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malheureux par M. de Lally, malgré la différence connue de leurs opinions, il y eut une lettre de celui-ci au roi de Prusse. On en a publié une qui ne se trouve qu'en France où elle a fait peu de sensation, parce qu'on y reconnut sans peine la malveillance des éditeurs dont l'un tenait à l'ancienne ambassade autrichienne de M. Mercy-d'Argenteau.

Elle a été imprimée à Paris en 1795, sur un manuscrit qui fut, dit-on, livré par un voyageur auquel il avait été confié. A cette étrange garantie d'exactitude, on ajoute que la publication a pour objet d'empêcher les républicains de s'attendrir sur le sort de Lafayette prisonnier. L'éditeur convient même que l'original présenté au roi de Prusse diffère de la copie qu'il donne au public (1). Ces aveux suffiraient pour nous dispenser de l'examen d'une telle pièce; mais le fond en est vrai Lafayette a soutenu la royauté constitutionnelle; il a voulu sauver Louis XVI, et le mettre à Compiègne sous la sauve-garde d'un détachement de ses troupes. De tels faits présentés avec de l'adresse oratoire et d'ingénieux embellissemens d'une cause difficile, par un éloquent avocat s'adressant à un membre de la coalition des rois, prennent un caractère fort différent des instances de Lafayette pour qu'on ne flattât ses geôliers par aucune altération de ses vrais principes et de la conduite de toute sa vie.

On voit, par exemple (p. 13), que Lafayette, de concert avec le comité de constitution, avait souhaité qu'on eût le temps de perfectionner, dans quelques détails secondaires, le décret du 17 juin 1790, pour l'abolition des titres, de l'usage des livrées, armoiries, etc., et que le conseil du roi se hâta de le sanctionner de peur qu'on ne l'améliorât; mais Lally suppose que Lafayette soutint le décret pour se rendre populaire, et lorsqu'en 1792 celui-ci suppliait le roi de se livrer, dans l'intérêt de la chose publique et pour son propre salut, aux constitutionnels, Lally rappelle cette ancienne idée de rendre les armoiries et livrées facultatives pour tous les citoyens, ainsi que cela se voit en Amérique, comme si les députés et Lafayette, qui partageaient la même opinion, avaient alors voulu conserver ou rendre à la noblesse quelques priviléges (2)! Ce n'est pas Lafayette qui eût caressé de telles

(1) Le Mémoire avait été adressé d'abord au roi de Prusse; il fut présenté ensuite à son conseil. Dans la copie présentée au conseil, on remarque des changemens et des ratures; mais le texte a été restitué dans cette édition, d'après la minute exacte de la main de M. de Lally-Tolendal. Le manuscrit fut confié, l'année dernière, à un voyageur en Suisse, qui nous l'a remis entre les mains. Nous ne pensons pas qu'il puisse attendrir les républicains sur le sort d'un général qui s'est montré si contraire aux principes de la république.» (Page 6, avis de l'éditeur anonyme, en tête des pièces dont nous venons de donner le titre.)

(2) « 11 a voté pour le décret qui a détruit la noblesse; mais d'autres l'avaient proposé : le décret allait passer; le calcul plus ou moins raisonnable, la faiblesse, si l'on veut, de ne vouloir pas être vaincu en popularité, l'a entraîné à dire quelques mots qui n'ont servi à rien et qui n'ont fait tort qu'à lui. Dès le soir, il a reconnu combien serait funeste un tel décret; le lendemain il s'est opposé à la sanction; il l'eut empêché si la noblesse ne l'eût pas voulu, comme une preuve de plus de l'injustice de ses ennemis. (Pag. 13. Extrait du Mémoire au roi de Prusse, de M. de Lally. Voyez encore sur le décret du 17 juin 1790, les pag. 124, 125 de ce volume, et, aux pages 171 et 173, deux lettres adressées au roi.)

prétentions, lui qui, à Namur, au moment où l'on décidait son sort, ne souffrit pas que le général de Chasteler lui supposât, à cet égard, la moindre complaisance, et qui, après avoir reçu dans sa prison de Magdebourg une lettre d'un célèbre professeur de Gottingue, dans laquelle on lui donnait le titre de marquis, réclama dans sa réponse contre ce titre, « aimant mieux, disait-il, être accusé de pédanterie » par ses amis que d'être soupçonné de faiblesse envers les gouverne» mens qni devaient lire sa lettre. » Qui ne sait d'ailleurs qu'en Amérique comme en Europe, il servit constamment la cause de l'égalité par goût et par principes?

