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parlements, on marqua aux calvinistes une ville dans laquelle ils pratiqueraient en liberté leur religion. Du reste, l'édit ne portait aucune clause flétrissante, mais oubli total du passé, et reconnaissance que le prince et ses adhérents étaient de fidèles sujets du roi, qu'ils n'avaient pris les armes qu'à bonne intention et pour le bien de son service.

L'amiral fut outré de colère en apprenant que la paix était signée. « Ce trait de plume, dit-il, ruine plus d'églises << que les forces ennemies n'en auraient pu abattre en dix << ans. » Calvin, Bèze et les autres ministres, en firent de vifs reproches au prince de Condé : tous ensemble lui prédirent qu'il ne tarderait pas à s'en repentir; mais l'affaire était conclue, il n'y avait point à revenir. En conséquence, les prisonniers devinrent libres, et l'amiral fut obligé de souffrir, non sans chagrin, la dispersion de son armée. Les Allemands, reitres et lansquenets, furent renvoyés dans leur pays, payés des deniers du roi, avec un ample saufconduit pour traverser le royaume. » (Anquetil. Esprit de la Ligue.)

Catherine n'avait vu dans ce traité qu'un moyen de ressaisir le pouvoir qui s'échappait de ses mains; elle n'en demeurait pas moins l'ennemie de ceux qu'elle avait tant choyés. Pour commencer, elle envoya ordre à Tavannes qui commandait en Bourgogne, d'attaquer les Allemands au passage, malgré le sauf-conduit, et de les exterminer jusqu'au dernier, pour ôter à leurs compatriotes l'envie de retourner en France. Heureusement pour eux que le prudent gouverneur craignit de se compromettre, et refusa nettement d'obéir. Mais la cour n'en avait pas moins donné la mesure de sa mauvaise foi, et les esprits, toujours sur le qui-vive, demeuraient dans un état de défiance hostile qui ne présageait rien de bon pour l'avenir.

Dès ce moment, la crise va toujours se compliquant,

guerres sur guerres, massacres sur massacres par toute la France, et parfois affaissement général, secoué bientôt pour en venir à de plus sanglantes catastrophes, et au terrible dénouement du 24 août 1572. Et cependant, voyez quel lustre, quelles pompeuses fêtes, quelle joyeuse vie a la cour, où sont assemblés tous ces brillants gentilshommes, qui ne savent plus se battre comme on se battait au temps de François Ier, mais qui, à l'heure de la bataille, se présentent fièrement l'épée à la main, et se jettent au travers de l'ennemi avec autant de vaillance que d'étourderie! Il est curieux de lire dans les annalistes du temps, et surtout dans ces pages cyniques de la chronique scandaleuse du seigneur de Brantôme, les relations des brillantes fêtes, des intrigues amoureuses, qui prennent souvent plus de place que le récit d'une bataille, ou d'une expédition contre les huguenots.

Catherine profita des premiers instants de calme qui suivirent la pacification d'Amboise, pour reprendre le Havrede-Grâce, cédé pendant la guerre aux Anglais, par le prince de Condé, comme cautionnement des sommes que lui avait prêtées Élisabeth. Condé s'offrit avec ses protestants pour réparer sa faute, et vint combattre ses anciens alliés, sous les ordres de Montmorenci. Le siége, commencé le 20 juillet, ne dura que huit jours. De six mille hommes qui composaient la garnison, plus de la moitié avait été emportée par la guerre et la peste.

Charles IX avait assisté aux opérations du siége avec son frère, Henri d'Anjou. Il entrait alors dans sa quatorzième année. En revenant du Havre, Catherine le fit proclamer majeur à Rouen, au parlement de Normandie, malgré les remontrances du parlement de Paris, et, vers la fin de l'année, elle l'envoya faire une somptueuse promenade à travers les provinces du midi, qui avaient le plus souffert de la guerre civile. Après s'être montrée en Lor

raine, sous le prétexte d'un enfant de la duchesse que le jeune roi devait tenir sur les fonts de baptême, mais, au fond, pour faciliter les négociations entamées par Catherine avec le marquis de Bade, et d'autres petits princes allemands, la cour s'achemina vers la Bourgogne, où Tavannes avait tout préparé pour lui ménager un gracieux accueil. De là elle s'avança à travers le Dauphiné, la Provence et le Languedoc, uniquement occupée en apparence de fêtes et de plaisirs; mais derrière Charles était sa mère. Chemin faisant, Catherine s'aboucha avec le duc de Savoie; elle trouva dans Avignon un Florentin, confident du pape, envoyé exprès pour traiter avec elle. On vint ensuite, vers le milieu de 1565, à Bayonne, où Charles IX devait rencontrer sa sœur Élisabeth, la reine d'Espagne, qui avait été conduite à cette entrevue par le duc d'Albe, le fameux Alvarès de Tolède. Ce fut alors une suite non interrompue de bals, de festins et de tournois, qui attirait uniquement l'attention, pendant qu'Alvarès et Catherine conféraient à l'écart. Un mot est resté de ces entretiens mystérieux, dans lesquels s'agita le sort des protestants de France. «< Dix mille grenouilles, dit un jour Alvarès devant le jeune prince de Béarn, depuis Henri IV, dix milles grenouilles ne valent pas la tête d'un saumon. » Catherine était à la hauteur de cette politique, et la suite le prouva bien.

