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» il s'agit de se confier au roi, qui est un honnête homme, peut-on » balancer un instant? Je suis pressé du besoin de voir le roi à Compiègne.

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» Voici donc les deux objets sur lesquels porte mon projet actuel : » 1o Si le roi n'a pas encore mandé Luckner et moi, il faut qu'il le fasse » sur-le-champ. Nous avons Luckner, il faut l'engager de plus en plus, » il dira que nous sommes ensemble; je dirai le reste. Luckner peut » venir me prendre de manière que nous soyons le 12 au soir dans la capitale. Le 13 et le 14 peuvent fournir des chances offensives; du » moins la défensive sera assurée par notre présence... et qui sait ce » que peut faire la mienne sur la garde nationale?

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» Nous accompagnerons le roi à l'autel de la patrie, les deux géné» raux représentant deux armées qu'on sait leur être très-attachées, empêcheront les atteintes qu'on voudrait porter à la dignité du roi. Quant à moi, je puis retrouver l'habitude que les uns ont eue longtemps d'obéir à ma voix; la terreur que j'ai toujours inspirée aux > autres dès qu'ils sont devenus factieux, et peut-être quelques moyens » personnels de tirer parti d'une crise, peuvent me rendre utile, du » moins pour éloigner les dangers. Ma demande est d'autant plus désin» téressée que ma situation sera désagréable par comparaison avec la » grande fédération; mais je regarde comme un devoir sacré d'être auprès du roi dans cette circonstance, et ma tête est tellement montée » à cet égard, que j'exige absolument du ministre de la guerre qu'il » me mande, et que cette première partie de ma proposition soit adop»tée. Je vous prie de le faire savoir par des amis communs au roi, à sa » famille et à son conseil.

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» 2o Quant à ma seconde proposition, je la crois également indispensable, et voici comme je l'entends: le serment du roi, le nôtre, » auront tranquillisé les gens qui ne sont que faibles, et par conséquent » les coquins seront pendant quelques jours privés de cet appui. Je >> voudrais que le roi écrivît sous le secret à M. Luckner et à moi, une > lettre commune à nous deux, et qui nous trouverait en route dans » la soirée du 11 ou dans la journée du 12; le roi y dira» qu'après avoir prêté notre serment, il fallait s'occuper de prouver aux étrangers sa sincérité; que le meilleur moyen serait qu'il passât quelques jours à Compiègne, qu'il nous charge d'y faire trouver quelques escadrons » pour les joindre à la garde nationale du lieu et à un détachement de » la capitale; que nous l'accompagnerons jusqu'à Compiègne, d'où nous rejoindrons chacun notre armée; qu'il désire que nous prenions » des escadrons dont les chefs soient connus par leur attachement à la » constitution, et un officier-général qui ne puisse laisser aucun doute » à cet égard.

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D'après cette lettre, Luckner et moi chargerons M..... de cette expédition, il prendra avec lui quatre pièces d'artillerie à cheval ; » huit si l'on veut; mais il ne faut pas que le roi en parle, parce que » l'odieux du canon doit tomber sur nous. Le 15, à dix heures du matin, le roi irait à l'assemblée accompagné de Luckner et de moi; et » soit que nous eussions un bataillon, soit que nous eussions cinquante

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» hommes à cheval de gens dévoués au roi, ou de mes amis, nous » verrions si le roi, la famille royale, Luckner et moi, serions arrêtés.

Je suppose que nous le fussions. Luckner et moi nous rentrerions à » l'assemblée pour nous plaindre et la menacer de nos armées. Lorsque le roi serait rentré, sa position ne serait pas plus mauvaise, car il ne serait pas sorti de la constitution; il n'aurait contre lui que les » ennemis de la constitution, et Luckner et moi nous amènerions facile⚫ment des détachemens de Compiègne. Remarquez que ceci ne com› promet pas autant le roi qu'il le sera nécessairement par les événemens qui se préparent.

» On a tellement gaspillé dans les niaiseries aristocratiques les fonds » dont le roi peut disposer, qu'il doit lui en rester peu de disponibles. Il n'y a pas de doute qu'il ne faille emprunter, s'il est nécessaire, pour s'emparer des trois jours de la fédération.