On trouve, à la suite de ce Mémoire, la minute d'une séance tenue le 4 août 1792, entre quelques amis du roi (1). On y voit qu'ils comptaient sur le zèle de Lafayette pour sauver ce malheureux prince, et ils avaient raison. L'éditeur y cite sans doute comme accusation contre Lafayette, ce passage d'une de ses lettres écrites à son amie madame d'Hénin, depuis sa captivité : « Si le roi avait pu se déterminer » à sortir de Paris, ainsi que je le lui avais proposé, après avoir pris des » mesures sûres pour l'amener à Compiègne, il aurait évité de grands dangers et de grands malheurs » (p. 51 des pièces publiées en 1795). Toute cette brochure est un mélange de plusieurs vérités et d'inexactitudes; mais la lettre suivante vient à l'appui de nos observations. Elle fut adressée par M. de Lally à M. d'Archénoltz, pendant la captivité de Lafayette à Olmütz :

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Londres, 21 juillet 1795.

« Il est très-vrai, monsieur, que j'ai eu l'honneur d'adresser au roi » de Prusse, en 1793, un Mémoire dans lequel je réclamais, pour » madame de Lafayette et pour ses enfans, la liberté de son mari et de » leur père. J'ai peine à concevoir par quelle infidélité ce Mémoire, purement confidentiel, serait devenu public. Vous me mandez qu'il » est imprimé à Paris, et qu'on en a inséré des extraits dans les gazettes » allemandes. Mais vous ne m'envoyez point ces extraits. Je ne puis juger si cet imprimé est exactement fidèle, ou entièrement forgé, » ou dénaturé partiellement. Je ne puis prononcer sur rien. Tout ce » que je peux dire avec certitude, c'est que si le Mémoire qu'on pro» duit sous mon nom, compromet le caractère de M. de Lafayette, ce » Mémoire n'est pas le mien. »

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« J'ajouterai que mon véritable Mémoire, ainsi que les pièces justi»ficatives que j'y ai jointes, ne sont pas susceptibles d'être cités par

(1) « J'avais reçu une lettre anonyme dans laquelle on me dénonçait une conversation chez Santerre, annonçant le projet de marcher sur les Tuileries, de tuer le roi dans la mêlée, etc.— Vous résolumes tous qu'il fallait que le roi sortit de Paris. Nous comptions sur M. de Liancourt et ensuite sur M. de Lafayette. Le dernier mot du roi fut qu'il aimait mieux s'exposer à tous les dangers que de commencer la guerre civile. On annonçait que la déchéance serait prononcée le jeudi suivant. Je ne connus plus d'autre ressource que l'armée de M. de Lafayette. » (Extrait de la minute d'une séance tenue le 2 avril entre MM. de Lally, Montmorrin. Bertrand, de Clermont-Tonnerre, Malouet, de Gouvernet et de Gilliers. Page 49 de la brochure citée)

extrait, mais doivent être lus dans leur entier, et jugés dans leur » suite et leur ensemble. Si cet imprimé n'est pas l'ouvrage d'un faussaire, on doit y trouver cette phrase de moi au vertueux » Louis XVI, en lui parlant de M. de Lafayette : « Il est prêt à s'immoler » pour la liberté, mais en même temps pour la monarchie qu'il ne » sépare plus (1). » Qu'après cela, en demandant à un roi de le déli» vrer, j'insiste plus sur ce qu'il a été victime de la monarchie, comme › en demandant aux Américains de le secourir, j'insisterais davantage » sur ce qu'il a été victime de la liberté, c'est une chose très-simple à concevoir; ce sont deux vérités incontestables; mais je dois faire » ressortir davantage l'une ou l'autre selon le lieu où je la produis.

