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nal révolutionnaire, dominé par Fouquier-Tinville, put envoyer journellement à la mort des fournées de cinquante ou soixante personnes. Barnave, Malesherbes, madame Élisabeth de France, tous les prisonniers illustres avaient déjà péri; ce fut le tour des victimes plus obscures, et du 22 prairial au 9 thermidor (10 juin - 27 juillet) douze cent quatre-vingt-cinq personnes furent envoyées à l'échafaud. Heureusement que le règne de la terreur tirait à sa fin; le triumvirat de Robespierre, Couthon et Saint-Just, qui avaient formé entre eux une étroite union, inquiétait leurs collègues Billaud-Varennes, Collot d'Herbois et Barrère, dont l'importance politique allait s'amoindrissant tous les jours.

Les membres les plus influents du comité de sûreté générale, Amar, Vadier, Vouland, n'avaient laissé périr les Hébertistes qu'à regret, et ils voyaient leur autorité s'effacer devant celle du comité de salut public. Dans la convention, les amis de Danton, Tallien, Bourdon de l'Oise, Legendre et nombre d'autres, redoutaient une nouvelle liste de proscription, en tête de laquelle auraient figuré leurs noms. Tous ces ressentiments divers se firent jour peu à peu, et l'opposition grandit en dépit de la crainte. Nous l'avons dit, Robespierre n'était pas un homme d'action; il ne prit pas l'initiative des hostilités; il souffrit qu'on ridiculisàt son pontificat de la fête à l'Être Suprême, qu'on flétrît ses prétentions à la tyrannie, qu'on l'appelât Pisistrate, et lorsque le comité de sûreté générale eut fait condamner une vieille illuminée, Catherine Théot, dans les rêves enthousiastes de laquelle il jouait un des premiers rôles, il se mit à l'écart des comités et ne se montra plus qu'au club des Jacobins. Là il se plaignait avec amertume de ses ennemis, et organisait lentement le plan d'une dernière insurrection, dans laquelle il les aurait tous frappés; il n'attendait plus que le retour de Saint-Just, que ses adversaires voulurent en vain rattacher à leur cause. Le 8 thermidor,

il reparut à la convention et attaqua violemment tous ceux qui voulaient perdre la république par les excès ou par la modération; c'était ainsi qu'il avait procédé contre Hébert et Danton, et il comptait sur un semblable dénouement; la convention, encore indécise, ne fit entendre ni un applaudissement, ni un murmure; les Jacobins, qui lui appartenaient entièrement, couvrirent son discours d'acclamations frénétiques, et la lutte fut ajournée au lendemain. Pendant toute la nuit, les montagnards qu'il avait accusés sans les nommer, coururent chez les représentants de la droite et de la Plaine, qui ne s'étaient pas prononcés, et qui se souvenaient que Robespierre avait sauvé soixantetreize des leurs, mis en état d'arrestation au mois d'octobre précédent, pour avoir protesté contre l'insurrection du 2 juin; ils réussirent enfin à les gagner, et, le thermidor, au début de la séance, la majorité fut formée contre les triumvirs. Aussi, lorsque Saint-Just essaya de parler, Tallien l'interrompit avec véhémence, et demanda que le voile fût entièrement déchiré. Billaud-Varennes prit la parole et dénonça hautement les projets de dictature de Rcbespierre; celui-ci voulut répondre, et sa voix fut couverte par des cris furieux : « A bas le tyran! à bas le tyran! » Un tumulte effroyable régnait dans la salle; le président Thuriot agitait sa sonnette, et Robespierre lui criait en vain d'une voix irritée : « Pour la dernière fois, me donneras-tu la parole, président d'assassins?» Il s'adressa alors aux députés de la droite et ne rencontra que des regards glacés; son visage était livide, sa bouche écumait : « Malheureux, lui dit un montagnard, le sang de Danton t'étouffe. » Son arrestation fut décrétée à l'unanimité avec celle de Couthon, de Saint-Just, de Lebas et de Robespierre jeune; les deux derniers avaient généreusement réclamé leur part de responsabilité. La convention triomphait dans son enceinte, mais le combat n'était pas terminé. Le con

