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lui donnent. La position du roi est d'autant plus critique, que Sa Majesté est trahie par les trois cinquièmes des personnes qui l'approchent. Elle exige de la dissimulation, non celle à laquelle on accoutume ordinairement les princes, mais de la dissimulation en grand, qui, ôtant toute prise aux malveillans, acquît au roi et à la reine une grande popularité.....

«

La conférence a fini par des protestations de dévouement : « Je suis porté, a-t-on dit, à servir le roi par attachement à sa personne, par attachement à la royauté, mais également pour mon propre intérêt. Si je ne sers pas utilement la monarchie, je serai à la fin de tout ceci dans le nombre des huit ou dix intrigans qui, ayant bouleversé le royaume en deviendront l'exécration et auront une fin honteuse quand ils auraient pendant un moment fait ou paru faire une grande fortune. J'ai à réparer des erreurs de jeunesse, une réputation peut-être injuste; je ne puis y parvenir, je ne puis me faire un nom que par de grands services. Il fallait peut-être une révolution; elle est faite, il faut détruire le mal qui en a été la suite; il faut rétablir l'ordre. La gloire sera grande pour ceux qui y coopéreront.

M. de Mirabeau a ajouté qu'il serait fâcheux que l'assemblée fût bientôt dissoute. Le moment n'est pas encore arrivé, mais il sera important de le saisir..

VI (1).

EXTRAIT D'UN RAPPORT DE M. DELESSART AU ROI.

Vendredi à 5 heures du matin. (Mars 1792.)

Je me suis rendu ce soir entre dix et onze heures chez le ministre de la justice, comme j'avais eu l'honneur d'en prévenir le roi. J'y ai trouvé non-seulement M. de Bertrand et M. Tarbé, mais aussi M. Cahier. Presque aussitôt est arrivé M. de Lafayette. Il nous a dit qu'il aurait souhaité pouvoir concilier les ministres; que cela lui avait toujours paru très-difficile, attendu l'opposition subsistante entre M. de Narbonne et M. de Bertrand; mais qu'aujourd'hui, au point où les choses étaient portées, il ne pouvait plus s'en mêler. Il s'est fondé sur la publicité donnée aux lettres des généraux, et surtout la réponse que lui avait

(1) Voy. la pag. 399 de ce vol.

faite M. de Narbonne, et il a déclaré qu'il n'avait aucune part à cette publicité, qu'il n'y avait point donné son consentement, et qu'il n'en avait été instruit que par la lecture même du journal. Après cette explication, qui a été froide et courte, il s'est retiré...

VII (1).

ORDRE GÉNÉRAL DE L'ARMÉE.

Au camp retranché de Maubeuge, le 29 juin 1792, l'an IV de la liberté.

Le général de l'armée a reçu hier au soir et ce matin des adresses où les différens corps de toutes les armes expriment leur dévouement à la constitution, leur attachement pour lui, leur zèle à combattre les ennemis du dehors et les factieux du dedans.

Le général reconnaît dans ces démarches le patriotisme pur et inébranlable d'une armée qui, ayant juré de maintenir les principes de la déclaration des droits et de l'acte constitutionnel, est disposée à les défendre envers et contre tous. Il est profondément touché de l'amitié et de la confiance que les troupes lui témoignent, et sent combien les derniers désordres que des perturbateurs ont excités dans la capitale, doivent indigner tous les vrais amis de la liberté, tous ceux qui, dans le roi des Français, reconnaissent un pouvoir établi par la constitution et nécessaire à sa défense,

Mais en même temps que le général partage les sentimens de l'armée, il craindrait que les démarches collectives d'une force essentiellement obéissante, que les offres énergiques des troupes particulièrement destinées à la défense des frontières, ne fussent traîtreusement interprétées par nos ennemis cachés ou publics. Il suffit, quant à présent, à l'assemblée nationale, au roi, et à toutes les autorités constituées, d'être convaincus des sentimens constitutionnels des troupes; il doit suffire aux troupes de compter sur le patriotisme, sur la loyauté de leurs frères d'armes de la garde nationale parisienne qui saura triompher de tous les obstacles, de toutes les trahisons dont on l'environne.

Quelque soigneux que soit le général d'éviter pour l'armée jusqu'à la moindre apparence d'un reproche, il lui promet que dans toutes les démarches personnelles qui pourront contribuer au succès de notre cause et au maintien de la constitution, il bravera seul, avec constance et avec dévouement, toutes les calomnies comme tous les dangers.

(1) Voy. la pag. 421 de ce vol.