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Il y a encore une chose à prévoir, celle où l'assemblée décréterait » que les généraux ne doivent pas venir dans la capitale. Il suffit que » le roi y refuse immédiatement sa sanction.

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Si, par une fatalité inconcevable, le roi avait déjà donné sa sanction, qu'il nous donne rendez-vous à Compiègne, dût-il être arrêté en » partant. Nous lui ouvrirons les moyens d'y venir libre et triomphant. » Il est inutile d'observer que, dans tous les cas, arrivé à Compiègne, il y établira sa garde personnelle telle que la lui donne la constitution. En vérité, quand je me vois entouré d'habitans de la campagne qui viennent de dix lieues et plus, pour me voir et me jurer qu'ils » n'ont confiance qu'en moi, que mes amis et mes ennemis sont les leurs; quand je me vois chéri de mon armée, sur laquelle les efforts » jacobins n'ont aucune influence; quand je vois de toutes les parties » du royaume arriver des témoignages d'adhésion à mes opinions; je ne puis croire que tout est perdu, et que je n'ai aucun moyen d'être » utile. »

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Quoiqu'on trouve dans cette lettre des intentions toutes constitutionnelles, elle a été altérée. En soulignant ces mots : libre et triomphant, s'ils ont été écrits, on a cherché à les envenimer. Ce qu'il y a de sûr, c'est que l'habile avocat a tiré des connaissances plus ou moins imparfaites qu'il s'était procurées tout le parti qu'il a pu pour son plaidoyer au roi de Prusse, et si l'on s'étonne qu'il s'y établisse comme le gouverneur de Lafayette converti, on doit observer que M. de Lally n'ayant aucun prétexte pour s'adresser à la cour de Berlin, en faveur d'un homme qui n'était ni son parent, ni du même parti que lui, il a dû chercher un motif quelconque à la démarche qu'il faisait, et a préféré celui d'un devoir imposé par sa conscience à l'égard d'un général qu'il avait perdu en prenant de l'influence sur sa conduite (1).

(1) Quand je pourrais résister à tout autre motif, il en est un contre lequel je ne pourrais tenir; c'est que j'ai sacrifié M. de Lafayette à Louis XVI. Pendant les quatre derniers mois, je lui écrivais sans cesse, et le roi le savait. Ses proclamations à son armée, sa fameuse lettre au corps législatif, son arrivée imprévue à la barre après l'horrible journée du 20 juin; rien de tont cela ne m'a été étranger, rien n'a été fait sans ma participation, etc. (Pag. 21 et 22 du Mémoire de M. de Lally au roi de Prusse).

On voit aussi dans cet écrit du 8 juillet, un mot sur Luckner qui indiquerait que ce général, non à la visite de Pusy dans les derniers jours de juin, car alors il n'en fut assurément pas question, mais au mois de juillet, aurait pu dire à Lafayette que si on violait la constitution dans la personne du roi et qu'il reçût l'ordre des autorités constituées, il marcherait au secours de la loi. »

Il est dit dans la lettre de Lally à Louis XVI, du 9 juillet, que les amis du roi ne comptaient sur Lafayette que pour « la liberté de ce prince et » la destruction des factieux, » et répétaient avec leur confiance ordinaire, si souvent trompée : « Ce qui doit suivre suivra (1). » C'est ainsi que les membres du comité autrichien, les mêmes qui avaient dit autrefois à leurs amis jacobins : « Ne craignez pas de pousser Lafayette à bout, » nous ne le dégoûterons pas de la liberté, » écrivaient alors à la cour, comme on peut le voir par une lettre de Duport, imprimée dans le temps, « qu'on pouvait se servir de la résolution de Lafayette à main» tenir la constitution. » Et lui, au milieu de tous ces partis, obéissait imperturbablement à ses principes de liberté et d'ordre légal.

En relevant les erreurs involontaires ou bénévoies des pièces que nous venons de voir, nous sentons tous les égards que méritent les vertus et les talens de M. de Lally, et nous aimerions mieux renoncer à un tel examen ou le laisser défectueux, que de laisser échapper, à son égard, un seul mot qui ne fût pas plein de tendresse, de reconnaissance et d'adiniration.

(Suite des Notes sur le projet de Compiègne ).

