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s'exécuter, et Condé jouait tranquillement aux cartes dans sa prison, quand un de ses valets de chambre, nommé Picard, s'approcha du jeu, et fit tomber une carte: «< Notre homme est croqué », dit-il au prince à voix basse, en se baissant pour la ramasser. François II venait de mourir d'un abcès à l'oreille, à l'âge de dix-sept ans, dix mois et quinze jours, après un an et demi de règne. Le mal avait redoublé tout à coup de violence, pendant qu'on lui faisait le poil, et quelques-uns prétendirent que son barbier, calviniste en secret, inquiet d'une profession de foi que l'on voulait faire signer à tous les gens du château, avait, en le rasant, fait couler du poison dans l'abcès. Le mot de Picard semblerait indiquer que le prince de Condé ne fut pas étranger au crime, s'il y en eut un, et les huguenots ne dissimulèrent pas la joie qu'ils ressentaient de cette mort. On entendit leurs ministres publier dans les prêches qu'elle était « un châtiment de la justice de Dieu contre les persécuteurs du pur Évangile.» (5 décembre 1560) (Histoire de France.)

CHAPITRE II.

CHARLES IX.

A François II, mort le 5 décembre 1560, àgé de dixsept ans et dix mois, succéda Charles IX, son frère, qui n'avait que dix ans et demi. Catherine de Médicis se saisit des rênes du gouvernement sans demander la régence. Elle espérait dominer tous les partis en alimentant les discordes, et régner sur eux en les divisant. Elle gagna le roi de Navarre par des promesses et se ménagea ainsi un allié docile, et tira Condé de prison, de sa seule autorité. « Ce prince et le duc de Guise se réconcilièrent et s'em<< brassèrent en sa présence, avec la résolution bien déter« minée de se détruire l'un l'autre ; et bientôt s'ouvrit la «< carrière des plus horribles excès où l'esprit de faction, « la superstition, l'ignorance, le fanatisme et la démence << aient jamais porté les hommes'. » Les Guises, mainte

1 Voltaire, Histoire du Parlement.

tenus à la cour, conservèrent une forte part de crédit : le vieux connétable de Montmorenci fut rappelé. Ainsi Catherine caressait et trompait tout le monde, incapable qu'elle était de comprendre et de suivre la politique généreuse de l'Hôpital, qui voulait, en associant la représentation nationale au gouvernement, prêter une nouvelle force à la royauté. Les états généraux s'ouvrirent à Orléans le 13 décembre 1560. La régence fut conférée, ou plutôt confirmée à Catherine de Médicis. Le roi de Navarre, nommé lieutenantgénéral du royaume, devait intervenir dans toute affaire grave. On s'occupa ensuite du culte et des finances. Le tiers-état et la noblesse demandèrent la suppression, ou au moins l'adoucissement des peines portées contre les protestants; mais l'orateur du clergé soutint qu'il n'y avait pas de supplices assez rigoureux contre les hérétiques. Le trésor était grevé de quarante-trois millions de dettes '; Henri II avait prodigué l'argent de l'État à la duchesse de Valentinois, sa maitresse, au connétable de Montmorenci, au maréchal de Saint-André, et à une foule d'avides courtisans ; les Guises avaient, dit-on, pillé les deniers publics pendant leur ministère. L'ordre de la noblesse demanda que les sommes illicitement perçues depuis l'année 1547 fussent restituées; c'était une attaque indirecte contre les favoris et les anciens ministres. La violence des débats qui s'engagèrent à ce sujet força le chancelier d'ajourner l'assemblée *.

Pendant cette espèce de trêve, le maréchal de Saint-André, le connétable et le duc de Guise, menacés dans leur

1 << Jamais père, disait l'Hôpital, de quelque état ou condition « qu'il fût, ne laissa orphelin plus engagé, plus endetté, plus em«< pêché, que notre jeune prince est demeuré par la mort des rois, «ses père et frère. »

2 Avant l'ajournement, l'Hôpital avait fait adopter aux étatsgénéraux la fameuse ordonnance d'Orléans, qui rétablissait les

fortune et dans leur crédit, formèrent la ligue connue sous le nom de Triumvirat. Philippe II, roi d'Espagne, intéressé à fomenter l'anarchie en France, était l'âme de cette ligue. De leur côté, les calvinistes et les mécontents s'unirent contre les catholiques.