ORDRE DU 26 AU SOIR.

Au camp retranché de Maubeuge, le 26 juin 1792, l'an IV de la liberté.

Le général a cru devoir mettre des bornes à l'expression des sentimens de l'armée, qui ne sont qu'un témoignage de plus de son dévouement à la constitution, de son respect pour les autorités constituées, mais dont la manifestation collective ou trop vivement prononcée aurait pu donner des armes à la malveillance.

Mais plus le général d'armée a été sévère sur les principes qui conviennent à la force armée d'un peuple libre, et par conséquent soumis aux lois, plus il se croit personnellement obligé à dire, en sa qualité de citoyen, tout ce que les troupes sentent en commun avec lui.

C'est pour remplir ces devoirs envers la patrie, ses braves compagnons d'armes, et lui-même, qu'après avoir pris, d'après ses conventions avec M. le maréchal Luckner, les mesures qui mettent l'armée à l'abri de toute atteinte, il va, dans une course rapide, exprimer à l'assemblée nationale et au roi les sentimens de tout bon Français, et demander en même temps qu'on pourvoie aux différens besoins des troupes.

Le général ordonne le maintien de la plus exacte discipline et espère à son retour ne recevoir que des comptes satisfaisans. M. d'Angest, maréchal-de-camp, prendra le commandement.

Le général d'armée répète que son intention et son vœu sont de revenir sur-le-champ.

Le général d'armée, LAFAYETTE.

VIII (1).

SUR LA VIE ET LES MÉMOIRES DU GÉNÉRAL
DUMOURIEZ (2),

(A PARIS, CHEZ BAUDOUIN, 1822.)

« Le 12 juillet 1792, dit M. Dumouriez, le duc de Saxe-Teschen avait » pris le parti de venir envahir le territoire français, et s'était campé » à Bavay (3.) » — Il y a plus que de l'inexactitude à qualifier d'invasion du territoire français un campement de l'ennemi sur l'extrême frontière.

(1) Voy. les pag. 425, 426, 427, 428, 467 de ce vol.

(2) Les notes du général Lafayette, que nous publions ici, ont été écrites sur un ouvrage dont le général Dumouriez lui-même est l'auteur.

(3) Vie de Dumouriez, tom. 11. liv. V, chap. 11, pag. 354.

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« En arrivant à Sedan, le 28 août 1792 au matin, il (M. Dumouriez ) » trouva le mal beaucoup plus grand qu'on ne le lui avait dépeint. » L'armée était partagée en deux corps : l'avant-garde, de six mille hommes de troupes choisies, occupait sur la rive droite de la Meuse, » sur les hauteurs de Vau, un camp qui aurait exigé quarante mille » hommes. Le corps d'armée, composé de dix-sept mille hommes, était campé à trois lieues en arrière sur les hauteurs qui dominent Sedan. » Ce camp ne vaut rien (1). » Il en aurait peu coûté à M. Dumouriez de dire ce qu'il n'a pu ignorer, que cette disposition des troupes n'était point celle dans laquelle Lafayette les avait laissées en partant; mais qu'au lieu de les disperser et de les affaiblir, il avait réuni au corps d'armée l'avant-garde et la réserve qui en étaient séparées, et qu'il avait placé le tout ensemble dans le camp de Vau, qui, naturellement trèsbon, et, quoi qu'en dise M. Dumouriez, très-susceptible d'être bien défendu avec vingt-cinq mille hommes, avait été encore très-renforcé par des ouvrages et des batteries. Un témoignage irrécusable des soins que l'on avait pris pour mettre cette position dans l'état le plus respectable, est consigné dans une lettre du colonel Lafitte, mort en 1793 ou 1794, à Bureaux de Pusy; ces deux officiers étaient en ce moment les deux seuls ingénieurs attachés à l'armée de Lafayette et se partageaient tous les travaux. On verrait par les précautions nombreuses dont il est fait mention dans la lettre du colonel Lafitte, que jusqu'au 13 et 14 août, rien n'avait été négligé pour la défense du camp de Vau. — « Certainement si du 22 au 28 août, le duc de Brunswick avait poussé » seulement un corps de dix mille hommes sur Sedan, cette armée se » serait dispersée dans les places ou aurait fui jusqu'à Paris (2). » — M. Dumouriez ignore sans doute, que le commandant du poste autrichien qui arrêta Lafayette en donna sur-le-champ avis au général Clairfait, que celui-ci envoya reconnaître la position de l'armée française, et qu'il ne jugea pas à propos de courir les risques d'une attaque.

