Page images
PDF
EPUB

Vers ce temps mourut le cardinal de Lorraine, soutien aussi obstiné qu'ambitieux de la famille des Guises: on soupçonna Catherine de l'avoir fait empoisonner, comme cela arrivait toujours à la mort de quelque important personnage. Mais un autre grandissait qui devait bien égaler ses prédécesseurs en puissance et en faveur, Guise le Balafré. Son seul antécédent n'est encore que le meurtre de Coligny, sa célébrité commence à la Saint-Barthélemi et finit aux états de Blois.

La mort du cardinal de Lorraine fut suivie de près par le mariage d'Henri III avec Louise de Vaudemont, qui fut toujours triste au milieu des grandeurs royales et des fêtes continuelles de la cour (1575). Pendant que le roi passait des jours entiers à arranger des diamants sur ses habits, à présider à la toilette de sa nouvelle épouse, les conférences de Millau se terminaient par un compromis entre les calvinistes et les politiques qui formaient un état à part dans l'état. Des chefs étaient nommés pour connaître de la justice et de l'administration, régler l'impôt, la levée des troupes et leur discipline. La reine-mère perdit sa peine à vouloir neutraliser l'effet de cette ligue; les tracasseries, les petites intrigues de cour achevèrent d'embrouiller les choses et fournirent encore aux mécontents de nouveaux appuis (1575).

Pendant que les calvinistes et le tiers-parti organisaient une confédération républicaine au delà de la Loire, la cour et son roi, peu soucieux des affaires importantes, pourvu que chaque instant apportât des plaisirs nouveaux, se consumaient dans la plus honteuse mollesse et dans des intrigues d'amour, dont Marguerite de Valois était le plus souvent l'héroïne : son époux, celui qui devait être Henri IV, demeurait spectateur indifférent de tout ce qui se passait sous ses yeux, lorsque vint enfin l'instant de cesser cette vie nonchalante, pour une autre plus glorieuse et plus rude.

Le duc d'Alençon conservait toujours des rapports secrets avec les mécontents, et il attendait impatiemment l'occasion de voler entre leurs bras. Les persécutions continuelles du roi et de ses mignons, s'amusant de sa piètre tournure, de son extérieur peu gracieux, ne faisaient qu'accroìtre ce désir. Le roi de Navarre consentait volontiers à le suivre dans sa fuite, à charge de rentrer sous le joug, si le coup venait à manquer. Enfin, les fédérés avaient ourdi habilement le complot; le duc d'Alençon quitta la cour à l'insu de tous les courtisans, et même de la vigilante Catherine, qui n'était pas sans prévoir l'événement (septembre 1575). Le roi de Navarre n'avait pas eu le temps de le suivre.

Le duc, une fois en sûreté au milieu des rebelles, rédigea un mémoire de protestations de fidélité au roi, qu'aveuglaient de mauvais conseils, et en même temps il fit activer la marche du secours envoyé par le prince Casimir. Les reitres passèrent le Rhin pour opérer leur jonction avec l'armée d'outre-Loire. Mais le jeune Guise prit le commandement de l'armée royale, et courut s'opposer au passage de Casimir. Les Allemands furent battus près de ChâteauThierry, et n'en continuèrent pas moins leur route vers le sud, tant l'incurie du conseil royal était grande, tant on mettait de négligence à envoyer des renforts au duc de Guise! Ce fut là que ce prince reçut au visage sa fameuse balafre.

Le succès inutile de Château-Thierry amena une trêve déshonorante pour le roi, qui livrait aux ennemis des villes importantes telles que Niort, Angoulême, La Charité, Bourges, Saumur et Mézières, et payait en outre les garnisons que les vainqueurs y placeraient. En même temps, Henri III était déclaré, par la diète polonaise, déchu du trône qu'il avait quitté avec une brusquerie si peu royale (1575).

Avec son règne, nous l'avons dit, commençait celui des favoris: le premier, par ordre chronologique, était Du Guay le mignon, superbe même avec les parents de son maître, et qui s'était attiré au plus haut point la haine de Marguerite de Valois. Non content de rire de ses égarements de femme, il prenait à tàche, disent les mémoires de Marguerite, de la perdre dans l'esprit du roi. Un coup de poignard le frappe presque sous les yeux de son maître. La mort de ce favori n'affligea pas plus Henri que les malheurs présents de la guerre civile 1. Pour chasser le souci, il ordonna de pompeuses fêtes religieuses, où il figura avec tout le faste qu'il chérissait tant.

Mais pendant que la cour prenait ses ébats à Paris, les confédérés faisaient sans cesse de nouveaux progrès. Les

[ocr errors]

1 Ces événements n'altéroient que foiblement la tranquillité de Henri III, le plus facile des hommes à se consoler de ses disgrâces. C'étoit pour faire diversion à ses chagrins, qu'il se livroit à des occupations et à des amusements si disparates, et qui l'affectoient tellement, qu'ils paroissoient alors sa principale occupation. Le journal de sa vie présente une infinité de ces sortes d'actions, quelquefois excellentes en elles-mêmes, quelquefois simplement puériles, mais presque toujours faites à contretemps. Nonobstant toutes les affaires de la guerre et de la rébellion que le roi avoit sur les bras, il alloit ordinairement en coche avec la reine son épouse, par les rues et maisons de Paris, prendre les petits chiens qui leur plaisoient; alloient aussi par tous les monastères des femmes, aux environs de Paris, faire pareilles quêtes de petits chiens, au grand regret des dames qui les avoient; se faisoient lire la grammaire et apprendre à décliner.

