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Les états-généraux s'ouvrirent, à Versailles, le 4 mai 1789, par une procession solennelle, où figuraient près de douze cents députés, princes, ducs et pairs, simples gentilshommes, dignitaires de l'Eglise, humbles curés de villages, obscurs représentants des communes, tous ceux qui avaient un intérêt sérieux, égoïste ou légitime, aux grandes questions du moment. La noblesse et le clergé avaient pour eux l'éclat du nom et la splendeur du costume, mais le tiers-état allait secouer les plis de son manteau noir et en faire sortir la guerre; il s'abritait derrière l'opinion, qui était devenue une puissance irrésistible, et dès les premiers jours il fut facile de prévoir que le privilége serait vaincu dans la luttè, que les tardives résistances de la royauté tourneraient à sa ruine, que la nation, une fois arrivée à la surface, attirerait violemment à elle tout le pouvoir dont elle s'était laissé dépouiller pendant une longue série

de siècles. L'aristocratie, tant séculière que religieuse, avait envoyé ses membres les plus éminents et ses illustrations les plus incontestées; mais les mandataires du peuple étaient pour la plupart des hommes profondément convaincus de la sainteté de leur mission, irrités des injustices du passé, nourris de la lecture du contrat social, pénétrés de la nécessité d'une constitution, qui garantirait les droits de tous, et résolus à poursuivre à tout prix l'accomplissement des réformes réclamées par l'unanimité des cahiers des bailliages. On comptait parmi eux des esprits ardents et des intelligences systématiques, l'abbé Sieyès, dont la fameuse brochure: Qu'est-ce que le tiers-état? avait eu un si vaste retentissement, le comte de Mirabeau, qui ne pouvait pardonner à l'ancien régime les rudes persécutions de son orageuse jeunesse, l'académicien Bailly, le juge Mounier, l'avocat Barnave, et cent autres plébéiens d'origine ou de cœur, auxquels il n'avait jusqu'alors manqué qu'une tribune aux harangues. Mirabeau n'était du reste pas le seul transfuge de la noblesse, et le brillant marquis de Lafayette, l'ami et le compagnon du grand Washington, se préparait à défendre la cause populaire, ainsi que le duc d'Orléans, le conseiller du parlement Duport et les frères de Lameth.

La séance royale fut imposante (5 mai). Louis XVI, s'essayant aux formes constitutionnelles, prononça un discours où se trahissait déjà la fatale indécision de son caractère; le garde-des-sceaux parla des droits et des intentions de la couronne; Necker raconta la déplorable situation des finances, et la bataille s'engagea. Les premiers dissentiments se révélèrent sur une question préliminaire qui les renfermait toutes, celle de la vérification des pouvoirs ; la noblesse et le clergé votèrent la vérification séparée; le tiers-état refusa d'abord de se constituer en l'absence des deux autres ordres, car il avait compris que dé

là dépendait tout l'avenir de la révolution. Les tentatives de conciliation, les pourparlers, les conférences ne firent qu'envenimer les haines des privilégiés et leur inspirer la peur de cette puissance nouvelle qui se montrait en scène. Puis, lorsque les députés des communes crurent avoir assez prouvé leur longanimité, lorsqu'ils se sentirent forts de l'appui des masses en dehors des salles de délibération, ils marchèrent audacieusement en avant et déclarèrent qu'envoyés par les quatre-vingt seize centièmes au moins de la nation, il n'appartenait qu'à eux de représenter et d'interpréter sa volonté générale. Les états - généraux devinrent l'assemblée nationale (17 juin), au bruit des applaudissements, et à l'inaction forcée des premières séances dut succéder toute l'activité des pouvoirs constitutionnels.