Au retour de Bayonne, la cour passa par Nérac en Gascogne, d'où elle emmena Jeanne d'Albret, la veuve du roi de Navarre. Enfin, l'on arriva à Blois, au commencement de l'hiver de 1565. Ce voyage eut une grande influence sur les idées du jeune roi. Partout sur son passage on lui avait montré les monastères démolis, les églises ruinées, les croix abattues, les statues des saints mutilées, les campagnes semées d'ossements arrachés des tombeaux; « il se trouvait que vingt et vingt-cinq lieues de pays n'avaient que des ruines pour églises; partout les croix renversées

attestaient de la fureur des partis. » Une foule d'ordonnances tendant toutes à restreindre les libertés accordées aux protestants par l'édit d'Amboise avaient été rendues sur la route', et les esprits retombaient insensiblement dans cet état d'irritation qui avait amené la guerre civile. Au sein même du parti catholique avait éclaté une sorte de scission qui menaçait d'avoir des suites. Le cardinal de Lorraine, revenant du concile de Trente, et tout gonflé du rôle que venait de jouer sa famille, voulut reprendre les allures royales que son frère affectait sur la fin, et rassembla une grosse escorte de ses parents et de ses amis pour faire une entrée triomphale à Paris. Montmorenci, qui jalousait la famille de Lorraine, vit dans cette prétention une atteinte à ses droits de gouverneur de Paris, et vint à la rencontre du cardinal avec une troupe de hoquetons. Il intima au prélat l'ordre de renvoyer son escorte, et, sur son refus, un véritable combat s'engagea dans les rues. Le cardinal, effrayé, saute à bas de cheval, s'enfonce dans une boutique, et, de maison en maison, gagne son hôtel pendant la nuit. Les Lorrains rassemblèrent aussitôt leurs partisans. Montmorenci, de son côté, écrivit à Coligny, au prince de Condé, aux principaux chefs du parti protestant, qui accoururent en armes. Sans un message du roi, qui ordonna un licenciement général, Paris allait devenir le théâtre d'une bataille rangée. Cette affaire, jointe à un autre démêlé que le cardinal eut en Lorraine avec son intendant Salcède, qui se révolta au nom du roi contre lui, reçut le nom de guerre cardinale.

Charles IX ne parut s'en émouvoir que médiocrement.

1 Il s'en glissa une, dans le nombre, étrangère aux querelles religieuses, mais d'une grande importance historique. Ce fut celle qui transporta le commencement de l'année au mois de janvier, du samedi-saint où il était auparavant placé.

Mais, au retour de son voyage, il convoqua une assemblée solennelle à Moulins (1566), et força les deux rivaux à s'embrasser après des excuses réciproques. Cette assemblée de Moulins est célèbre par l'édit de jurispruder ce qui y fut proclamé, sous les auspices de l'Hôpital, et qui reste encore de la plus haute importance dans notre législation. La cour voulut aussi ménager un accommodement entre la maison de Lorraine et celle de Châtillon, sur laquelle planait toujours l'ombre sanglante du duc de Guise. L'on s'embrassa << selon la convention», mais sans se pardonner. L'assemblée était à peine finie, que le duc d'Aumale appela Coligny en combat singulier. Des accusations d'assassinat et d'empoisonnement furent renvoyées de part et d'autre : il était facile de prévoir ce qui allait arriver.

Les deux partis restaient donc en présence, en dépit des efforts de la cour. Catholiques et protestants ne cessaient de travailler secrètement au triomphe de leur cause; leur principal soin, en ce moment, était de constituer une filiation de confréries1, qui toutes devraient être armées et se

La jalousie entre les deux religions ne se borna pas à l'émulation d'une plus grande régularité; elles cherchèrent à s'appuyer l'une contre l'autre de la force des confédérations et des serments. Depuis longtemps la Romaine entretenait dans son sein des associations connues sous le nom de Confréries. Elles avaient des lieux et des jours d'assemblée fixés, une police, des repas, des exercices. des deniers communs. Il ne fut question que d'ajouter à cela un serment d'employer ses biens et sa vie pour la défense de la foi attaquée. Avec cette formule, les confréries devinrent comme d'ellesmêmes, dans chaque ville, des corps de troupes prêtes à agir au gré des chefs, et leurs bannières, des étendards militaires. La multitude réunie se trouva plus hardie. Contradictions, railleries, dédains entre personnes de différentes religions, on ne se souffrit plus rien : de là des émeutes et des massacres par toute la France.

<«< La manie des associations saisit aussi la noblesse et les grands seigneurs. Il y ent de ces ligues particulières qui enveloppèrent des

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