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dent, je vous défends de souffrir ces assemblées et à pas un de vous de les demander. >>

Le parlement se tut devant ce roi de dix-sept ans; et pendant plus d'un demi-siècle, il ne s'éleva contre la royauté aucune opposition, aucune plainte, aucun murmure, ni de la noblesse, ni du clergé, ni du peuple; il n'y eut plus pour elle que des adorateurs : « L'État, c'était le roi.» (Lavallée, tome 3.)

Cependant, le moment n'était pas encore venu où le grand règne allait commencer. Mazarin occupait toujours la scène. Il fallait, avant de léguer la France à Louis XIV, qu'il mit à fin l'œuvre de Richelieu, et l'Espagne, qui n'avait pas voulu du traité de Westphalie, tenait encore bon. Les dernières années de discordes civiles avaient été malheureuses pour la France; Condé était passé aux ennemis qui s'étaient emparés de Dunkerque et avaient repris la Catalogne et Casal dans le Piémont. Lorsque la Fronde. épuisée déposa les armes, la fortune changea de drapeaux ; Turenne, redevenu fidèle, força dans leurs lignes les Espagnols, et Condé qui assiégeait Arras, et s'empara de Stenay. Mais ce n'étaient là que des succès peu décisifs; la France n'était pas encore assez forte pour imposer sa loi à l'Espagne; le nom de Louis XIV n'était pas plus connu que celui de Philippe IV; à peine parlait-on dans l'Europe de Mazarin et de don Louis de Haro, leurs premiers ministres : les renommées européennes d'alors étaient la reine de Suède, cette fameuse Christine qui se dégoûta si vite d'être reine, et plus vite encore de ne l'être plus; puis cet usurpateur du trône d'Angleterre, si diversement jugé dans tous les temps, Cromwell, qui fit peut-être plus pour la gloire de l'Angleterre que n'avait jamais fait aucun roi. Le Protecteur avait repris en Europe le rôle d'Henri VIII entre la France et l'Espagne; mais il ne s'allia pas avec cette dernière. Pendant que le prince de Conti faisait des conquêtes en Cata

logne, que Fabert s'emparait de Stenay, que Turenne délivrait Arras, la flotte de Cromwell allait s'emparer de la Jamaïque, et l'Angleterre traitait avec la France (1655).

Tout réussissait à la France, en Italie, en Cerdagne, en Flandre; les ducs de Savoie et de Modène commandaient ses armées en Piémont; Turenne était en Flandre, Conti dans le nord de l'Espagne, et la flotte de Vendôme réunie à celle de Cromwell. L'échec du maréchal de la Ferté-Senneterre, qui assiégeait Valenciennes avec Turenne, fut bientôt vengé par la victoire des Dunes, qui décida l'Espagne à la paix. Une clause du traité fait avec le protecteur, portait que les Anglais et les Français réunis assiégeraient Gravelines, Mardyck et Dunkerque, la première de ces places devant être le partage de la France, et les deux autres appartenir à l'Angleterre. Après la campagne insignifiante de 1657, où la ville de Mardyck fut prise, six mille Anglais débarquèrent aux ordres de lord Lockhard, et vinrent joindre l'armée française sous les murs de Dunkerque, tandis que la flotte anglaise s'embossait devant le port. Les généraux espagnols, don Juan d'Autriche et le marquis de Caracène, vinrent attaquer les assiégeants dans les Dunes, malgré les avis de Condé. Turenne sortit de ses lignes et marcha à leur rencontre : leur défaite fut complète, et sans l'habileté de Condé, c'en était fait de toute l'armée espagnole. Dunkerque se rendit; Furnes, Dixmude, Gravelines et plusieurs autres villes des Pays-Bas eurent le même sort.

Pendant que les ducs de Savoie, de Modène et de Navailles s'emparaient de Trin et de Mortare, l'Espagne revint au parti de la paix. Sur l'avis des dispositions favorables de la cour de Madrid, Mazarin fit partir Hugues de Lyonne, qui eut de nombreux entretiens avec Louis de Haro; mais l'article de Condé, dont le roi d'Espagne voulait la réhabilitation pleine et entière, fit tout rompre. Le cardinal usa