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« Au surplus, monsieur, quoique ayant voulu tous deux la liberté » de notre pays, le pauvre Lafayette et moi, nos opinions publiques » ont été tellement divisées, pendant deux ans, que lors même qu'elles ⚫ se sont rapprochées, nous avons dû conserver encore chacun notre » nuance. Il est donc juste de s'en rapporter sur M. de Lafayette à lui» même, plutôt qu'à un tiers dont l'esprit peut paraître encore pré» venu quand son cœur est dévoué aux intérêts d'un ami malheureux. J'ai l'honneur de vous envoyer une lettre authentique écrite par » lui-même, le 25 août 1792, à l'infortuné duc de Larochefoucauld (2), » dont j'ai encore combattu les opinions, mais révéré le caractère, et » qui a été mis en pièces par les jacobins, comme M. de Lafayette a été » incarcéré par leurs ennemis, pour avoir voulu sauver la France et » Louis XVI. Malheur à qui lira cette lettre sans plaindre et respecter » celui qui l'a écrite ! »

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Oh! si la patrie de M. de Lafayette savait quelles preuves de dévouement il lui a données, quels sacrifices il lui a faits dans l'intérieur de ses cachots!.... Mais le temps de les révéler n'est pas encore venu..... LALLY-TOLENDAL.

Avec quelle adresse l'avocat de Lafayette profite (p. 14) de l'absurde accusation des jacobins sur la fuite de Varennes et du mouvement qu'il se laissa surprendre, lorsque l'arrestation du roi détruisit des espérances auxquelles il croyait ne pouvoir, en conscience, se livrer que dans le cas où le roi eût fait la guerre civile (3)! Lally dit (p. 16),

(1) Cette phrase se trouve à la page 38 des pièces publiées en 1795, dans une lettre du 9 juillet adressée à Louis XVI par M. de Lally.

(2) Voyez cette lettre page 519 de ce vol.

(3) Les républicains accusent aujourd'hui M. de Lafayette d'avoir fermé les yeux sur le départ de Louis XVI, de n'avoir envoyé à sa suite que quand il n'était plus possible de le rejoindre; et tous les calculs sont pour eux. Mais des amis intimes de M. de Lafayette, à la probité desquels je crois comme à la mienne, m'ont assuré que pendant les deux jours qu'avait duré l'incertitude, ils l'avaient souvent entendu faire le calcul des heures d'avance qu'avait le roi. et se flatter qu'on ne le rejoindrait pas. Ils étaient avec lui quand il apprit que le roi avait été repris à Varennes, et ils m'ont juré qu'ils l'avaient vu frappé de cette nouvelle comme d'un coup de foudre.» (Pages 14 et 15 du Mémoire au roi de Prusse).

» que le dimanche qui suivit la rentrée du roi à Paris, les principaux » chefs de l'assemblée nationale se réunirent en comité pour délibérer » si le procès serait fait au roi et la république établie; » et que Lafayette proféra cette seule phrase: « Si vous tuez le roi, je vous pré» viens que le lendemain, la garde nationale et moi, nous proclamons » le prince royal. » Lafayette n'a pu tenir un tel propos contre le droit qu'avait l'assemblée constituante de faire la république ; c'eût été l'inverse de la doctrine constamment professée par lui, et de ce qu'il a dit à la même époque devant l'assemblée, dans une déclaration inscrite sur son procès-verbal; mais il a pu dire : « Des assassins du roi ne gagneraient rien à leur crime, car la garde nationale reconnaîtrait ⚫ constitutionnellement le prince royal.» Il est sûr que Lafayette eût repoussé avec horreur l'idée de faire le procès du malheureux Louis XVI. Elle ne fut exprimée par aucun de ses amis.

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Lafayette n'a point adopté de nouveaux principes; la résolution de soutenir le trône à quelque prix que ce fut (1) ne peut pas avoir été supposée sérieusement par celui qui disait dans le même temps à M. de Bertrand-Molleville (2) « que Lafayette ne soutenait le trône que pour » les intérêts de la liberté et parce que la souveraineté nationale l'avait » établi. »

Lafayette était lié avec Lally antérieurement à la révolution, ils s'écrivirent quelquefois depuis le 6 octobre, mais non à l'époque mentionnée dans le mémoire. Ils se virent en juin 1792, chez une femme de leur connaissance, et c'est la seule fois, depuis le mois d'octobre 1789, que ces deux amis eurent le plaisir de s'embrasser; mais il est des ames dont les sentimens sont profondément imprimés et se développent de plus en plus dans les occasions qui éloignent et intimident les hommes ordinaires. Lally avait été sévère pour Lafayette et quelquefois injuste; à peine Lafayette fut-il malheureux, qu'il lui consacra ses veilles, ses soins, son esprit supérieur, son admirable éloquence, et ne connut d'autre crainte que celle d'oublier quelque moyen de le servir.

