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gereuse peut-être, en supposant que les mécontents y prissent part: c'est ce qui ne manqua pas d'arriver.

Dès le commencement de son administration, le cardinal de Lorraine s'aliéna les esprits, et par son administration malentendue, et par ses prodigalités envers ses créatures; ainsi le cordon de Saint-Michel était donné à tout venant, pourvu qu'il fût zélé partisan du cardinal, si bien, dit Brantôme, qu'on l'appela le collier à toute bête. Puis, comme les solliciteurs affluaient, alléchés par tant de bénéfices donnés, tant de faveurs accordées, tant de dignités, de pensions prodiguées, le ministre se prit à user d'une fin de non-recevoir toute nouvelle. Une potence fut élevée en face du palais de Fontainebleau, où était la cour, avec injonction de ne pas passer outre pour solliciter, sous peine de la hart, sans merci.

Cependant le calvinisme acquérait à tout moment une importance plus redoutable; ce n'étaient plus quelques milliers de religionnaires courant au prêche, c'étaient des populations entières. Loin de se trouver incapables d'agir, de faire résistance à la persécution, celles-ci voyaient à leur tête de nobles chefs, de vaillants généraux : l'aîné des Châtillons, ce fameux Coligny, devenu l'ennemi irréconciliable des Guises, pouvait disposer, en faisant un appel à ses co-religionnaires, d'une armée, sinon aguerrie, du moins prête à se sacrifier pour sa croyance.

On sait que, sous le dernier règne, la proscription religieuse s'était étendue jusqu'au sein du parlement, et que plusieurs de ses membres étaient sous le coup d'un jugement capital. Anne Dubourg devait être sacrifié, quand mourut Henri II, qui se donnait le plaisir, avec sa cour, d'assister au supplice de l'Estrapade, où bien des hérétiques avaient déjà péri. Pardonner à Dubourg et aux autres eût été, pour un commencement de règne, d'un heureux augure; mais on en jugea autrement, et le procès suivit

son cours. Les calvinistes, indignés qu'un des membres du parlement allåt à l'encontre de la récusation motivée de Dubourg, l'assassinèrent. La mort de Minard activa encore la condamnation de l'accusé il mourut en courageux martyr. L'exaspération des réformés fut ainsi portée au comble; dès lors on ne songe plus qu'à la vengeance : elle sera éclatante; ce n'est rien moins qu'une révolution que l'on va tenter.

Coligny et son frère d'Andelot, les Bourbons, tout ce que la noblesse dédaignée a de plus illustre, jurent d'unir étroitement leurs intérêts pour arriver à un soulèvement général contre un odieux ministère. Aussitôt s'organise la fameuse conjuration d'Amboise; le but est de renverser les Guises et leurs créatures, pour s'élever à leur place; près de deux millions d'hommes entrent dans le complot. Ainsi on exploite le fanatisme des réformés, qui ne savent d'abord quelle doit être l'issue d'un si grave événement. D'abord les princes et les nobles, pour ne pas paraître les chefs avoués de tout ce qu'on va tenter, choisissent un homme qui n'a rien à perdre, un homme d'exécution : c'est La Renaudie. En peu de temps les ramifications du complot s'étendent sur toute la France; La Renaudie est partout, soulève tout, conduit tout. Chaque province fournira son contingent d'hommes à mettre en avant; c'est une levée comme pour la guerre, dont le rendez-vous est dans la forêt d'Amboise. Arrivées autour de la résidence royale, les bandes dispersées se rassembleront et devront investir le château, s'emparer du roi et de ses ministres. S'il est quelques conjurés scrupuleux qui osent prononcer le mot de rébellion, La Renaudie sait les persuader avec son éloquence entraînante, et les assurer que c'est au contraire pour le compte de la royauté qu'ils travailleront.

<«< On régla, avant de se séparer, la manière de faire les levées, et on fixa le lieu et le jour de l'exécution, qui devait

être à Blois, le 15 mars: après cela, chacun partit pour la province qui lui était assignée. Tout réussissait à souhait les Guises amenèrent le roi à Blois, où ils lui procuraient des amusements et vivaient dans une confiance profonde. Pendant ce temps, les levées se faisaient avec sécurité, à la manière d'Allemagne, c'est-à-dire que les soldats s'enrôlaient sans savoir pour quelle expédition, s'obligeant de marcher sans délai à l'ordre du capitaine qui les soudoyait. Déjà ceux des provinces les plus éloignées étaient en mouvement; ils avançaient par pelotons, qui grossissaient à mesure qu'ils approchaient, et le centre du royaume se remplissait de troupes. Les Guises cependant ne soupçonnaient rien: ils recevaient bien quelques avis des pays étrangers; on leur mandait de se tenir sur leurs gardes, qu'il y avait un complot formé contre eux; mais on ne leur donnait ni lumières, ni détails : néanmoins, sur ces faibles indications, par précaution, ils transférèrent la cour de Blois à Amboise. C'était une petite ville, plus aisée à défendre contre un coup de main, et munie d'un château assez fort pour attendre du secours : ils se crurent alors en sûreté ; et ces hommes si habiles allaient se laisser surprendre, si le chef de la conjuration lui-même ne se fût livré par excès de confiance.

