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petites troupes, tombent sur les détachements avant qu'ils soient formés, et les dispersent: tout ce qu'on fait de prisonniers, dans la première chaleur est pendu aux fenêtres et aux créneaux du château, afin d'intimider les autres.

Mais, peu effrayés du funeste sort de leurs complices, les conjurés avançaient toujours une troupe n'était pas plus tôt défaite, qu'une autre la remplaçait; tantôt ils résistaient ouvertement, tantôt ils fuyaient et se cachaient pour attendre du renfort. La Renaudie parcourait la campagne, accompagné d'un seul homme; il pressait les uns, retardait les autres, pour tâcher de les réunir et d'en former des corps capables de défense. Dans cette occupation, il est environné par un parti de royalistes; il se défend avec intrépidité, tue de sa main le premier qui a la hardiesse de l'approcher; mais il tombe lui-même frappé de loin d'une balle, et expire à l'heure même : son corps, porté à Amboise, fut attaché à une potence, avec cette inscription Chef des rebelles.

On crut par sa mort l'entreprise entièrement déconcertée; en conséquence, pour finir promptement cette fâcheuse affaire, en facilitant une retraite aux conjurés, le chancelier, malgré les Guises, fit passer un édit par lequel le roi accordait une entière amnistie à ceux qui avaient pris les armes, plutôt, disait-on, par simplicité que par malice, pourvu qu'ils les quittassent aussitôt, et qu'ils retournassent chez eux, sauf ensuite à présenter leur requête au roi. Le plus grand nombre, rassuré par cet édit, se mit tranquillement en route, chacun pour sa province.

Mais pendant qu'ils s'en retournaient en paix, un reste de conjurés, croyant trouver la vigilance de la cour en défaut, profita de l'obscurité de la nuit pour s'approcher d'Amboise, et pénétra dans la ville. Ils furent découverts et repoussés. Cette dernière tentative mit les Guises en fureur; ils firent révoquer l'amnistie. Le roi commanda les arrêts

au prince de Condé : des ordres furent expédiés aux gouverneurs des villes, commandants et capitaines, de mettre leurs troupes en campagne, et de faire main-basse sur tout ce qu'ils rencontreraient. Ceux qui se retiraient paisiblement sous la sauvegarde de l'édit, ne furent pas exceptés; on les arrêtait sur les routes, et on les traînait en prison: à la moindre résistance, ils étaient impitoyablement massacrés, sans qu'ils sussent quel nouveau crime leur attirait ce cruel traitement.

Quelques officiers envoyés à leur poursuite, ne pouvant voir sans pitié tant de braves soldats punis pour une entreprise dont ils avaient ignoré le but criminel, en laissèrent échapper plusieurs; mais, dans Amboise même, il n'y eut point de gràce; tous ceux qui furent découverts périrent, les uns attachés à la potence, d'autres par le tranchant de l'épée, le sang ruisselait dans les rues, et les bourreaux ne pouvaient suffire : sans forme de procès, sans jugement préalable on les jetait, pieds et mains liés, dans la Loire, qui fut plusieurs jours couverte de cadavres.» (Anquetil, Esprit de la Ligue, tome I.)

Compromis par des aveux dénonciateurs, le prince de Condé est accusé de complicité avec La Renaudie. Il crie à l'injustice; on l'admet à présenter ses moyens de justification, et en présence de toute la cour, regardant fixement le duc de Guise Celui qui ose m'accuser, je suis prêt à le démentir par un combat singulier, s'écria-t-il. Vous me prendrez pour second, reprend le lieutenant-général. Condé fut déclaré innocent, et remis en liberté. Néanmoins, bien des victimes furent sacrifiées. Le chancelier Olivier mourut de douleur, et Michel l'Hôpital le remplaça, pour arrêter quelques instants cette sanglante persécution, qui n'était que le prélude de tant d'autres. De sages conseillers s'adjoignirent au nouveau chancelier, et parmi eux, Marillac, Montluc, évêque de Valence, qui, comprenant le funeste état où

allait se trouver la France, s'épuisèrent en généreux efforts, et parvinrent à faire publier l'édit de Romorantin (mai 1560, sans lequel l'inquisition, avec toute l'horrible extension qu'elle avait prise en Espagne, allait être établie au milieu de nos provinces. Les évêques seuls avaient le droit de connaître des crimes d'hérésie; cette faculté était interdite aux cours de parlement1.

Les calvinistes trouvèrent les clauses trop sévères; un soulèvement s'ensuivit qui obligea le chancelier à convoquer une assemblée de notables à Fontainebleau (août), pour y opérer un rapprochement entre les deux partis, par des concessions réciproques.