Lally avait été à portée de connaître, par des amis communs, les intentions de Lafayette pour le salut du roi; il avait même pu voir quelques notes dont le général avait chargé un aide-de-camp (3) pour engager le roi à ne pas se laisser égorger à Paris. Nous n'avons pu nous procurer ces notes sur lesquelles paraît avoir été faite la lettre du 8 juillet attribuée à Lafayette :

(1) Je n'ai pas fait naître en lui la résolution de soutenir le trône à quelque prix que ce fut, je l'y ai trouvée toute formée à mon arrivée en France, au mois de mars 1792. Mais je n'ai cessé de l'enflammer, de le précipiter dans les démarches les plus caractérisées, et les plus hardies en faveur du roi et de la royauté. » (Mémoire au roi de Prusse page 21).

(2) Voyez plus loin la page 565 de ce volume.

(3) M. de La Colombe. Voyez la page 430 de ce volume.

Copie de la lettre publiée en 1795, avec le Mémoire de M. de Lally, et d'autres pièces (1).

Le 8 juillet 1792.

« J'avais disposé mon armée de manière que les meilleurs escadrons, les grenadiers, l'artillerie à cheval, étaient sous les ordres de M*** à la quatrième division; et si ma proposition eût été acceptée, j'emmenais en deux jours à Compiègne, quinze escadrons et huit pièces de canon, le reste de l'armée étant placé en échelons à une marche d'intervalle, et tel régiment qui n'eût pas fait le premier pas serait venu à mon secours, si ses camarades et moi avions été engagés... » J'avais conquis Luckner au point de le faire marcher sur la capitale avec moi, si la sûreté du roi l'exigeait, et qu'il en donnât l'ordre; et » j'ai cinq escadrons de cette armée dont je dispose absolument, Languedoc et...; le commandement de l'artillerie à cheval est exclu» sivement à moi, je comptais que ceux-là marcheraient aussi à Com» piègne.

D

» Le roi a pris l'engagement de se rendre à la fête fédérale. Je regrette » que mon plan n'ait pas été adopté; mais il faut tirer parti de celui » qu'on a préféré.

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» Les démarches que j'ai faites, l'adhésion de beaucoup de dépar» temens et de communes, celle de M. Luckner, mon crédit sur mon » armée et même sur les autres troupes, ma popularité dans le royaume qui est plutôt augmentée que diminuée, quoiquè fort restreinte dans » la capitale; toutes ces circonstances, jointes à plusieurs autres, ont » donné à penser aux factieux, en donnant l'éveil aux honnêtes gens; et j'espère que les dangers physiques du 14 juillet sont fort diminués. » Je pense même qu'ils sont nuls, si le roi est accompagné de Luckner » et moi, et entouré des bataillons choisis que je lui fais préparer.

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» Mais si le roi et sa famille restent dans la capitale, ne sont-ils pas » toujours dans les mains des factieux? Nous perdrons la première bataille; il est impossible d'en douter. Le contre-coup s'en fera res» sentir dans la capitale. Je dis plus, il suffira d'une supposition de » correspondance entre la reine et les ennemis pour occasionner les plus grands excès. Du moins voudra-t-on emmener le roi dans le Midi, et » cette idée, qui révolte aujourd'hui, paraîtra simple lorsque les rois » ligués approcheront. Je vois donc, immédiatement après le 14, com» mencer une suite de dangers.

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»Je le répète encore, il faut que le roi sorte de Paris. Je sais que s'il » n'était pas de bonne foi, il y aurait des inconvéniens; mais quand

(1) Nous ne l'avons point trouvée dans les manuscrits du général Lafayette, et elle ne fait nullement partie de l'écrit au milieu duquel nous l'intercalons. Nous nous bornons pour l'intelligence des réfutations ou éclaircissemens du général Lafayette, à publier cette lettre telle qu'elle été imprimée en 1795, pour la première fois.

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