seil - général de la commune s'était réuni; au premier bruit de l'incarcération de Robespierre et de ses collègues, elle les envoya chercher, et les accueillit à bras ouverts; le maire Fleuriot et l'agent national Payan proclamèrent l'insurrection; le club des Jacobins se déclara en permanence; le commandant Henriot, qui avait été d'abord arrêté dans la rue Saint-Honoré, fut délivré par deux cents canonniers et se mit à la tête de la force armée. Il arriva sur la place du Carrousel et fit hraquer l'artillerie sur la salle des séances. Le moment était critique pour la convention: « Citoyens, dit le président qui s'était couvert en signe de « détresse, voici le moment de mourir à notre poste; » et tout le monde s'assit dans l'attente du premier coup de canon. Ce n'était qu'une fausse alarme; Henriot ne put jamais décider ses canonniers à commencer le feu, et il se replia sur la place de Grève, au moment où l'assemblée mettait les conspirateurs hors la loi. Les bataillons sectionnaires vinrent peu à peu se ranger autour des Tuileries; lorsqu'ils furent en nombre, Barras nommé commandant de la force armée et secondé par Fréron, Rovère, Bourdon de l'Oise, Féraud, Léonard Bourdon, Legendre, les mena à l'attaque du poste central des insurgés: «Les mo«ments sont précieux, avait dit Fréron, il faut agir; Barras « est allé prendre les ordres des comités. Nous allons mar«< cher contre les rebelles. Nous les sommerons, au nom de << la convention, de nous livrer les traîtres, et, s'ils refu<< sent, nous réduirons en poudre cet édifice; » et le président lui avait répondu : « Partez de suite, afin que le jour << ne paraisse pas avant que la tête des conspirateurs « soit tombée. » On arriva vers minuit à l'Hôtel-de-Ville, où les conjurés étaient toujours rassemblés; la place de Grève n'était même pas défendue; la mise des conspirateurs hors la loi avait produit un effet merveilleux, et tous leurs partisans s'étaient débandés. A la vue des colonnes conven

tionnelles, les triumvirs comprirent qu'ils étaient perdus ; Robespierre se tira un coup de pistolet, et ne se brisa que la mâchoire; Lebas se frappa d'un main plus assurée; Robespierre jeune sauta d'un troisième étage sans pouvoir se tuer; Coffinhal, vice-président du tribunal révolutionnaire, accusant la lâcheté d'Henriot, le précipita dans un égout, d'où il fut retiré à moitié mort; Couthon se cacha sous une table; Saint-Just attendit ses ennemis sans changer de visage. Le lendemain on les conduisit au supplice, au milieu d'une foule immense, qui les accablait d'imprécations. Robespierre, défiguré par sa blessure, montra une insensibilité complète: Saint-Just garda jusqu'au dernier moment son attitude calme et dédaigneuse. Vingt-deux têtes tombèrent ce jour-là, et le régime de la terreur eut fait son temps (10 thermidor an II, 28 juillet 1794).

CHAPITRE XV.

DEPUIS LE 9 THERMIDOR JUSQU'AU 18 BRUMAIRE.

A la journée fameuse du 9 thermidor, finit sans retour la période ascendante de la révolution; depuis cette époque décisive, le mouvement révolutionnaire ne fit que décroitre jusqu'au jour où les partis, définitivement usés par la violence des luttes, par l'immensité des événements, par la diversité de leurs transformations successives, vinrent s'absorber en un seul homme, un des derniers venus, qui recueillit tout l'héritage de ceux qui l'avaient précédé. La grande bataille de la veille ne s'était pas livrée précisément entre les fauteurs du modérantisme et les partisans de la terreur; il n'y avait pas, entre les triumvirs et la majorité des comités, une question de clémence en jeu ; à tout prendre mème, Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois, Amar, Vadier, Vouland, étaient des terroristes plus implacables que Robespierre, Couthon et Saint-Just. On ne s'était heurté que dans un intérêt de conservation personnelle; mais

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