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protestants s'expatrièrent pour se soustraire à ces vexations: l'Angleterre et la Hollande les reçurent comme des martyrs (1701-1704). Les habitants des Cévennes, enhardis par leurs montagnes, crurent pouvoir résister comme nous l'avons dit plus haut; cette insurrection sanglante et poursuivie avec une extrême rigueur finit par l'extermination presque totale de ces malheureux.

CHAPITRE X.

MINORITÉ ET RÈGNE DE LOUIS XV (1715-1774).

Le dix-huitième siècle va commencer avec la régence. Louis XIV est mort, et tout aussitôt, par une réaction subite contre le despotisme de son règne, le parlement s'est assemblé ; d'une voix unanime il a cassé le testament du grand roi, pendant que la populace insultait à ses funérailles; le régent est le duc d'Orléans au lieu d'être le duc du Maine.

Il y a loin de l'un à l'autre de ces princes: le dernier était l'élève de madame de Maintenon, le courtisan assidu des dernières années de Louis XIV, et par conséquent l'ami de ses vieux amis, Villeroi, d'Harcourt, d'Uxelles, de Villars. Le régent, lui, ne tenait au passé que par des souvenirs de défaveur ou de persécution. Il respire enfin il est libre, il est maître. La transition de la vertu hypocrite au vice éhonté fut brusque : grands et petits jettent le masque, et du jeûne passent à l'orgie.

La délivrance des jansénistes, le changement de fond et de forme dans l'administration, le renouvellement du personnel, la chambre ardente contre les traitants, enfin, la rupture de l'alliance avec l'Espagne, tout cela était dirigé contre la politique de la France au dix-septième siècle.

A part la vie privée, et il n'en est point pour les gouvernants en vue qu'ils sont des gouvernés, le duc d'Orléans tient une place honorable dans l'histoire : et quand Louis XV, devenu homme et roi, se rappela son enfance chétive et souffreteuse, grande dut être sa reconnaissance pour le tuteur, pour l'oncle qui l'avait rendu à la vie et au trône en dépit de la nature. Dubois, malgré sa trivialité, pour ne pas dire plus, ne se montra point indigne de son étrange élévation.

Les relations extérieures avaient changé ; Philippe V, dominé par Albéroni, voulait succéder à son aïeul dans le rang qu'il avait tenu en Europe, et son audacieux ministre, plein de cette idée gigantesque, remuait tout en France comme ailleurs; c'est à lui, plutôt qu'au comte de Goertz, qu'est due l'idée de ce projet hardi dont Charles XII eût été l'Alexandre; il ne s'agissait de rien de moins que d'un bouleversement universel; le prétendant des Stuarts devait rentrer en Angleterre avec l'épée du roi de Suède, qu'avait brisée le czar Pierre, et, d'un autre côté, le duc du Maine devait en France obtenir la régence. Pour première réponse aux intrigues de l'Espagne, le duc d'Orléans fit retirer par le parlement au duc du Maine et au comte de Toulouse la qualité de princes du sang et le droit de succéder au trône à défaut d'héritiers légitimes. Albéroni voulut riposter par la conjuration de Cellamare; il échoua de la manière la plus humiliante. Dès le commencement de la régence, Cellamare, l'ambassadeur d'Espagne, ralliait à lui les mécontents. La duchesse du Maine, furieuse des affronts faits à son mari, se jeta à corps perdu dans le mouvement, et l'on

put croire un moment que ses intrigues allaient tout remuer. On avait projeté de s'emparer de la personne du jeune roi, de faire disparaître Dubois, et de reléguer Philippe dans son Palais-Royal. La correspondance avec l'Espagne était active et passionnée. On recrutait partout des signatures, on fabriquait des mémoires; ce n'étaient que gentilshommes tranchant du petit prince, et demandant à traiter avec l'Espagne. Cellamare, homme indolent et voluptueux, laissait aller tout ce monde, et attendait tranquillement : « Je continue à cultiver votre « vigne, écrivait-il à Albéroni; mais je ne veux pas tendre << la main pour cueillir les fruits avant leur maturité. » Dubois était instruit, jour par jour, de tout ce qui se passait. Quant approcha l'instant de la maturité, il mit la main sur la vigne de Cellamare, fit chasser l'ambassadeur, et envoya les conspirateurs à la Bastille, où ils ne firent que passer, tant on les trouva insignifiants. Sans se déconcerter, Albéroni se tourna d'un autre côté, et voulut donner la main à la fameuse révolte de Bretagne.

<< Le printemps de 1719 vit se former quelques rassemblements, d'abord timides et dans des lieux écartés. Deux gentilshommes qui s'y rendaient, étant entrés dans une auberge, crurent s'apercevoir que les valises de quelques marchands qui prenaient leur repas, étaient remplies de chaines et de cadenas. On répandit le bruit que les soldats de maréchaussée parcouraient le pays déguisés, et cette terreur panique dissipa les confédérés. Cependant, on se rassure. Des chefs s'annoncent en divers lieux. Les principaux sont Bonnamour, Montlouis, Pontcallet, Dugroesquar, Rohan-Polduc. D'autres, tels que Lambilly, conseiller au parlement, Coelivy le Borgne, et l'abbé Dugroesquar, tâchent de diriger vers un but commun ces mouvements épars. Les gentilshommes qui avaient commencé à se fortifier dans leurs châteaux, sentant bientôt que c'est resserrer

le filet qui les enveloppera, vont au contraire camper dans les bois avec leurs petites troupes. Bonnamour donne à la sienne le nom de soldats de la liberté. Pontcallet commande sous sa hutte de feuillage, avec une morgue impolitique; et Dutourdre, capitaine réformé des dragons de Belabre, fi gure auprès de lui comme son général de cavalerie. Chaque confédéré change de nom. Lambilly devient maître Pierre, et Dugroesquar, le chevalier de Bon Sens. L'uniforme est une veste de coutil et un chapeau de paille d'où pend un ruban noir. L'expression entrer dans la forêt, signifie embrasser la guerre civile. Cette vie nomade ne tente point les habitants. En vain, les confédérés imitant le stratagème des oiseleurs, font porter à leurs valets des habits de paysans; en vain ils arment leurs vassaux pour des chasses de loups; en vain ils enrôlent des bûcherons pour travailler dans la forêt; l'autorité ne leur réussit pas mieux que la ruse. Ils invoquent le secours des milices bourgeoises, les capitaines le refusent; ils veulent sonner le tocsin dans Guérande, les magistrats s'y opposent. Quelques sénéchaux, poussés par la crainte du parlement, intriguent sans succès. Deux prêtres seuls paraissent à la tête d'une poignée de mendiants.» (Lémontey, Histoire de la Régence.)

Toutes les entreprises d'Albéroni échouaient à la fois. Goertz venait d'être pris en Hollande; Charles XII était mort (1718). L'Angleterre, effrayée par la descente du prétendant en Écosse, réclamait à grands cris l'alliance de la France par son ambassadeur, l'impérieux comte de Stairs ; la Russie s'était mise en garde contre les invasions de la Suède; la Hollande avait réuni ses forces à celles de la France et de la Grande-Bretagne, et l'Empire, qui se reposait à peine dans la paix d'Utrecht, que la victoire de Péterwaradin venait d'épuiser, se joignait à la triple alliance pour sauver le royaume de Naples.

L'Espagne avait donc toute l'Europe contre elle; rien ne

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