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Rhin et les Pays-Bas, en culbutant tout devant eux. Le 25 juillet, au quartier-général de Coblentz, le duc de Brunswick sentant que l'étrangeté des circonstances au milieu desquelles commençait la guerre, nécessitait une solennelle déclaration de principes, annonça au nom de l'empereur et du roi de Prusse, que la mesure avait été comblée par ceux qui avaient usurpé en France, les rênes de l'administration, qu'ils avaient supprimé arbitrairement les droits et possessions des princes allemands en Alsace et en Lorraine, renversé dans l'intérieur le bon ordre et le gouvernement légitime, exercé contre la personne sacrée du roi, et contre son auguste famille, de coupables violences; il ajouta que leurs majestés autrichienne et prussienne. n'avaient d'autre but que de faire cesser l'anarchie dans le royaume, d'arrêter les attaques portées au trône et à l'autel, de rétablir le pouvoir légal, de rendre au roi la liberté dont il était privé, et de le mettre en état d'exercer l'autorité légitime qui lui était due. Convaincu que la partie saine de la nation française, abhorrait les excès de la faction victorieuse, il s'engagea à protéger les villes, bourgs et villages qui se soumettraient au roi, c'est-à-dire aux armées combinées, et concourraient au rétablissement de l'ordre. Tous les généraux, officiers et soldats étaient sommés de revenir à leur ancienne fidélité; toutes les gardes nationales, tous les membres des départements, des districts et des municipalités, étaient tenus de veiller provisoirement à la tranquillité des villes et des campagnes, et rendus responsables sur leurs têtes, de tous les délits, incendies, assassinats, pillages, voies de fait qu'ils laisseraient commettre; tous les habitants qui oseraient se défendre, devaient être punis sur-le-champ, suivant la rigueur du droit de la guerre, et leurs maisons démolies ou brûlées. A Paris, tous les membres de l'assemblée nationale, du département, du district, de la municipalité, de la garde nationale, étaient menacés d'un

jugement militaire, sans espoir de pardon, s'il survenait des événements fàcheux à la royauté, et les deux princes déclaraient sur leur foi et parole d'empereur et roi, que si le château des Tuileries était forcé ou insulté, que s'il était fait la moindre violence, le moindre outrage à Louis XVI, à la reine, à la famille royale, que s'il n'était pas immédiatement pourvu à leur sûreté, conservation et liberté, ils en tireraient une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant la ville à une exécution militaire, et à une subversion totale.

Ce manifeste violent, que nous avons cité longuement, vu son importance politique, excita au plus haut degré l'ardeur révolutionnaire et hâta la terrible journée du 10 août. Les sections s'agitèrent; les clubs discutèrent ouvertement la question de la déchéance, qui avait sommeillé depuis la fuite de Varennes. Les chefs du parti populaire, en dehors de l'assemblée, Robespierre, Danton, Fabre d'Eglantine, Camille Desmoulins, Santerre, Marat, ce cynique odieux, dont le nom reparaîtra plus tard, tinrent de fréquents conciliabules et remuèrent les faubourgs. Une insurrection mal conçue avait failli éclater dès le 26 juillet; Pétion, qui avait été rétabli dans ses fonctions par un décret législatif, la fit ajourner de peur d'insuccès. Le 30 juillet, cinq cent seize Marseillais, qui se rendaient au camp de Soissons, arrivèrent à Paris suivis de trois pièces de canon, et tout aussitôt ils s'essayèrent à la lutte dans une rixe qui s'éleva aux Champs-Élysées entre eux et des grenadiers des sections royalistes des Petits-Pères et des FillesSt-Thomas. Le 3 août, Pétion, au nom de la commune, vint accuser le roi en pleine assemblée et demander sa déchéance; la pétition fut renvoyée au comité de l'extraordinaire. La législative était dans le plus grand tumulte; les constitutionnels savaient les projets de leurs ennemis et faisaient des efforts désespérés pour en prévenir l'explo

sion par des actes de vigueur; le 8, on agita la mise en accusation de Lafayette, et à grand' peine obtinrent-ils la majorité en faveur d'un acquittement; au sortir de la séance, ils furent maltraités, et des paroles menaçantes retentirent à leurs oreilles. Paris, abandonné à lui-même, appartenait désormais aux meneurs du parti populaire, et le mouvement insurrectionnel avait été fixé au surlendemain. L'alarme régnait au château, et la cour avait pris quelques mesures de défense. Huit à neuf cents Suisses s'étaient échelonnés dans l'intérieur; les officiers de l'ancienne garde soldée et des gentilshommes, mal armés de sabres, d'épées et de pistolets étaient accourus pour prêter main-forte à la royauté dans ce péril extrême; les ministres avaient accompli leur devoir et occupaient leur place auprès du roi; le commandant-général de la garde nationale, Mandat, avait donné ordre aux bataillons les plus fidèles de se rendre aux Tuileries, et la demeure royale était entourée d'artillerie. Vers quatre heures du matin, la reine manda auprès d'elle le procureur-syndic du département, Roederer, et lui demanda conseil. Roederer répondit qu'il ne voyait pour le roi d'autre moyen de salut que de se rendre à l'assemblée nationale, et cet avis, qui n'était pas alors le meilleur, puisqu'on pouvait résister, ne prévalut pas. A cinq heures, Louis XVI descendit dans les cours, et passa en revue les défenseurs du château qui l'accueillirent aux cris répétés de: Vive le roi ! Mais en même temps arrivèrent des bataillons à piques, qui criaient: A bas le veto! à bas le traître! et le malheureux monarque rentra découragé. La division s'était glissée dans les rangs de ceux qui avaient la pénible mission de défendre les Tuileries. La garde nationale avait vu avec peine se mêler à elle la troupe suspecte des gentilshommes, et des murmures improbateurs avaient circulé contre les aristocrates. Mandat, appelé par la commune à l'hôtel-de-ville, n'avait pas reparu, et l'on