DE QUELQUES ASSERTIONS DE M. DE BERTRAND-MOLLEville (2).

Le sens commun doit suffire pour démontrer que Lafayette ayant voulu expulser M. Bertrand du ministère, et ne lui ayant jamais parlé de sa vie que pour lui faire ce mauvais compliment, ne l'avait pas mis dans sa confidence. La vérité est qu'il n'avait ni parlé ni écrit du projet de Compiègne, ni à M. Bertrand, ni même à M. de Lally qu'il avait rencontré au mois de juin, à Paris, d'où il le croyait absent. Lafayette

(1) M. de Lafayette croit que son projet peut se modifier de vingt différentes manières. Il préfère la retraite dans le Nord à celle dans le Midi, comme étant plus à portée de secourir de ce côté, et redoutant la faction méridionale. En un mot, la liberté du roi et la destruction des factieux, voilà son but dans toute la sincérité de son cœur. Ce qui doit suivre suivra. (Page 39 des pièces publiées en 1795.

(2) Nous avons détaché ces reflexions du général Lafayette de quelques notes qui paraîtront dans le troisième volume sur les Mémoires particuliers de A. F. de Bertrand-Molleville, minis tre et secrétaire d'état sous le règne de Louis XVI (2 volumes in 8o, à Paris, chez Michaud, 1816).

avait remis quelques notes à un aide-de-camp, comme instruction et pour qu'il fit parvenir au roi les idées de son général.

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Cet aide-de-camp remit les notes à une personne qui l'engagea à s'adresser à M. de Lally, parce qu'elle savait que Lafayette avait plus d'estime et d'attachement pour cet ami, que pour aucun autre homme dont l'influence pouvait décider le roi. M. de Lally exprime dans sa conversation (1) avec M. Bertrand ses nobles et belles intentions; malgré ses vœux ardens pour que le général donne au roi quelque appui, il avoue que « le principe de la souveraineté du peuple et la volonté na⚫tionale sont les seuls liens par lesquels Lafayette puisse tenir au maintien de la royauté, et l'on voit bien que l'idée exprimée ensuite par » M. Bertrand d'aller peut-être constitutionnellement, plus loin que » Compiègne, est une erreur ou une ignorance personnelle à lui (2). Non seulement Lafayette n'avait aucune communication directe sur cet objet, ni avec celui-ci, ni même avec M. de Lally, mais il ignorait que l'un ou l'autre en sussent rien. Il est clair d'ailleurs que tout le regret de M. Bertrand était que Lafayette ne voulût pas être, comme il le dit lui-même, un autre Monck, au lieu de travailler uniquement à sauver la constitution, la vie du roi et de sa famille. La cour des Tuileries et ses conseillers royalistes et aristocrates, avaient grande raison de trouver, suivant son expression, « que les propositions de Lafayette ⚫ n'étaient pas calculées pour remplir un objet de ce genre; car pour ces messieurs, c'étaient de faibles calculs, que ceux qui ne sortaient pas du cercle constitutionnel. Mais il y a dans ces Mémoires de M. Bertrand un aveu précieux, c'est que « si le roi et sa famille n'a» vaient pas eu tant de répugnance à devoir la vie au général qui défendait en même temps la liberté, il la leur aurait sauvée (3). » On remarquera que c'est le confident intime de Louis XVI qui fait cet

aveu.

Nous ajouterons que toute la partie du plan de Lally, faite de concert avec MM. de Clermont-Tonnerre et Lalouet, est absolument étrangère à Lafayette. Jamais celui-ci n'eut le moindre rapport avec cette coalition; l'idée de Compiègne ne lui est venue qu'après le mois de juin, quand il eut épuisé à Paris toutes les tentatives pour assurer le maintien de l'ordre légal, la liberté des autorités constituées, le salut du roi et de sa famille.

(1) Cette conversation, d'après M. Bertrand, aurait eu lieu le 2 juin chez M. de Montmoria. Il n'y fut nullement question du plan de Compiègne, qui n'existait pas encore, mais seulement de la confiance de M. de Lally dans les sentimens constitutionnels du général Lafayette. (Page 83, chap. xxiv, des Mémoires de M. Bertrand).