L'impulsion était donnée; l'assemblée légalisa aussitôt la perception des impôts, bien qu'ils eussent été établis sans le consentement de la nation et les prorogea jusqu'au jour de sa séparation; elle mit les créanciers de l'Etat sous la sauvegarde de la loyauté française et songea aux moyens de parer à l'effrayante aggravation de la misère publique, qui était venue s'ajouter à toutes les causes d'agitation, grâce à la terrible sécheresse et au rude hiver de 1788. Elle s'immisçait aussi peu à peu dans tous les détails de l'administration et préparait, au détriment des autorités encore debout, sa future omnipotence. La royauté menacée s'émut et fit mine d'intervenir, mais il était trop tard, et les ruses mesquines n'étaient pas de nature à arrêter le mouvement des esprits. La fermeture momentanée de la salle des Menus, par ordre royal, donna au tiers-état tout le prestige de la persécution et provoqua le fameux serment du jeu de Paume, par lequel les communes jurèrent de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l'exigeraient, jusqu'à ce que la constitution

du royaume fut faite et affermie sur des fondements solides (20 juin). En vain par la déclaration du 23 juin, Louis XVI maintenait l'ancienne distinction des ordres, annulait les précédentes délibérations du tiers, lui interdisait la discussion des droits féodaux, tant utiles qu'honorifiques, de l'aristocratie, et protestait que, si on l'abandonnait dans une si belle entreprise, il ferait seul le bien de ses peuples; cette déclaration ne servit qu'à démontrer l'impuissance de la cour. Mirabeau répondit au grandmaître des cérémonies, qui enjoignait à l'assemblée de s'ajourner au lendemain, par une vigoureuse apostrophe, qui est restée célèbre dans l'histoire.« Messieurs, s'écria Sieyès, vous êtes aujourd'hui ce que vous étiez hier; » et l'assemblée annonça sa ferme résolution de persister dans ses précédents arrêtés; puis, afin de prévenir tout acte de violence, qui pourrait être tenté contre elle-même ou quelques-uns de ses membres, elle déclara que la personne de chaque député était inviolable et que quiconque attenterait à cette inviolabilité serait réputé traître et infâme, coupable de crimes capitaux.

C'était là une protestation énergique contre tout essai de dissolution, et Necker, qui n'avait pas voulu assister à la séance du 23 juin, qui voyait arriver l'heure de sa disgrace, fut couvert d'applaudissements. A la cour on se félicitait déjà des résultats probables de ce coup d'état, et la coterie, à la tête de laquelle s'était mise la reine, se laissait aller à l'espoir d'un meilleur avenir; mais, lorsqu'on eut appris que l'assemblée avait persévéré dans sa ligne de conduite, en dépit de toutes les injonctions, et que la multitude criait : Vive Necker, jusque sous les fenêtres du palais, l'épouvante gagna tous les partisans de la réaction, et la stupeur fit place à la joie. On supplia le Génevois de conserver son portefeuille, Louis XVI écrivit lui-même à la noblesse pour l'engager à se rendre dans le sein de l'assemblée. La

majorité du clergé avait effectué sa réunion dès le 22 juin; le 24, quarante-sept gentilshommes renoncèrent à leur isolement, et le 27, le reste des opposants dans les deux premiers ordres entra à son tour dans la salle du tiers-état, le regard soucieux et le visage empreint d'une profonde tristesse. Ainsi la fusion se trouvait complète quatre jours après la défense solennelle du roi, et les représentants des communes acquéraient la pleine jouissance du pouvoir législatif; la question du vote par tête n'avait pas encore été posée, mais elle était résolue par le fait.

On pouvait donc s'occuper de l'objet principal de la tenue des états-généraux, c'est-à-dire de l'établissement d'une constitution, et l'on se hâta de nommer un comité chargé de présenter un ordre de travail. La difficulté était grande à coup sûr, car les moyens de comparaison n'existaien point dans le passé. « Si on appelle ainsi, dit M. Thiers (1), toute espèce de rapports entre les gouvernés et le gouvernement, sans doute la France possédait une constitution; un roi avait commandé et des sujets obéi; des ministres avaient emprisonné arbitrairement; des traitants avaient perçu jusqu'aux derniers deniers du peuple; des parlements avaient condamné des malheureux à la roue. Les peuples les plus barbares ont de ces espèces de constitution. Il y avait eu en France des états-généraux, mais sans attributions précises, sans retours assurés et toujours sans résultats. Il y avait eu une autorité royale, tour à tour nulle ou absolue. Il y avait eu des tribunaux ou cours souveraines, qui souvent joignaient au pouvoir judiciaire le pouvoir législatif; mais il n'y avait aucune loi qui assurât la responsabilité des agents du pouvoir, la liberté de la presse, la liberté individuelle, toutes les garanties enfin

1 Histoire de la Révolution française.

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