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neuf membres; six cent quatre-vingt-trois déclarèrent la culpabilité de Louis XVI; l'appel au peuple fut rejeté par quatre cent vingt-trois voix contre deux cent quatre-vingt-une (15 janvier). Il ne restait plus qu'à voter sur le degré de la peine; mais c'était là le moment le plus terrible de cette imposante scène. La multitude avait envahi toutes les tribunes, et ses clameurs, ses injures, ses imprécations paralysaient la résolution des députés les plus courageux. Plusieurs d'entre eux ne s'étaient rendus à la séance que dans la ferme intention de tout tenter pour sauver l'accusé, mais bien peu surent résister à l'influence de ces visages menaçants, de ces gestes impérieux, de ces sombres hurlements. L'appel nominal dura longtemps; les spectateurs demeuraient indécis, car il y avait doute pour eux dans la majorité, et l'on s'imaginait avoir entendu aussi souvent: la réclusion et le bannissement que: la mort. Sept cent vingt-un membres étaient présents, et la majorité absolue était de trois cent soixante-une voix. Le président Vergniaud proclama le résultat du scrutin; il y avait deux cent quatre-vingt-six voix pour la détention ou le bannissement, deux pour les fers, quarante-six pour la mort avec sursis, soit jusqu'à la paix, soit jusqu'à l'établissement de la constitution, vingt-six pour la mort, mais avec la demande qu'on examinât s'il ne serait pas convenable de surseoir à l'exécution, trois cent soixante- une pour la mort sans condition. Vergniaud ajouta alors d'une voix profondément émue : « Je déclare, au nom de la conven«<tion, que la peine qu'elle prononce contre Louis Capet « est la mort. » On entendit quelques sanglots dans l'auditoire; c'était un vieillard, Malesherbes, qui pleurait sur la destinée de son ancien roi (17 janvier). Les défenseurs recoururent à un moyen déjà rejeté, l'appel à la nation ; la convention passa à l'ordre du jour; ils réclamèrent un sursis, et cette demande fut encore repoussée par trois cent

quatre-vingts voix contre trois cent dix. Désormais rien ne pouvait écarter l'échafaud de la tête de Louis XVI; lorsque Malesherbes alla lui annoncer sa condamnation, il se jeta dans ses bras, et le ministre de la justice, Garat, chargé de lui notifier la sentence, le trouva calme et résigné. Sa dernière entrevue avec sa famille fut déchirante, et ses geoliers eux-mêmes ne purent échapper à l'émotion. La veille de sa mort, il dormit paisiblement; le 21 janvier à cinq heures du matin, il se leva, assista à la messe célébrée par un ecclésiastique qu'on lui avait permis de voir, M. Edgeworth de Firmont, communia pieusement, et à huit heures, quand Santerre vint le chercher, il était prêt au départ. L'épisode de son testament est trop connu pour que nous le rapportions ici; on se mit en marche au milieu d'un silence universel, entre deux haics de peuple armé. Paris tout entier était triste et morne, et les exaltés seuls étaient accourus pour voir consommer le supplice. Les jacobins attendaient avec anxiété la fin de cet interminable drame; un des députés qui avaient voté la mort, Lepelletier-St-Fargeau, venait d'être assassiné par un garde du corps nommé Pàris, et l'on n'avait pu mettre la main sur le meurtrier. La commune craignait un soulèvement royaliste, et avait pris de nombreuses précautions. A dix. heures dix minutes, la voiture arriva sur la place de la Révolution, encombrée de canons et de fédérés. Louis XVI descendit et se livra aux bourreaux; avant de poser sa tête sur la planche fatale, il s'écria: « Français, je meurs << innocent des crimes qu'on m'impute; je pardonne aux « auteurs de ma mort, et je demande que mon sang ne << retombe pas sur la France. » A ce moment, un roulement de tambour lui coupa la parole : « Fils de Saint-Louis, montez au ciel, » lui dit M. Edgeworth, et à dix heures un quart, la grande expiation des fautes de la monarchie était accomplie; Louis XVI avait cessé de vivre, et l'on criait