(2) Le 9 juillet suivant, je revis M. de Lally chez M. de Montmorin; il vint à moi et me dit d'un air triomphant: Lisez ces papiers, etc. — C'était une lettre de M. de Lafayette, contenant un plan dont les moyens d'exécution étaient déjà préparés, et dont l'objet était de conduire le roi en sûreté, soit à Compiègne, soit dans quelque place du nord de la France, où sa liberté serait à l'abri de toute atteinte, et tout cela devait s'opérer constitutionnellement. » ( Page 87, chap. xxiv des Mémoires de M. Bertrand.)

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(3) La tentative de M. de Lafayette aurait eu probablement une issue toute dissére avant son arrivée, les amis qu'il avait à Paris s'étaient occupés de disposer la portion nombreuse de la garde nationale qui lui était entièrement dévouée, à appuyer fortement la démarche qu'il se proposait de faire, etc.» (Pag. 85, ohap. xxiv, Mémoires de M. Bertrand.)

T. II.

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(Suite des notes relatives au projet de Compiègne).

SUR LA PUBLICATION DE LA LETTRE DE M. DE LALLY-TOLENDAL (DE 9
JUILLET), ET SUR LA LETTRE (DU 8 JUILLET), ATTRIBUÉE AU GÉNÉRAL
LAFAYETTE,
DANS LE TOME II DE L'HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRAN-
ÇAISE, PAR M. THIERS (1).

(T. 2 p. 369 de l'Histoire de la révolution française par M. Thiers.) Nous en sommes au Mémoire de M. de Lally dans lequel son imagination, sa sensiblité, le besoin de persuader Louis XVI et ensuite de toucher Frédéric-Guillaume, l'ont entraîné à commettre des erreurs incompatibles avec les déclarations de l'ami dont il se faisait l'interprête. Il est bien vrai qu'en indiquant les suites présumées d'un projet de voyage à Compiègne, c'est lui qui parle, qui suppose, et non le général; mais la tendance de la lettre de M. de Lally au roi est de le rassurer sur la rigueur des principes de Lafayette, et en particulier sur cette crainte que lui avaient donnée Mirabeau et les courtisans, répétant sans cesse « qu'il serait prisonnier dans la tente du général patriote.» M. de Lally profita de quelques notes (2) données par Lafayette et qui paraissent avoir été dictées comme des argumens à mettre en avant, lorsque des personnes plus agréables que celui-ci au malheureux prince, chercheraient à lui persuader de laisser sauver sa vie, mais non comme une lettre au roi, ou à ses ministres. L'usage qu'on avait fait, en 1789, d'un billet de M. de Lafayette à M. de Saint-Priest (3) n'eût pas été encourageant. On remarque d'ailleurs, dans la prétendue lettre du 8, qui lui est attribuée, certaines expressions qui ne sont pas de son style, et dans sa manière si respectueuse pour la représentation nationale, dont la majorité était pour lui, comme on l'a vu par le décret du 8 août 1792. D'un autre côté, ces notes elles-mêmes, attribuées à Lafayette, démentent formellement la lettre qui lui sert d'introduction; il y est toujours question de ne pas sortir de la constitution, de n'avoir contre soi que les ennemis de la constitution, de prouver aux étrangers la sincérité du roi, » ce qui contredit les assurances de M. de Lally sur la prétendue conversion de Lafayette. Celui-ci a pu avouer à son ami, dans la soirée où ils causèrent ensemble, que l'assemblée avait commis des erreurs et d'autres lieux communs de ce

(1) Pour réunir ici tous les documens que nous possédons sur le plan de Compiègue, nous avons également détaché ces notes du général Lafayette de celles qu'il a écrites sur l'ouvrage de M. Thiers, et qui seront publiées dans le volume suivant.

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(2) Oserai-je dire que cette note me paraît devoir être méditée par celui-là seul, qui, dans une journée à jamais mémorable, a vaincu par son courage héroïque une armée entière d'assas sins, etc. (Post scriptum de la lettre du 9 juillet, adressée au roi par M. de Lally-Tolendal.) (3) Voyez la page 70 de ce vol. Il s'agit ici du billet écrit à M. de Saint-Priest, quelque temps avant les événemens d'octobre 1789.

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