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» Luckner, à opposer à plus de quatre-vingt mille de troupes trèsaguerries, conduites par un monarque puissant et des généraux » célèbres; que vous ne pouviez opposer que quatre à cinq mille » hommes de cavalerie à une cavalerie quatre fois plus nombreuse et » d'une grande réputation; que vous n'espériez aucun secours prochain » à cause de l'éloignement de l'armée du Nord; que vous n'attendiez » de Paris que des bataillons levés à la hâte, sans officiers, sans discipline, mal armés, ne sachant pas tirer un coup de fusil; et pour » toute cavalerie des gendarmes nationaux, c'est-à-dire de la maréchaussée, incapable de se former et de manœuvrer en escadrons; ou » de la cavalerie légère de nouvelle levée que vous ne pouviez pas » opposer à la cavalerie prussienne et autrichienne (1). Ces raisons sont bonnes; mais le sont-elles exclusivement pour vous? N'avaientelles pas au mois de juillet la même valeur qu'au mois d'août? Lorsqu'à la première de ces deux époques, Lafayette et Luckner marchaient pour couvrir les frontières de Champagne et de Lorraine, n'était-ce pas au-devant de « ces quatre-vingt mille hommes de troupes très-aguer»ries, de ce monarque puissant, de ces généraux célèbres, de cette » cavalerie renommée et quatre fois plus nombreuse que la leur, qu'ils >> marchaient? » Au mois de juillet, les armées de Luckner et de Lafayette n'étaient-elles pas aussi faibles, et les armées impériales et prussiennes aussi fortes que vous les avez trouvées au mois d'août sur les frontières des départemens de la Moselle et des Ardennes? Celle du duc de Saxe-Teschen n'était-elle pas la même ? En affaiblissant au mois d'août les moyens de défense de la Flandre d'à peu près dix-huit mille hommes, vous n'avez pas craint d'autre inconvénient que de « décou» vrir la superbe plaine entre Lille, Douay, Saint-Amand et Orchies,» (c'est-à-dire un espace de plus de cinquante lieues carrées, qui forme la cinquième ou la sixième partie du département du Nord), mais les dangers de la France étaient alors trop grands pour s'arrêter à la petite considération de la dévastation des plaines de la Flandre, dont » il ne fallait penser qu'à sauver les places; encore n'y avait-il pas, à » cet égard, de crainte à avoir, puisque le duc de Saxe-Teschen n'avait » pas assez de troupes pour entreprendre des siéges (2). » Et vous avez appelé imprudent, déplacé, extraordinaire, dangereux, un mouvement que vous avez démontré vous-même avoir été aussi raisonnable que nécessaire, que vous avez exécuté en quadruplant les chances de dévastation pour la Flandre, puisque vous lui enleviez quatre fois plus de défenseurs que Luckner ne voulait lui en ôter, et cependant il a été prouvé par le fait, et vous-même soutenez que cette mesure n'entraînait que des dangers très-bornés! Il est facile de montrer les motifs de tant de contradictions:

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Vous vouliez la révolution du 10 août, que depuis vous avez appelée un crime, une affreuse catastrophe. Au mois de juillet, vous aviez

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engagé le club des jacobins de Lille à envoyer une adresse à l'assemblée nationale, afin de lui demander la déchéance du roi (1); dans une lettre à Pache, vous vous êtes ensuite vanté de l'appui que vous aviez donné à la révolution du 10 août. Mais lorsque Lafayette et Luckner dirigeaient la défense du pays, la révolution du 10 août n'était point faite, et elle était consommée quand vous fûtes au secours des départemens des Ardennes et de la Moselle. Jusqu'à ce dénouement, votre parti pouvait avoir besoin d'un corps de troupes à sa disposition et sous un chef qui eût sa confiance. Voilà pourquoi M. Dumouriez trouva dans sa désobéissance autant d'appui qu'il méritait de sévérité. De là, ce déchaînement des journaux girondins et jacobins contre la marche des troupes, des frontières de la Flandre à celle d'entre Meuse et Moselle, marche qu'il fallait que le public trouvât absurde, pour rendre méritoire le refus d'obéissance de M. Dumouriez. On aimait mieux compromettre la sûreté de l'État, en conservant sous la main d'un général factieux les forces nécessaires à la défense de l'autre frontière, que de les laisser à la disposition des généraux patriotes et constitutionnels. Au mois de juillet, M. Dumouriez était subordonné, et pour devenir général en chef, il fallait discréditer un de ceux qui l'étaient alors, et par conséquent blâmer leurs mesures, dans le même temps qu'on gênait leurs mouvemens. Ainsi, l'on se ménageait, en cas de revers, la double satisfaction de les avoir fait échouer et d'avoir prédit qu'ils échoueraient. Mais, au mois d'août, M. Dumouriez, débarrassé de l'homme qui lui faisait principalement ombrage, et devenu général en chef, ne trouvait rien de mieux pour s'accréditer lui-même, que de suivre exactement la conduite qu'il avait tant blâmée lorsqu'elle était un obstacle à son ambition personnelle.