Le même prince, en octobre et novembre, pendant que les rebelles se fortifioient à l'ombre de la trêve fit mettre sus par les églises de Paris, les oratoires, autrement dit les paradis, où il alloit tous les jours faire des aumônes et prières en grande dévotion, laissant ses chemises à grands goderons, dont il étoit aupa

* Journal de Henri III.

reìtres étaient sur le point de joindre l'armée calviniste, lorsqu'un autre auxiliaire arriva inopinément au milieu d'eux, c'était le roi de Navarre, qui était parvenu à fuir de la cour en trompant la vigilance des courtisans et de toute la famille royale. « Il y avait longtemps aussi, ajoute d'Au<«< bigné, qu'il jouait le rôle de Brutus à la cour de Tar« quin. » Il secoua tout à coup sa nonchalance et apparut au milieu de ses coreligionnaires pour commencer avec eux ces laborieuses journées qui l'ont fait surnommer Henri le Grand. Les confédérés avaient à leur tête trois princes du sang, d'Alençon, Condé et le roi de Navarre. Ils ne cachaient pas leur dessein de marcher contre Paris, et l'on ne pouvait prévoir alors où s'arrêteraient leurs succès aussi bien que leurs prétentions. Henri III, qu'on venait interrompre

ravant si curieux, pour en prendre le collet renversé à l'italienne. Il fit faire procession générale et solennelle, en laquelle il fit porter les saintes reliques de la Sainte-Chapelle, et assista tout du long disant son chapelet en grande dévotion. Par son ordre, la ville et la cour y assistèrent, hormis les dames que le roi ne voulut qu'elles s'y trouvassent, disant qu'il n'y avoit dévotion où elles étoient.

C'est encore un problème de savoir si Henri vaquoit à ces exercices de religion par hypocrisie, par amour du spectacle, ou par véritable dévotion. Il seroit trop dur de taxer d'hypocrisie un homme qui ne sut jamais prendre sur lui-même de cacher ses vices: mais on peut lui soupçonner de l'ostentation, quand il assistoit à ces cérémonies avec un air de parade et de vaine complaisance; le taxer de légèreté, quand après il étoit le premier à rire des bouffonneries qui avaient échappé à ses jeunes mignons, sous le sac de pénitents; enfin lui reprocher de l'inconséquence, quand, non content de dire son chapelet de têtes de morts le long des rues, il le marmotoit au bal et dans des parties de débauche, et quand il l'appeloit en plaisantant le fouet de ses grandes haquenées. Peutêtre aussi qu'ayant été mal élevé, il se persuada que la religion ne consistoit que dans des dehors, qui n'en doivent jamais être que l'accessoire.

dans ses plaisirs et ses fêtes pour lui annoncer l'approche des ennemis, résolut d'en finir avec des inquiétudes à tout moment renaissantes. Des pourparlers s'établirent de part et d'autre, et l'on conclut à Loches, par les soins de Catherine, une paix des plus avantageuses pour les rebelles et leurs alliés. D'Alençon prenait le titre de duc d'Anjou par l'investiture de cette province, du Berri et de la Touraine, Condé était pourvu du gouvernement de Picardie; on payait au prince Casimir la solde échue de ses troupes; l'œuvre de la Saint-Barthélemi était ensuite désavouée, et la mémoire de Coligny réhabilitée; la liberté religieuse solennellement proclamée et l'entrée au parlement ouverte aux calvinistes; et enfin, pour dernière clause, les états-généraux étaient convoqués à Blois pour la mi-novembre, afin de pourvoir à la réforme des nombreux abus de l'administration (1576).

Le résultat d'un tel accommodement est un fait grave dans l'histoire de nos dissensions civiles, car la royauté, au lieu d'un parti qu'elle avait à combattre tout à l'heure, en voit un second tout aussi redoutable s'élever contre son inviolabilité hier, ce n'étaient que les calvinistes; aujourd'hui, les catholiques se présentent, non de concert avec les premiers, mais attaquant d'un autre côté.

Les clauses du traité de Loches avaient excité la plus vive indignation dans la France catholique, qui, depuis longtemps déjà, murmurait contre l'incapacité gouvernementale de Henri III. Attentive à saisir tous les moyens d'élévation, la famille des Guises ourdissait par toutes les provinces des trames qui ne tendaient à rien moins qu'à une révolution dynastique. Seul prince de toute la cour qui ne prît aucune part à ses licencieuses fêtes, l'aîné de la race, Henri de Guise, était l'idole du parti. A chaque nouvelle faute du roi, Guise proclamait hautement la conduite qu'il aurait fallu tenir; ses agents soufflaient partout le mécon

« PreviousContinue »