La guerre civile était imminente; l'autorité royale, loin de se raffermir, était plus que jamais menacée; l'Hôpital fit tête au danger avec une courageuse opiniâtreté. Après avoir remis un peu d'ordre dans les finances par de sévères réformes, et organisé une force militaire assez imposante, il essaya de calmer les dissidents par la déclaration royale publiée dans toutes les provinces. Tout homme détenu pour soupçon d'hérésie fut mis en liberté ; les exilés pour cause de religion purent rentrer dans le royaume; il fut défendu au peuple de se servir des noms odieux de huguenots, de luthériens, de papistes. L'édit de juillet suivit de près cette déclaration. Cet édit, tout en prohibant les assemblées religieuses des protestants, substitua l'exil à la peine capitale, et soumit les délits de religion à l'autorité ecclésiastique. Les réformés refusèrent d'obéir à cette ordonnance, tinrent leur premier synode à Sainte-Foi (Agénois), et donnèrent le signal de la guerre.

Les états généraux se rouvrirent à Pontoise et termi- . nèrent leurs opérations à Saint-Germain. La majorité des députés réclama la tolérance religieuse, et approuva le plan de réforme proposé par l'Hôpital. Le clergé consentit à supporter une partie des charges de l'État, et offrit quatre décimes pendant six ans. L'Hôpital, qui espérait encore

élections ecclésiastiques, supprimait les annates, astreignait les prélats à la résidence, contenait la puissance des nobles dans de justes bornes, abolissait les taxes arbitraires, réglait, par un tarif uniforme, les frais de justice, et créait de nouveaux magistrats chargés de veiller à l'observation des lois.

rapprocher les deux cultes, conseilla à la reine une nouvelle assemblée, dans laquelle les docteurs des deux communions soutiendraient librement leurs opinions. Le colloque de Poissy (1561) trompa l'attente du chancelier et ne fit qu'envenimer les haines; mais l'Hôpital, poursuivant son œuvre avec une vertueuse persévérance, triompha de l'opposition violente du parti catholique, de l'indécision de la reine, et fit rendre l'édit de janvier 1 (1562). Le parlement, où dominait la faction des Guises, ne l'enregistra qu'après trois lettres de jussion, en ajoutant la clause: « Qu'il cédait à « la volonté absolue du roi; qu'il n'approuvait pas la re«ligion nouvelle, et que l'édit ne serait que provisoire. >>

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Malgré cette protestation, la paix se rétablissait; les calvinistes se rattachaient à un gouvernement assez fort pour les protéger; les catholiques approuvaient les deux édits de pacification, et recueillaient déjà les heureux fruits de l'ordonnance d'Orléans. Les ambitieux s'alarment de ce retour à des principes d'ordre et de modération; les agents de l'Espagne et de la cour de Rome, les triumvirs qui ont attiré dans leur parti le faible roi de Navarre, cherchent à ranimer le mécontentement par de violentes déclamations, provoquent et paient des émeutes. Le duc de Guise accourt de Joinville à la tête d'une foule de gentilshommes.

En passant à Vassy, petite ville sur la frontière de Champagne, ses gens se prennent de querelle avec des protestants qui y faisaient le prêche dans une grange. Une sorte de combat s'engage, et le duc, accouru pour rétablir l'ordre,

1 L'édit de janvier permit aux réformés d'avoir des temples dans les faubourgs de toutes les villes. Les protestants furent mis sous la protection des lois. —Quiconque troublait leurs assemblées était condamné à une amende de mille écus d'or. - De leur côté, les religionnaires devaient rendre les églises, les maisons, les terres dont ils s'étaient emparés. — C'était un véritable édit de tolérance,

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