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CHAPITRE XVI.

CONSULAT.-EMPIRE.

«La France entière accueillit avec transport la nouvelle du 18 brumaire. On était las de factions, tout autant que Bonaparte, las des revirements de l'opinion, las de la faiblesse du Directoire; on sentait le besoin d'un gouvernement central, constitué vigoureusement et dirigé par une main habile. Personne ne songeait à l'avenir que la scène de l'Orangerie préparait à la France; personne ne voyait que la révolution nouvelle s'était faite au profit d'un seul homme. Les républicains applaudissaient à l'élévation d'un général sorti de leurs rangs, formé à la dure école des armées de 93; les royalistes, jugeant le temps présent par des comparaisons historiques, espéraient un nouveau Monck; les modérés saluaient la venue d'une liberté sage et sans orages. Les directoriaux seuls criaient à l'usurpation; aussi furent-ils seuls frappés; trente-sept d'entre eux furent condamnés à la déportation dans la Guiane, vingt-un à la mise en surveillance dans le département de la Charente-Inférieure; mais l'improbation pu

blique força le pouvoir à réduire, puis à annuler la peine. Trois consuls avaient été nommés provisoirement, Bonaparte, Sieyès et Roger-Ducos, et deux commissions législatives chargées de discuter la constitution définitive. Les premiers actes du gouvernement consulaire furent l'abolition de la loi des otages pour les émigrés et de l'emprunt forcé, le rappel des prêtres proscrits, le renvoi hors de la frontière des émigrés naufragés sur les côtes de Calais et détenus depuis quatre ans sous le poids d'une condamnation à mort.

« Les auteurs du 18 brumaire ne s'entendaient déjà plus. Sieyès avait travaillé pour sa constitution, et Bonaparte pour lui-même; de là la rupture, car la constitution de Sieyes anéantissait tout espoir d'ambition personnelle. C'était une machine à ressorts compliqués, mais grande et qui eût pu convenir à la France de l'an vIII. Le pouvoir exécutif résidait dans le Proclamateur-électeur, fonctionnaire supérieur, inamovible, irresponsable, chargé de la représentation extérieure, de la nomination d'un conseil d'état et d'un ministère responsable, choisissant, dans les listes de candidats présentées par le peuple, des juges et des administrateurs à tous les degrés de la hiérarchie judiciaire et administrative, du reste incapable de gouverner.... Cette œuvre vraiment prodigieuse ne convenait nullement à Bonaparte, qui eût été de droit le proclamateur-électeur. << Et comment avez-vous pu imaginer, dit-il à Sieyès, qu'un << homme de quelque talent et d'un peu d'honneur voulût « se résigner au rôle d'un cochon à l'engrais de quelques << millions?» (Sieyès lui destinait six millions de revenu, le palais de Versailles et une garde de trois mille hommes). Le premier consul, avec sa sagacité ordinaire, choisit dans cette constitution tout ce qui pouvait lui être utile, tout ce qui tendait à l'unité et à la ruine des passions populaires, et le 24 décembre 1799 (nivôse an vii), la constitution

de l'an vIII, fut proclamée et acceptée par une immense majorité de trois millions onze mille sept citoyens. Le pouvoir exécutif appartint au premier consul, qui eut sous lui deux consuls à voix consultative. Il y eut un sénat, un tribunat, un corps législatif; les droits du peuple se bornèrent à présenter une liste de candidats nationaux, dans laquelle un sénat de quatre-vingts membres primitivement nommés par les-consuls dut choisir les cent membres du tribunat et les trois cents de l'assemblée législative; l’initiative des lois fut réservée au gouvernement.

« Le premier consul s'adjoignit pour seconds Cambacérès, ancien conventionnel de la Plaine, et Lebrun, jadis agent du chancelier Meaupeou ; il nomma l'ex-émigré Talleyrand et le régicide Fouché aux relations extérieures et à la police. Sa politique consistait à ménager une sorte de fusion entre les opinions les plus opposées et à les intéresser toutes à sa grandeur future qu'il rêvait déjà: << Nous formons, disait-il, une nouvelle époque; il ne << faut nous souvenir dans le passé que du bien et oublier «<le mal. » Les listes d'éligibilité n'étaient pas encore faites, lorsque les consuls choisirent soixante sénateurs; ceux-ci nommèrent à leur tour les cent tribuns et les trois cents législateurs (Théod. Burette. Continuation de l'Histoire de France d'Anquetil).