M. Dumouriez raconte plus loin ses négociations du 27 mars 1793, par l'entremise du colonel ennemi, M. Mack, « pour lier les opérations » entre les deux parties d'armées impériales du prince de Cobourg et » du prince Hohenlohe, tandis que lui, Dumouriez, devait marcher sur » Paris, et pendant que la place de Condé serait remise aux Autrichiens, » comme garantie; toutes les autres places, si l'on était dans le cas » d'avoir besoin des impériaux, devant recevoir garnison, mi-partie ⚫ sous les ordres des Français (2). »

Ce traité était d'autant plus facile à violer ou à éluder, qu'étant verbal, il n'avait d'autre garantie que la bonne foi et le désintéressement des coalisés dont M. Dumouriez parle ailleurs en ces termes : « Il » savait que par différens traités, les puissances avaient arrangé leurs indemnités, c'est-à-dire le partage de tout le tour de la France... quand même il l'aurait ignoré, l'exemple de la Pologne suffisait pour » le convaincre. La présence des Français soldés par les étrangers, » marchant d'après un manifeste du général prussien, et n'ayant pas » même le droit de mettre des garnisons dans les places de Longwy et

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(1) Ce fait fut attesté par Merlin, de Douai, à la séance du 7 décembre 1792. (Voyez le Moniteur.)

(2) Mémoires de Dumouriez, tom. IV, liv. vIII, chap. IX.

T. II.

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» de Verdun, étaient une preuve de plus que la coalition agissait pour » son compte (1). »

(Suite des Notes sur Dumouriez).

RÉPONSES DU GÉNÉRAL DE WITCH A QUELQUES QUESTIONS DU GÉNÉRAL LAFAYEtte (2),

D. Les postes de défensive, occupés par Lafayette, ont-ils continué de l'être dans les années subséquentes?

Il est évident que l'idée de Lafayette avait été de boucher la trouée de Carignan et de prendre poste à l'extrémité droite de son commandement qui finissait à Montmédy; afin que si la frontière de Luckner était attaquée du côté de Longwy, comme il le présumait, son armée se trouvât sur le flanc droit de la marche des ennemis, et fût à portée de secourir son collègue.

Il parait que, si après la prise de Mayence, dont on était convenu depuis long-temps, le corps de Custine s'était rabattu vers Trèves et Longwy, si les commissaires de l'assemblée nationale et Dumouriez, n'avaient pas retenu en Flandre les troupes auxquelles Lafayette avait ordonné de le renforcer, et si les jacobins n'avaient pas arrêté la marche des réquisitions nationales faites par Lafayette et Luckner, celui-ci aurait eu des forces suffisantes pour occuper la position de Dumouriez en Champagne, et Lafayette aurait pu en même temps avoir un corps sur le flanc droit et en arrière des ennemis.

R. Après la retraite des Prussiens, les mêmes postes ont été repris, et pendant la guerre offensive des Autrichiens, en 93 et en 94, ces postes ont été occupés et défendus par la seconde division de l'armée des Ardennes, jusqu'à ce que la retraite de l'armée autrichienne rendit ces positions inutiles.

Le général de Witch en a commandé une partie en 93 et en 94.

La trouée de Carignan ne pouvait être mieux défendue que par le camp de Vau que Lafayette avait établi, et qui défendait le passage de la Chiers dans presque le seul endroit où cette rivière soit guéable.

Nous ne pouvons rien décider sur les mouvemens qu'aurait pu faire

(1) Lettre de Dumouriez au traducteur de l'Histoire de sa vie, pag. 18 et 19.

(2) On trouvera ici les réponses du général de Witch à quelques questions relatives aux opé. rations militaires de 1792. Cet officier, qui s'est retiré quelque temps après le 9 thermidor, dans le Danemarck, sa patrie, est un des plus honnêtes et des meilleurs officiers-généraux que la France ait eus dans cette guerre. Il commandait un bataillon de grenadiers dans l'armée de Lafayette, et servit comme colonel dans l'avant-garde de Dumouriez, qui l'éleva au grade de maréchal-de-camp. Ce que rapporte le général de Witch a été dit par lui publiquement à Dumouriez, chez le prince de l'esse. (Note du général Lafayette).

l'armée de Luckner, n'ayant pas été à portée de connaître la position ni les forces de cette armée.

D. Sans doute les circonstances où Dumouriez se trouva, le forcerent à réunir dans sa position tout ce qu'il put rassembler, et il se conduisit avec fermeté, lorsqu'il la conserva, quoique tourné par le roi de Prusse; mais il y a quelques points sur lesquels on souhaiterait des détails :

Quelles sont les dates des différens mouvemens qui eurent lieu avant la retraite (1)?

Est-il vrai que, lorsque les alliés repassèrent devant Dumouriez sur sa droite, en lui prêtant le flanc d'une armée très-mal en ordre, et dont l'artillerie, la cavalerie et les équipages manquaient de chevaux, Dumouriez, s'abstenant de les attaquer, fit marcher Kellermann alors sur sa gauche, pour se porter contre eux; et que, Kellermann étant arrivé trop tôt, il se détermina à le renvoyer pour faire marcher les troupes de la droite, qui auraient eu le temps de faire quelque chose, si Dumouriez ne les avait pas arrêtées?

