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tentement, et, quand vint la conclusion du dernier traité, le parti catholique se dessina nettement à côté du parti royal, en face du parti calviniste, et prit le nom de Sainte-Ligue.

Les associations religieuses n'étaient pas chose nouvelle dans le royaume : nous avons parlé déjà de celles qui s'étaient formées dès le commencement des troubles; mais celles-ci eurent un caractère particulier, une audace et un ensemble qui dénotent clairement une impulsion supérieure. Elles commencèrent, dit-on, en Picardie, où du reste les intérêts particuliers, sans parler de l'influence de la maison de Lorraine, vinrent en aide à l'esprit religieux. Le seigneur d'Humières, qui commandait dans le pays, furieux de voir son gouvernement passer, aux termes du traité de Loches, entre les mains du prince de Condé, son ennemi personnel, répandit par toute la province une formule de serment, que nobles, bourgeois et paysans, couvrirent à l'envi de signatures. Voici les lois de l'association, telles qu'elles nous ont été conservées par Dupleix:

« Nous nous obligeons à employer nos biens et nos vies pour le succès de la sainte union, et à poursuivre jusqu'à la mort ceux qui voudront y mettre obstacle.

<< Tous ceux qui signeront seront sous la sauve-garde de l'union; et, en cas qu'ils soient attaqués, recherchés ou molestés, nous prendrons leur défense, même par la voie des armes, contre quelque personne que ce soit.

« Si quelques-uns, après avoir fait le serment, viennent à y renoncer, ils seront traités comme rebelles et réfractaires à la volonté de Dieu, sans que ceux qui auraient aidé à cette vengeance puissent jamais en être inquiétés.

<< On élira au plus tôt un chef, à qui tous les confédérés seront obligés d'obéir, et ceux qui refuseront seront punis selon sa volonté.

« Nous ferons tous nos efforts pour procurer à la sainte

union des partisans, des armes et tous les secours nécessaires, chacun selon nos forces.

<< Ceux qui refuseront de s'y joindre seront traités en ennemis, et poursuivis les armes à la main. Le chef seul décidera les contestations qui pourraient survenir entre les confédérés, et ils ne pourront recourir aux magistrats ordinaires que par sa permission. »

De la Picardie, la sainte union se propagea rapidement dans toutes les provinces. La France entière était envahie, et Henri III ne se doutait encore de rien. Il fallut que son ambassadeur en Espagne lui donnât avis des menées qui se tramaient chez lui. Celui-ci en avait recueilli l'écho à la cour de Philippe II, où déjà les négociations avec la ligue avaient commencé. Vers le même temps, les calvinistes du Dauphiné mirent la main sur les papiers d'un avocat nommé David, qui se rendait à Rome avec une mission secrète. Ils les envoyèrent aussitôt au roi, qui put y lire ces menaces nettement formulées :

<< Depuis qu'au préjudice des descendants de Charlemagne (1) les enfants de Hugues-Capet ont envahi le trône, la malédiction de Dieu a éclaté sur ces usurpateurs les uns ont été privés de sens, d'autres de la liberté, ou ont été frappés des foudres de l'Eglise; la plupart, sans santé et sans force, sont morts à la fleur de leur àge, ne laissant point de succession. Le royaume, sous ces règnes malheureux, est devenu la proie des hérétiques, tels que les Albigeois et les pauvres de Lyon; la dernière paix, si avantageuse aux calvinistes, va aussi les établir solidement en France, si on ne profite de cette occasion même pour rendre le sceptre de Charlemagne à sa postérité. »

Bientôt les Guises, s'enhardissant, résolurent de produire leur complot au grand jour, et imaginèrent de contraindre

1 Les Guises se prétendaient issus de la famille Carlovingienne.

Henri III lui-même à le légaliser par sa sanction royale. Guise avait réuni ses partisans les plus habiles, les plus influents de chaque province; un mémoire avait été rédigé dans ce conciliabule, qui disait que la position critique du royaume exigeait la coopération la plus active et la plus désintéressée de ses sujets dans le gouvernement, et la guerre contre la réforme. Ce considérant, on devait donc armer tous les catholiques français, leur donner un chef expérimenté, dont la foi et le courage ne pussent être suspects. Ce chef aurait des droits imprescriptibles sur ses subordonnés, et les conduirait là où la sainte cause de la religion le réclamerait. Le mémoire devait être présenté au roi lors de la réunion des états; l'on se croyait assuré de son acceptation pleine et entière, et de la nomination du duc de Guise comme chef de la ligue. L'événement ne réalisa qu'en partie ces espérances. Les états s'assemblèrent; on présenta à leur vote le formulaire de la sainte ligue, qui fut adopté; et Henri, croyant déconcerter l'ambition de Guise, se nomma lui-même chef de l'union (1576). Ainsi, le roi de France se constituait chef de parti dans son propre royaume. Pendant que les états, entièrement sous l'influence de la ligue, annulaient tous les précédents traités, révoquaient toutes les franchises accordées, différentes députations étaient dirigées sur les provinces envahies par les chefs rebelles. Condé ne voulut rien entendre; le roi de Navarre ne fit que s'attendrir au tableau touchant que lui firent les députés des horreurs de la guerre civile, et rien de plus il n'y eut que Damville et d'Anjou qui se laissèrent entraîner. La cour regarda le retour de ce dernier comme un grand succès obtenu sur les calvinistes et les politiques du Languedoc.