allait bientôt apprendre qu'il avait été égorgé. L'unité du commandement n'existait donc plus, et le moment suprême de la crise approchait.

A minuit, les chefs de l'insurrection, qui s'ourdissait au faubourg Saint-Antoine, avaient donné le signal du mouvement, on avait battu la générale, sonné le tocsin, réuni tous ceux qui devaient être les héros de la journée. Les sections assemblées avaient retiré à la municipalité la confiance du peuple, et un nouveau conseil-général de la commune, nommé par elles, s'était installé à l'hôtel-deville; c'était ce pouvoir insurrectionnel qui, pour désorganiser la défense du château, avait fait venir l'infortuné Mandat. Vers six heures du matin, les hommes des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau s'ébranlèrent, au nombre d'environ vingt mille, après avoir pillé l'Arsenal; ils descendirent vers les Tuileries par les deux rives de la Seine; les fédérés marseillais et bretons, venus par la rue Saint-Honoré, avaient déjà envahi le Carrousel et dirigé vers le château la gueule de leurs canons. Roederer, à la tête du département, voulut les haranguer; ils ne tinrent nul compte de ses paroles. La garde nationale, postée en face d'eux, montra peu de résolution; les artilleurs déchargèrent leurs bouches à feu. L'instant était critique; Roederer alla dire au roi ce qu'il avait vu, et le pressa vivement de se rendre dans le sein de l'assemblée; la reine résistait et parlait de repousser la force par la force; mais la pensée du sang près d'être versé répugnait à Louis XVI, et la démoralisation que le procureur-syndic avait remarquée dans les rangs de la milice, acheva de le décider: << Marchons », dit-il avec fermeté, et il partit avec sa famille, ses ministres et les membres du département, entre deux haies de gardes nationaux. L'assemblée envoya une députation à sa rencontre; la foule, qu'ils rencontrèrent en chemin sur la terrasse des Feuillants, n'épargna au

monarque déchu, ni les qualifications injurieuses, ni même les menaces grossières. Lorsqu'il entra dans la salle des séances : « Messieurs, dit-il, je suis venu ici pour éviter << un grand crime, et je pense que je ne saurais être plus en « sûreté qu'au milieu de vous.— Sire, lui répondit le pré«sident Vergniaud, vous pouvez compter sur la fermeté << de l'assemblée nationale; ses membres ont juré de mourir <<< en soutenant les droits du peuple et les autorités consti«< tuées. » Le roi se plaça sur un fauteuil, à côté du président, mais un député ayant fait observer que sa présence interdisait toute espèce de délibération, il dut se retirer, accompagné de sa famille et de ses ministres, dans la loge du logographe, située derrière le bureau présidentiel. Son départ avait consterné les défenseurs des Tuileries, et la gendarmerie en avait profité pour se débander au cri de: Vive la nation! les artilleurs de la garde nationale s'étaient réunis aux Marseillais. Il n'était plus besoin de défendre le château, puisque le roi en était sorti, mais il restait une terrible question à résoudre entre les assaillants et les assiégés, une question de vie et de mort. Les Suisses, postés aux fenêtres, se tenaient l'arme au bras, dans une attente pleine d'anxiété; un moment on put croire que tout se passerait sans effusion de sang; puis, lorsqu'on s'avança des deux côtés comme pour fraterniser, des coups de fusil furent tirés, et la mêlée devint générale. Aux premières décharges de mousqueterie parties de l'intérieur, les Marseillais, saisis de frayeur, se dispersèrent, et la place du Carrousel fut dégagée. Bientôt cependant les agresseurs reparurent plus ardents et plus nombreux à l'heure où les Suisses recevaient l'ordre royal de ne pas tirer sur le peuple. Le canon des insurgés fit bruyamment son devoir, et les boulets populaires allèrent s'enfoncer dans les murs des Tuileries; les Suisses, fidèles jusqu'au bout, obéirent au commandement de celui qui n'était plus le maitre, et cherchèrent à fuir, la multitude,

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