de ruse; il feignit de ne plus y songer, et dissimulant l'envie qu'il avait de voir Louis XIV épouser l'infante MarieThérèse, il le mena à Lyon, où l'attendait la princesse de Savoie avec sa fille Marguerite. A cette nouvelle, Philippe IV envoya Antonio Pimentel pour renouveler les conférences, et les préliminaires de la paix ayant été signés, Mazarin et don Louis de Haro se rendirent tous les deux dans l'île des Faisans, sur la Bidassoa, à la frontière de France et d'Espagne, avec de nombreuses précautions d'étiquette. Le mariage de l'infante avec le jeune roi fut arrêté. La dot devait être de 500,000 écus d'or. La France garda l'Artois, Gravelines, Saint-Venant, Landrecies, le Quesnoy, Thionville, Marienbourg, Avesnes, et quelques autres places de Flandre; l'Espagne lui céda les comtés de Roussillon et Conflans, avec une partie de la Cerdagne : les Pyrénées servirent de limites. Condé fit sa soumission et fut rétabli dans tous ses honneurs avec le gouvernement de la Bourgogne; enfin, le duc de Lorraine et le prince de Monaco furent rétablis dans leurs États.

Telles furent les principales clauses du fameux traité des Pyrénées. Ce fut là le dernier succès diplomatique de Mazarin; une fièvre brûlante le conduisit au tombeau quelque temps après l'entrevue de Philippe IV et de Louis XIV, dans l'île de la Conférence, où s'était célébré le mariage de l'infante avec le jeune roi de France. Le cardinal regrettait la vie; ses cinquante millions le tourmentaient d'après l'avis de son secrétaire Colbert, il en fit don au roi qui les lui rendit aussitôt; c'en était assez pour calmer ses remords. Sa nièce, Hortense Mancini, qui avait épousé le maréchal de la Meilleraye, sous le nom de Mazarin, hérita de tout, sauf quelques legs de vingt millions (1661).

Qu'on ne s'étonne pas de la générosité de Louis XIV. Il se crut assez riche du testament politique par lequel

Mazarin l'instituait légataire universel du pouvoir souverain. L'héritage de Louis XIV, ce fut la France; et la conduite de toute sa vie prouve assez qu'il la regarda toujours comme un domaine privé, dont il était l'inviolable propriétaire. Mazarin n'avait essuyé les dégoûts de la Fronde, que pour en épargner les dangers à son maître, et tandis qu'il pliait sans murmure sous les volontés de ses ennemis, il encourageait l'orgueil du jeune roi ; il le faisait spectateur des séditions princières, des prétentions du parlement, pour l'accoutumer à tenir plus tard la noblesse en bride, à humilier les compagnies. N'en déplaise aux détracteurs de Louis XIV, tout son règne fut le développement d'une double pensée politique, à lui léguée par Mazarin, à Mazarin par Richelieu, l'abaissement de la maison d'Autriche et l'élévation en France du pouvoir royal, le monopole de l'autorité souveraine. C'est ainsi que pour se rapprocher partout de l'Allemagne, des Pays-Bas, de l'Espagne où régnait la maison rivale, Richelieu s'était emparé de la Lorraine; Mazarin, de l'Alsace et du Roussillon; Louis XIV, de la Flandre et de la Franche-Comte. La guerre d'Espagne, quelques sacrifices qu'elle ait coûtés à la France, n'est pas une faute; c'est la conséquence niallieureuse d'une bonne idée. La faute véritable de Louis XIV, c'est la protection trop généreuse accordée aux Stuarts, c'est la guerre contre Guillaume, le premier des princes d'Orange, avec qui la France ne se soit pas unie. En cela, Louis XIV ne suivit pas les traditions de ses prédécesseurs: Richelieu avait combattu Charles Ier; Mazarin avait brigué l'alliance de Cromwell.» (Histoire de France.)

CHAPITRE VIII.

SUITE DU RÉGNE DE LOUIS XIV.

<< Jamais roi n'avait pris en main le gouvernement dans des circonstances plus favorables que Louis XIV. Henri IV, Richelieu, Mazarin, semblaient n'avoir travaillé que pour lui aplanir les voies; ils lui léguaient la France sortie glorieusement de la plus longue guerre des temps modernes, et ayant acquis par les traités une force d'opinion plus grande que par les armes, un état parfaitement paisible, la noblesse écrasée, le clergé soumis, la bourgeoisie ne désirant que l'ordre, enfin un pouvoir absolu qui disposait de vingt millions d'hommes, d'immenses richesses, d'une situation de progrès en tout genre. Le jeune roi avait donc une grande tâche à remplir: on lui donnait la France à conduire dans un avenir incalculable de gloire, de prospérité, de civilisation.

de

<< Louis pleura l'homme qui lui avait servi de tuteur, « gouverneur et de ministre tout ensemble; puis les offi

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