Les princes du sang craignirent de s'y présenter : Coligny s'avança fièrement avec une escorte de 800 soldats sous le nom de cortége; ce fut alors qu'il présenta sa fameuse requête, par laquelle il demandait la liberté de conscience, la convocation d'un concile et des états-généraux. Les Guises méditaient une atroce perfidie; les étatsgénéraux furent appelés à s'assembler à Orléans; aussitôt les élections sont efficacement influencées, et le gouvernement est sûr de l'assentiment unanime dans ce qu'il va tenter. Depuis sa justification, Condé n'avait cessé d'ourdir de vastes projets, mais inexécutables dans l'état présent. Les réformés se remuaient sans cesse, à l'instigation des deux Bourbons. Les Guises prirent la résolution de se défaire des chefs des religionnaires; on leur offrit donc sans détour de se rendre à Orléans. « Ils arrivèrent le dernier jour d'octobre, avec une faible escorte, se fiant sur la parole royale, malgré les avis et les prières de leurs partisans qui les suppliaient de se mettre à leur tête. La noblesse

1 Cet édit ne fut enregistré qu'avec peine, et avec des modifications par rapport aux laïcs, à qui la Cour réserva le droit de se pourvoir devant le juge royal, (HÉNAULT.)

de Gascogne, de Poitou, de Provence, de Languedoc et de Normandie, s'engageait à leur former quinze mille hommes d'infanterie avec de la cavalerie à proportion. Huit cents gentilshommes que le roi de Navarre rencontra à Limoges, ne purent obtenir de l'accompagner, et, comme il s'engageait à demander leur grâce s'ils étaient inquiétés : « Notre grâce, monsieur, s'écria l'un d'eux, vous serez bienheureux, si demandant la vôtre avec beaucoup d'humilité, Vous l'obtenez. » Ce ne fut qu'aux portes d'Orléans, que les deux princes sentirent enfin le danger de cette confiance naïve. <«< Ils furent surpris de ne voir personne venir au-devant d'eux, et de trouver les portes de la ville gardées comme celles d'une place de guerre, Les rues étaient pleines de soldats, les remparts, les carrefours, les places, occupés par de nombreux corps-de-garde; la maison où logeait le roi, entourée de bataillons, comme la tente d'un général au milieu de son camp, les portes fermées qu'on refusa de leur ouvrir, et il leur fallut descendre de cheval dans la rue, et entrer par le guichet. » (Daniel). Il était trop tard pour reculer. Conduits par le roi dans la chambre de la reine-mère, qu'ils trouvent le visage défait et roulant des larmes dans ses yeux, les princes avaient à peine eu le temps de répondre à ses premières caresses, que François II, s'emportant tout à coup contre Condé, lui reproche d'avoir allumé la guerre civile dans le royaume, et le fait arrêter par Chavigny, un des capitaines de ses gardes. Le roi de Navarre voulut en vain plaider la cause de son frère; luimême fut emmené bientôt par le capitaine des gardes, dans une maison voisine, où il était gardé à vue.

Aussitôt, le procès de Condé s'instruisit par commission, en dépit des protestations de l'accusé, qui demandait à être renvoyé par devant les pairs de France et le parlement de Paris, ses juges naturels. Vers la fin de novembre, on rendit un arrêt qui condamnait le prince à mort, et fixait son

exécution au 10 décembre, jour de l'ouverture des états. L'Hôpital, du Mortier et le comte Sancerre refusèrent de la signer; mais François II semblait déterminé à passer outre. Éléonore de Roye, la femme de Condé, étant venue se jeter tout en larmes à ses pieds : « Madame, lui dit-il froidement, votre mari a voulu m'ôter ma couronne et la vie. » Le condamné gardait bonne contenance dans ce moment critique. Pressé de chercher quelque moyen de s'accommoder avec les Guises: « Il n'y a, s'écria-t-il, meilleur moyen d'appointement, qu'avec la pointe de la lance. »

Le roi de Navarre essaya en vain de la soumission. Il alla supplier le cardinal de Lorraine, qui le reçut dans son jardin : « Le roi de Navarre, dit Brantôme, parlait au cardinal plus souvent découvert que couvert, et l'autre se mettait très-bien à son aise, car il faisait grand froid. » Loin d'être en mesure de sauver la vie à son frère, lui-même avait à craindre pour la sienne. « Il faut, disaient les Guises, en deux coups et tout d'un temps, couper la tête à la rébellion et à l'hérésie. » Le roi de Navarre fut averti qu'il lui viendrait un ordre de paraître à la cour, et qu'il y serait égorgé. L'ordre vint en effet, et se l'étant fait répéter trois fois, il se décida enfin à braver les assassins... François II l'attendait en robe de chambre, un poignard à la ceinture. Il était convenu qu'il le frapperait à la première parole insolente, et que les gardes l'achèveraient; mais le roi de Navarre demeura si respectueux et si paisible, que le courage faillit au jeune homme, qui le laissa partir sans oser porter la main à sa ceinture. En passant le seuil de la porte, Antoine de Bourbon se trouva en face du duc de Guise, et put l'entendre s'écrier: «Oh! le pauvre roi que nous avons là! »

Cependant, l'épée du bourreau demeurait toujours suspendue sur la tête du prince de Condé, et le terme fatal approchait. Dans cinq jours l'arrêt de la commission allait

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