A l'issue de ces négociations à peu près inutiles, deux armées furent expédiées contre les rebelles. D'Anjou et Mayenne, qu'on avait sagement préféré à son frère aîné,

Henri de Guise, étaient à leur tête. Malgré ces démonstrations hostiles, des agents du roi travaillaient toujours les esprits des principaux chefs, de telle sorte que la prise de la Charité et d'Issoire acheva d'amener les deux partis à une trêve reconnue nécessaire. L'argent manquait aussi bien du côté des catholiques que de celui des calvinistes, et l'on ne pouvait plus longtemps faire la guerre. On s'aboucha à Poitiers pour y conclure ce traité qu'Henri III aimait à rappeler avec orgueil, en disant : mon édit. La liberté de religion était pour la centième fois proclamée dans les termes déjà employés; le droit d'entrer aux charges, aux magistratures, de nouveau accordé : neuf places sont octroyées aux rebelles comme garantie; mais ils chômeront les fêtes extérieurement, et ne choqueront en rien les catholiques dans leur culte. Puis, pour dernier article, lequel dévoila entièrement l'intention royale, toute union, association, ligue est désormais prohibée dans le royaume (1577). S'imaginant avoir remporté une grande victoire, et sur les calvinistes, et sur les catholiques de la sainte ligue, Henri se livra gaîment aux folles joies dont le palais ne cessait d'être le théâtre : le journal de Marguerite, les pages de Le Laboureur, sont remplis des descriptions de ces fêtes. Le roi courait publiquement la bague, vêtu en amazône, portant des pendants d'oreilles, «faisoit joûtes, ballets et tournois, et forces mascarades, où il se trouvoit ordinairement habillé en femme, ouvroit son pourpoint et découvroit sa gorge, y portant un collier de perles et trois collets de toile, deux à fraise et un renversé, ainsi que lors le portoient les dames de la cour. >>

Au milieu de ces passe-temps frivoles qui absorbaient l'esprit du roi, un hasard heureux pensa servir la France plus que ne l'eussent fait dix années de guerre : une couronne fut offerte au frère du roi, au duc d'Anjou. Les PaysBas s'efforçaient alors d'échapper au joug de Philippe II,

dont les féroces lieutenants laissaient partout des traces de leur passage. Le duc d'Anjou succédait à l'amiral de Coligny dans ses projets de guerre contre l'Espagne, aux Pays-Bas, et cette nation, indépendante de fraîche date, proposait de se soumettre au gouvernement du frère de Henri III. D'Anjou travaillait donc activement à acquérir cette couronne : il la toucha un instant, et elle lui échappa après quelques vaines tentatives.

L'année 1578 se passa tout entière en drames de palais, dont les mignons du roi furent les héros malheureux. L'honneur est à la pointe de l'épée Caylus et Maugiron succombent. La haine de parti s'entretient par le duel. Henri de Guise trouve l'assassinat plus commode, et dit à ses tueurs d'en finir promptement avec Saint-Mégrin. Une belle statue de marbre dissipa la douleur de Henri III, à la mort de son dernier favori : et Brantôme ajoute : « Qu'il y était passé en proverbe à Paris, quand on en voulait à un «<courtisan il faut le faire tailler en marbre, comme les << autres. >>

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L'année 1579 commence par une révision et une extension du traité de Poitiers. Le roi et sa mère se flattaient de ramener peu à peu les mécontents à la concorde par des concessions qui, en dernier résultat, furent aussi inutiles que toutes les précédentes. Catherine, sous prétexte de reconduire Marguerite de Valois au roi de Navarre, son époux, partit avec elle et ne s'arrêta qu'à Nérać, où quelques conférences s'ouvrirent sur l'état présent des choses. Au lieu de neuf villes, quatorze furent données aux rebelles : on leur accorda le droit de construire des temples et celui de faire des levées d'argent pour leurs ministres. Puis Catherine revint auprès de son fils. Elle avait espéré pouvoir détacher le roi de Navarre du parti ennemi : elle ne parvint qu'à lui enlever La Réole, au milieu d'un bal.

La rupture ne tarda pas à arriver, comme tout le faisait

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