La Renaudie logeait à Paris chez un avocat nommé Avenelle, son ami; celui-ci, voyant un grand concours de toutes sortes de gens qui se succédaient chez son hôte, eut quelques soupçons; il les communiqua à La Renaudie, qui lui avoua la conspiration. Avenelle écoute avec un air d'intérêt, et paraît s'échauffer pour le succès de l'entreprise; mais, roulant dans son esprit l'importance de l'affaire, les difficultés et les périls, saisi de crainte, il prend le parti d'åller tout révéler au secrétaire du duc de Guise, qui était alors à Paris. Sans délai le secrétaire envoie Avenelle à Amboise; on l'interroge, et les Guises voient avec le

plus grand étonnement le précipice ouvert sous leurs pas... La Renaudie, sur le transport de la cour de Blois à Amboise, avait changé ses rendez-vous, assigné d'autres postes, et fixé l'exécution au 16 au lieu du 15. Le prince de Condé, ne désespérant pas non plus, vint à Amboise avec des gens de main, qui devaient être cachés, tant dans la ville que dans le château, pour seconder à temps les tentatives du dehors. Le duc de Guise, aussi fécond en ressources, voyait le péril sans se déconcerter: il n'omit aucune des mesures qu'il pouvait prendre dans l'incertitude où il se trouvait ; il dépêcha aux gouverneurs des provinces, des ordres d'arrêter les gens armés qui prenaient le chemin d'Amboise; il envoya des officiers lever des troupes, et écrivit à la noblesse la plus voisine, de venir incessamment se ranger auprès du roi. En même temps il écartait ceux qui lui étaient suspects, en leur donnant des commandements au loin, et des commissions honorables. Des précautions si bien prises auraient néanmoins échoué par l'opiniâtreté des conjurés, si l'un d'eux n'eût livré le plan des opérations. Alors Guise n'agit plus en aveugle; il sut de quel côté devaient venir les plus grands efforts; il connut les embuscades, les lieux de ralliement, les stratagèmes, les ruses, et par conséquent les mesures qu'il fallait y opposer.

Le jeune roi voyait ces mouvements, et ne savait qu'en penser. Quoiqu'il fût, pour ainsi dire, gardé à vue par ses oncles, il arrivait toujours quelques doutes jusqu'à lui; et au besoin, son bon sens tout seul suffisait pour lui persuader qu'un pareil enlèvement ne pouvait le regarder personnellement. « Qu'ai-je fait à mon peuple qui m'en veut << ainsi? disait-il quelquefois au duc et au cardinal. Je veux << entendre ses doléances et lui faire raison. Je ne sais, «< ajoutait-il, mais j'entends qu'on n'en veut qu'à vous. Je « désirerais que pour un temps vous fussiez hors d'ici,

<< pour voir si c'est à vous ou à moi qu'on en veut. » Mais les Guises se gardèrent bient de risquer cette épreuve : au contraire, le duc profita des troubles pour obtenir la dignité de lieutenant-général du royaume; les lettres en furent expédiées le 17 mars.

Dès le 16, les gens de La Renaudie parurent : ils suivirent, autant qu'ils purent, le plan projeté à Nantes. Selon ces arrangements, une troupe de calvinistes, sans armes, avec toutes les marques d'hommes de paix, et un air suppliant, devait entrer dans la ville, sous prétexte de présenter une requête au roi. Si on leur laissait le passage libre, ils se flattaient, par leur grand nombre, de se rendre en un moment maîtres des rues et des remparts. Sur le refus de les laisser entrer, un gros corps de cavalerie, dont ils auraient été soutenus, devait accourir et s'emparer des portes, pendant que l'infanterie, répandue autour de la ville, pénétrerait par les brèches des remparts et les jardins du château. En même temps les conjurés, entrés dans Amboise depuis quelques jours, à la suite des Châtillons et du prince de Condé, tous gens d'exécution, avaient ordre d'aller droit aux Guises, de les arrêter, et, en cas de résistance, de les tuer sur-le-champ. Le prince de Condé se serait mis ensuite à la tête des vainqueurs maître du roi, il aurait fait, sous le nom du monarque, le procès au ministre et à leurs adhérents, et se serait emparé du gouvernement.

Instruit du plan d'attaque, le duc de Guise dresse, en conformité, son plan de défense; il change la garde du roi et fait murer les portes désignées. Ne voulant pas laisser oisifs le prince de Condé, les Châtillons et leurs complices, qui auraient bien pu, pendant qu'il se défendait de front, l'attaquer à dos, il les place dans les postes les plus exposés, et les entoure de surveillants, pour les empêcher de se joindre aux rebelles. Il fait sortir de la ville et du château des patrouilles fortes et nombreuses, qui enveloppent les

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