• Lafayette avait abandonné son camp, le 21 août 1792, avec pres» que tous ses officiers-généraux et son état-major; il ne restait de cette » armée que trois maréchaux-de-camp, Ligneville, Dangest et Dietmann. » Outre les généraux et l'état-major, presque tous les colonels et lieu» tenans-colonels étaient partis (3). » Lafayette partit le 19 et non pas le 21 août. A cette époque, il y avait à son armée deux lieutenansgénéraux et neuf maréchaux-de-camp. Des deux lieutenans-généraux, l'un, Lastic, resta, et l'autre, Leveneur, qui s'était d'abord retiré dans l'intérieur, rejoignit l'armée quelque temps après. Trois maréchauxde-camp, Dangest, Dietmann et Ligneville restèrent; Lallemand quitta la France, et, forcé de passer par Luxembourg, un émigré y insulta la cocarde qu'il portait; il lui fit mettre l'épée à la main, fut blessé et après sa guérison se retira en Suisse. Duroure s'informa de la route

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qu'avait prise Lafayette et vint le rejoindre à Rochefort. Alexandre Lameth n'était point de ce corps d'armée.Employé au camp de Maubeuge sous La Noue, il avait cru, depuis le 10 août, devoir s'éloigner de cette ville où il avait remarqué de violens symptômes de révolte qui lui donnèrent des craintes pour sa sûreté. Il arriva le 13 ou le 14 auprés de Lafayette qui le plaça à Mézières; dans la nuit du 18 au 19 août, il fut obligé de se soustraire à la poursuite de deux gendarmes et vint à l'insu de Lafayette, le rejoindre à Bouillon. Ainsi, le général d'armée n'avait confié à aucun de ces trois officiers-généraux l'intention où il était de se retirer; sa réunion à deux d'entre eux ne fut point l'effet de sa volonté, et les seuls qu'il se soit associés furent Latour-Maubourg et Laumoy. Il n'avait avec lui que deux officiers attachés à l'état-major de l'armée; encore l'un était-il le maréchal-de-camp Laumoy, déjà cité; tous ses autres compagnons étaient ses aides-de-camp ou des officiers qui, lui étant personnellement attachés par une intime conformité de principes, auraient été sacrifiés s'ils ne l'eussent pas suivi. Nous ne saurions dire quel fut le nombre des officiers supérieurs qui, à l'époque du 10 août, se retirèrent de l'armée; mais il est certain que Lafayette n'emmena, outre les deux officiers-généraux dont nous venons de parler, que trois officiers supérieurs ayant troupes : Sicard, colonel du 43 régiment d'infanterie; c'était lui qui avait été chargé de la garde des trois commissaires de l'assemblée; ses deux lieutenans-colonels restèrent; Victor Latour - Maubourg, colonel du 3e régiment de chasseurs à cheval, et Cadignan, lieutenant-colonel du 12e régiment de dragons; tous les autres officiers supérieurs de ces deux corps restèrent également.

M. Dumouriez dit d'un mémoire militaire qu'il avait composé pour les jacobins, « que cet écrit fit le seul effet qu'il en avait désiré, c'était » de faire tomber l'avis de l'élection par les soldats. Le comité militaire » de l'assemblée en adopta les principes; mais pour faire du nouveau, >> il composa une formule de serment ridicule, qui fit une scission parmi » les officiers, en fit quitter plusieurs, et rendit ceux qui restaient de » très-mauvais serviteurs de la constitution (1). » — Le comité militaire de l'assemblée constituante fut unanime dans l'avis qu'il ne fallait point licencier les officiers de l'armée, et encore moins en faire élire d'autres par les soldats. Plusieurs membres de ce comité, MM. Émery, Crillon, Rostaing, Bureaux de Pusy, Bouthillier, Thiboutot, ne connaissaient point le Mémoire de M. Dumouriez; d'autres, tels que MM. Noailles, Lameth, Menou, Beauharnais, Broglie, n'avaient pas besoin des jacobins pour rejeter des mesures anarchiques; il est donc fort peu probable que le Mémoire dont il s'agit ait décidé l'opinion du comité militaire. Quant à la formule du serment, imaginée pour faire du nouveau, elle ne fut défendue dans le comité militaire que par un seul de ses membres, non militaire, mais Chabroud la fit passer dans le grand comité composé des cinq comités réunis. Elle était mauvaise; mais elle n'occasionna pas de scission, car on ne l'envoya point aux troupes.

(1) Vie de Dumouriez, tom. 11, liv. m, chap. v. pag. 105 et 106.

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