R. Nous ne pouvons répondre à la première question d'une manière bien positive; mais les dates et les mouvemens se trouvent dans les Mémoires de Dumouriez et c'est la partie de ses Mémoires la plus exacte.

Le général de Witch a perdu le journal qu'il avait fait de cette campagne; ainsi il ne peut donner de renseignemens que de mémoire.

Il parut alors d'une manière évidente que l'intention de Dumouriez ne fut point de serrer de près les Prussiens dans leur retraite, car il fit marcher l'armée de Kellermann, la plus éloignée par sa position, et la fit revenir sitôt qu'elle fut à portée d'attaquer l'ennemi.

Si l'on avait voulu agir avec l'intention de tirer parti de la mauvaise situation des Prussiens, on aurait employé de préférence les troupes des armées du nord et du centre pour poursuivre les Prussiens sur Vouziers et Grand-Pré, et non celles de Kellermann naturellement destinées à reprendre Verdun et Longwy.

Il nous a paru évident qu'on voulait donner aux Prussiens le temps de se retirer, puisqu'on a laissé l'armée plusieurs jours dans l'inaction; et quand on ordonna à une partie des troupes de l'armée du nord et de celle du centre de se mettre en mouvement, les Prussiens avaient une si grande avance, qu'il était impossible de les atteindre.

D. Quel jour et en quel endroit Kellermann dit-il au général de Witch qu'il ne comprenait rien à tout ce mystère?

R. Ce fut au camp de Hans, le lendemain du jour où les Prussiens l'avaient quitté. Ce camp fut occupé le même jour par le corps du général Dubouquet, dans lequel servait de Witch; là, celui-ci accosta Kellermann et Valence qui, à la tête des carabiniers, passèrent le camp pour poursuivre les Prussiens.

Deux jours après, le corps du général Dubouquet reçut ordre de

(1) La retraite des alliés après la bataille de Valmy (20 septembre 1792.)

marcher sur Vouziers où nous fumes très-étonnés de rencontrer Kellermann et Valence qui revenaient de la poursuite des Prussiens.

D. Quel jour et dans quel village le colonel d'housards, commandant l'avant-garde française, fit-il dire au commandant de l'arrière-garde des ennemis, qu'il l'engageait à partir dans une heure, parce qu'il ne pouvait plus contenir les housards?

R. Ce fut le lendemain du jour que les Prussiens commencèrent à se retirer. Nous avons oublié le nom du village; mais le colonel d'housards de l'avant-garde française s'appelle Barbier, et il était alors colonel du régiment ci-devant colonel-général housards.

D. N'était-il pas encore temps de poursuivre l'armée prussienne, lorsque Dumouriez amena quarante mille hommes avec lui vers la Flandre?

R. Il n'y a pas de doute que si Dumouriez avait fait marcher toute l'armée à la poursuite des Prussiens, lorsqu'il donna l'ordre de s'en éloigner pour prendre la route de la Flandre, il eût fait une partie de l'armée prussienne prisonnière, pris toute leur artillerie et bagages qu'ils eurent beaucoup de peine à emmener, quoiqu'ils ne fussent inquiétés par personne dans leur marche. Aussi est-il évident que, dans l'arrangement, qui a toujours été secret, fait entre le roi de Prusse et Dumouriez, une des conditions était que les Prussiens ne seraient pas inquiétés dans leur retraite.

D. Si l'armée ennemie avait été assez délabrée pour permettre aux Français de prendre à revers les Pays-Bas, n'y aurait-il pas eu de l'avantage à couper la retraite du duc de Saxe-Teschen?

R. Pour décider cette question, il faudrait connaître quels mouvemens pouvait faire l'armée du duc de Saxe-Teschen; ma position particulière ne m'a permis de faire aucune observation à cet égard.

IX (1).

SUR UN MÉMOIRE DE M. LALLY-TOLENDAL ET QUELQUES PIÈCES RELATIVES AU PROJET DE COMPIÈGNE (2).

On a cherché à se prévaloir contre Lafayette d'un plaidoyer en sa faveur, attribué à M. de Lally-Tolendal. Nous savons, en effet, que parmi les témoignages d'un généreux intérêt, prodigués à Lafayette

(1) Voy. la pag. 430 de ce vol.

(2) Les observations suivantes du général Lafayette ont été écrites de 1797 à 1800, sur une brochure publiée à Paris en 1795, et intitulée Mémoire de Lally-Tolendal au roi de Prusse, pour réclamer la liberté de Lafayette, suivi d'une lettre de Lally-Tolendal à Louis XVI; d'une réponse de Louis XVI; d'un plan concerté entre les généraux constitutionnels, pour faire retirer ja cour à Compiègne, et de plusieurs pièces intéressantes, pour servir à l'histoire de la révo lution. (51 pag. in 8o.)

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