autour de l'échafaud: Vive la république! vive la nation! A l'heure où tombait la tête de Louis XVI, la France délivrée des terreurs de l'invasion, avait pénétré à son tour sur le territoire ennemi. Le général Custine, qui s'était étendu au delà du Rhin, avait été forcé de repasser le pont de Mayence et de se renfermer dans cette forteresse (décembre). Beurnonville, qui commandait l'armée de la Moselle, avait fait sur l'électorat de Trèves, une tentative infructueuse, et s'était laissé battre à Pellingen par les Autrichiens (15 décembre). Mais Dumouriez avait marché avec cent mille hommes sur la Belgique, gagné l'importante bataille de Jemmapes (6 novembre), où se distingua le jeune duc de Chartres, fait son entrée dans Bruxelles (14 novembre), occupé Anvers, Namur, culbuté de nouveau les impériaux à Tirlemont, et rejeté Clairfait derrière la Roër. Les Pays-Bas autrichiens étaient conquis; l'armée française, maitresse d'Aix-la-Chapelle, de Verviers et de Spa, s'établissait entre la Meuse et l'Escaut et prenait là ses quartiers d'hiver (17 décembre). La campagne de 1792 finissait glorieusement pour la république, et l'on commençait à espérer pour l'année suivante des triomphes encore plus décisifs.

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CHAPITRE XIV.

DEPUIS LA MORT DE LOUIS XVI JUSQU'AU 9 THERMIDOR.

L'exécution de Louis XVI donna une nouvelle impulsion à l'esprit révolutionnaire et fut le signal d'une lutte à mort entre la république et les monarchies. Au dedans, les royalistes et les constitutionnels, que les égorgements de sep tembre avaient terrifiés, levèrent la tête et protestèrent avec énergie contre cet horrible drame judiciaire; Lyon préluda, par la fermeture de son club des jacobins, à la résistance, et bientôt à la guerre civile. Au dehors, un cri d'indignation courut d'un bout de l'Europe à l'autre, et la coalition prit de gigantesques développements. L'Angleterre, qui ne se souvenait plus de Charles Ier, intima à l'envoyé français, Chauvelin, l'ordre de sortir avant huit jours du territoire britannique et mit ses flottes en mer; le 15 janvier, l'agent républicain auprès de la cour pontificale, Basseville, avait été massacré à Rome. L'Espagne, qui jusqu'alors avait gardé la neutralité, et qui, tout récemment encore avait promis de ne pas s'en départir, si l'on respectait la vie de

Louis XVI, se prépara à la guerre ; la Hollande, le Portugal, les Deux-Siciles, la cour de Rome, les princes de la confédération germanique, armèrent avec vigueur; la Russie, qui était occupée au second partage de la Pologne et qui d'ailleurs n'avait aucun intérêt immédiat dans la lutte, demeura sur le second plan, mais elle prêta aux alliés són appui moral, et vers le milieu de 1793, il ne resta plus, sur le continent européen, de puissances neutres que Venise, la Suisse, la Suède, le Danemarck et la Turquie. Le péril des royautés était le grand prétexte des puissances belligérantes, et chacune d'elles comptait bien, sous ce voile commode, exploiter à son profit la croisade universelle. La Grande-Bretagne, pour laquelle un homme de génie, William Pitt, avait rêvé la prépondérance maritime; l'Autriche, qui avait perdu la Belgique et qui craignait pour l'Italie; la Prusse, qui cherchait peut-être une occasion d'agrandissement, marchaient en tête des alliances, et les États secondaires suivaient en aveugles le mouvement imprimé.

Devant ce redoutable faisceau de ressentiments et de menaces, la convention n'avait pas à reculer; elle jeta audacieusement le gant à toute l'Europe, et jura de vaincre ou de mourir. Elle comptait dans ses rangs un homme d'une incroyable énergie, au nom duquel se rattachent toutes les mesures de salut public qui sauvèrent la république; Danton prit l'initiative, et les votes d'enthousiasme se succédèrent sans relàche. La guerre fut déclarée à l'Angleterre et à la Hollande; le 1er février, on décréta, pour faire face aux besoins pécuniaires qui n'avaient fait que s'accroître depuis la Constituante; une émission nouvelle de trois cent millions d'assignats, ce qui en portait le nombre à deux milliards cinq cent dix-huit millions; le 26, on ordonna une levée de trois cent mille hommes pour renforcer les armées; le 1er mars, un décret fut porté qui in

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