« Ainsi, dit l'ex-directeur Gohier dans ses Mémoires, une minorité pitoyable crée, le 19 brumaire, trois commissions provisoires. Ces trois commissions provisoires, sans être un corps constituant, créent une constitution; cette constitution engendre un grand consul; le grand consul engendre deux nouveaux consuls et des conseillers d'État; les deux nouveaux petits consuls, réunis avec deux petits consuls provisoires métamorphosés en sénateurs, engendrent la moitié du grand corps dont ceux-ci sont déjà membres; cette moitié engendre l'au

tre moitié, et ce grand corps politique, qu'on appelle par antiphrase sénat-conservateur, étant ainsi complétement engendré, il engendre un corps législatif et un tribunat. » Quoi qu'il en soit de ces récriminations plaisamment formulées par le parti vaincu, l'organisation intérieure se trouva rapidement achevée, et Bonaparte, devenu légalement le maître, put jeter un coup d'œil sur l'Europe qui regardait faire et attendait. La Russie, qui avait chassé les républicains de l'Italie et qui leur avait si vivement disputé à la journée de Zurich le champ de bataille, s'était retirée de la lice; un revirement avait eu lieu dans la politique impériale, et l'empereur Paul Ier, se posant en admirateur passionné du premier consul, avait même signifié au cabinet britannique la fermeture de ses ports. Mais l'Autriche se tenait encore sous les armes, et l'Angleterre persévérait dans sa lutte d'extermination contre les principes démocratiques, ou plutôt contre le commerce et les marines du continent. Bonaparte, obéissant aux manifestations de l'opinion publique, qui penchait vers la paix, fit des ouvertures en ce sens au roi de la GrandeBretagne, et reçut une réponse dédaigneuse, où le refus de traiter était motivé sur le peu de stabilité du nouveau gouvernement. Le moment de la pacification n'était pas encore venu; le premier consul se prépara vigoureusement à la guerre ; il dénonça à la nation les horribles projets du cabinet de Saint-James, appela les citoyens aux armes au nom de l'honneur de la France et des intérêts sacrés de l'humanité, et descendit en Italie avec quarante mille hommes, tandis que le général Moreau opérait sur toute la ligne du Rhin avec une formidable masse de cent cinquante mille combattants. La campagne de 1800 fut aussi courte que glorieuse. Le général autrichien Mélas, qui occupait la Lombardie avec cent trente mille hommes, avait reçu la mission de prendre Gênes et de pénétrer en

Provence par les Apennins et le Var; il poussait vivement devant lui le brave Masséna, qui s'était longtemps maintenu dans les montagnes contre tout ce vaste déploiement de forces, lorsque le premier consul, franchissant le grand Saint-Bernard, pénétra dans Milan (16 prairial, 4 juin) et déboucha sur les derrières de l'ennemi. La retraite de Mélas était coupée; la bataille devint inévitable. Le 9 juin, le général Lannes rencontra à Montebello l'avantgarde du général Ott, qui revenait du siége de Gênes, où Masséna avait capitulé après une résistance désespérée, et il lui tua trois mille hommes. Le 14 juin (26 prairial), on se heurta dans la plaine de Marengo, et cette brillante journée décida du sort de l'Italie. Mélas crut un instant avoir gagné la bataille, et il avait déjà confié à l'un de ses lieutenants le soin de poursuivre les fuyards, lorsque la division Desaix entra en ligne; le jeune général, qui arrivait d'Égypte, fut atteint d'une balle au cœur et tomba, en prononçant des paroles devenues célèbres, mais en un clin d'œil les Impériaux furent rompus, culbutés, rejetés en désordre au delà de la Bormida. Mélas était perdu sans ressource; il demanda une suspension d'armes et s'engagea, par la convention d'Alexandrie, à reculer jusqu'au delà du Mincio, en livrant toutes les places du Piémont, du Milanais et des Légations. L'Italie était reconquise, Bonaparte remit son armée victorieuse entre les mains de ses lieutenants et se hâta de revenir à Paris, où sa présence excita un enthousiasme universel. Moreau, qui ne possédait pas au même degré que le premier consul le génie de l'improvisation stratégique, ne fut pas moins heureux. Il envahit l'Allemagne à la tête d'une armée de cent mille hommes, déduction faite des détachements qu'il laissait à Mayence et en Helvétie (avril et mai, vainquit les Impériaux à Stockack, à Moskirch, à Biberach, à Memmingen, à Hochstett, s'empara d'Augsbourg et de Munich, et força les généraux au

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