiers généraux? L'Angleterre lui faisait bien parvenir quelques secours, d'après les négociations entamées, à propos de son mariage, avec Élisabeth; mais c'était surtout de la France qu'il devait attendre des soldats, et Henri était loin d'être disposé à lui en fournir.

Il avait employé des sommes immenses aux noces de ses deux favoris, Joyeuse et Lavalette, et les finances se trouvèrent épuisées après les fêtes religieuses, qui étaient le complément invariable des pompeuses folies de la cour.

François d'Épinay, sieur de Saint-Luc, que Henri III maria à Jeanne de Cossé, fille du maréchal de Brissac, lui coûta moins cher. Saint-Luc encourut la disgrâce de son maître pour avoir voulu l'arracher à ses désordres. Et cependant, il est peut-être trop tard pour s'amender: les édits contre le luxe sont une dérision, les édits bursaux une tyrannie, la création d'une foule de charges inutiles un scandale. Tous les partis négocient, non pour prévenir les troubles,

mais pour en tirer avantage. Le duc de Joyeuse veut se substituer au duc de Guise, comme chef des catholiques. Son voyage à Rome fit un mécontent de plus, Montmorenci, gouverneur du Languedoc, qui traite avec le roi de Navarre. Par eux, les secours de l'Allemagne et de l'Angleterre sont sollicités. Guise resserrait de son côté les nœuds qui l'unissaient depuis longtemps avec l'Espagne, et donnait pour prétexte de ses engagements avec une puissance étrangère, la nécessité de défendre la religion catholique, tandis que Philippe offrait au roi de Navarre et aux calvinistes de l'argent et des troupes pour renouveler la guerre en France, et empêcher Henri de secourir les Flamands. Il alla jusqu'à lui proposer, après un divorce préalable, la main de l'infante sa fille, demandant pour luimême la princesse de Navarre. C'était par trop accorder à la raison d'État.

Henri III n'avait point encore d'enfant ; et par le fait, le duc d'Anjou était son héritier. Mais ce prince précéda le roi dans la tombe1: il ne restait plus de successeur direct catholique; le roi de Navarre ayant révoqué sa conversion extorquée à la suite du 24 août 1572, devenait ainsi non apte à régner sur la France : le duc de Guise se trouvait donc sur la première marche du trône; restait à savoir si Henri de Valois ne devait pas avoir d'enfant, si Henri de Navarre abandonnerait tranquillement ses droits. La lutte est donc désormais entre les deux prétendants, et celui qui ne veut laisser sa place à aucun des deux.

Le roi de Navarre, le duc de Guise travaillent chacun de leur côté avec ardeur, tandis qu'Henri III subit le joug du plus fort, du chef de la ligue. Cette faction prenait tous les jours de nouvelles forces, et la majeure partie ne voulait

1 Après le mauvais succès de son expédition, il était venu mourir à Château-Thierry (1584).

pas attendre la mort du roi pour le remplacer; Guise avait mis en avant l'oncle du roi de Navarre, le cardinal de Bourbon, qui se laissait conduire au gré du rusé Lorrain. Un instant retranché derrière le droit légitime, ou tout au moins plus légitime que le sien, du vieux prélat, il le fit agir et agit sous son nom efficacement. Partout dans les provinces, des sociétés s'établissaient sur le modèle de celle de Paris; d'actives correspondances dirigeaient leurs opérations respectives. Les porches des églises étaient placardés d'écrits, de relations, de gravures représentant les supplices prétendus que les calvinistes vainqueurs réservaient aux catholiques; et les chaires retentissaient de fanatiques motions, aussi bien contre le roi que contre les réformés ; tous ceux qui acceptaient l'union en signaient le formulaire et devenaient sujets du duc de Guise. Leur nombre s'accroissait d'heure en heure, et le duc n'osait encore opérer la rupture: «Si une fois, disait-il, je dégaîne l'épée << contre mon maître, il faut en jeter le fourreau dans la « rivière. » Il menait plusieurs intrigues de front, et celle qu'il entretenait avec Philippe II, n'était pas la moins active. Un traité secret avait été conclu entre le roi d'Espagne qui allait voir son influence s'accroître tous les jours au delà des Pyrénées, et le duc ambitieux qui aspirait à devenir l'égal de son allié. Philippe devait fournir de l'argent pour solder les troupes de la ligue, qui devait élever, soi-disant, le cardinal de Bourbon au trône; et la ligue devait faire la guerre aux hérétiques, publier les décrets du concile de Trente, venir en aide aux armées espagnoles guerroyant dans les Pays-Bas, et donner à Philippe la ville de Cambrai. Quelques historiens ajoutent que le royal signataire qui se faisait si bonne part dans ce traité, exigea du duc de Guise, un éclat immédiat, sous la menace d'envoyer à Henri III, les pièces qui pourraient surtout le compromettre. Il n'y avait plus à hésiter; et reculer dans la

crise présente eût été se perdre sans retour. Alors, le cardinal de Bourbon sort de Paris à la dérobée, et va en Picardie où de nombreux ligueurs sont prêts à le recevoir; des reîtres passent la frontière et prennent leurs quartiers dans les villes de Toul et Verdun; toute la noblesse champenoise et bourguigonne se rassemble autour de Guise. Au midi, les révoltés manquent Marseille et Bordeaux, et emportent Angers, Bourges et Orléans au cœur du royaume, tandis qu'à Paris, la sainte union envahit toutes les classes et la plus grande partie de la population. C'en est fait, l'épée est dégaînée, et, comme le disait Guise, le fourreau est allé à la rivière (1585).

La capitale du royaume, résidence du roi et de sa cour, et siége du gouvernement, était le point central d'où partaient tous les plans d'opérations pour les autres villes. Au collége de Fortat, puis aux Jacobins de la rue Saint-Honoré, de nombreux conciliabules étaient en séance permanente; c'était de là qu'allaient sortir les seize et leur faction. Tous étaient armés et prêts à agir au moindre signal. Pasquier écrivait à un ami : « Nous sommes maintenant <<< devenus tous guerriers désespérés. Le jour nous gar<< dons les portes, la nuit nous faisons le guet, patrouilles « et sentinelles. Que c'est donc un métier plaisant à ceux « qui en sont apprentis. »

Cependant, la cour ne savait quel parti prendre en cette triste occurrence; faire la guerre contre deux ennemis à la fois, les calvinistes et les catholiques, eût été trop périlleux; dévoiler officiellement les projets des Guises, et s'appuyer ainsi sur les réformés et sur leur jeune Béarnais, eût été se mettre à dos toute la catholicité française; la Médicis qu'on négligeait depuis longtemps, fit voir l'avantage d'un terme moyen, et on l'envoya traiter avec les ligueurs. Ceuxci qui avaient manqué leur coup sur plusieurs points, et ne demandaient pas mieux qu'on leur laissàt le temps de

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