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administrations responsables, lien non moins sacré pour moi. En vérité, Monsieur, c'est mettre beaucoup trop d'importance à ma personne, et beaucoup trop peu à une vexation, que de continuer à me retenir.

Après tout ce que votre crédit a fait, après tout ce que vous osez depuis quelque temps avec courage contre une faction meurtrière, je ne puis croire que vous ne puissiez et ne vouliez obtenir du comité la révocation entière de son arrêté. Il fut pris à une époque où il craignait que l'opinion de M. Lafayette pût soutenir encore quelques citoyens dans la fidélité à la constitution. Je ne puis croire que vous n'obteniez pas que l'ordre de M. Roland, qui ne s'appuie que sur cet arrêté, soit aussi révoqué, et que ma liberté me soit rendue tout entière. Il est impossible qu'un certificat de résidence dans les fers des ennemis pour s'être dévoué à la cause de la liberté, ne vaille pas à la femme de M. Lafayette les mêmes avantages que vaudrait à celle d'un artiste le certificat qui répondrait qu'il voyage pour s'instruire de son art. Je ne parlerai pas de la barbarie qu'il y a en général à garder les femmes comme ôtages; mais je dirai qu'il est dans l'impuissance absolue de nuire ou de servir aucune cause. Souffrez que je le répète : il a fallu l'y réduire, pour qu'il ne servît plus la cause de la liberté !

J'avoue, Monsieur, que je ne pourrai jamais croire que celui qui poursuit, depuis tant d'années, l'abolition de l'esclavage des noirs, puisse refuser d'employer son éloquence pour délivrer d'esclavage une femme qui ne demande d'autre liberté que celle d'aller s'enfermer dans les murs ou au moins autour des murs de la citadelle de Spandau. M. Roland veut bien m'assurer qu'il est dans la persuasion que je ne puis ni ne veux nuire... alors il faut me délivrer; car, d'après les principes avoués par M. Roland lui-même, on doit faire le bien de tous, avec le moins de mal possible pour chacun. Ma liberté n'en ferait à personne. Laissez les ennemis étrangers assouvir leur haine contre un sincère ami de la liberté; ne vous unissez pas à eux pour le persécuter dans ce qui lui est cher, et qu'au moins ils voient qu'il y a dans notre patrie, des représentans courageux du peuple qui abhorrent les crimes inutiles, soutiennent l'innocence, au moins lorsqu'elle est faible et qu'elle souffre.

J'ose attendre de cette lettre une prompte réponse. Elle peut vous faire juger que je suis bien malheureuse; mais aucune ex

pression ne peut peindre l'état violent de mon cœur, ni la reconnaissance que je devrais à mes libérateurs, tels maux qu'ils m'aient causés jusque-là.

NOAILLES LAFAYETTE.

APPENDICE.

M. Lucas-Montigny, éditeur des Mémoires de Mirabeau, déclare que la note suivante a été écrite entre le 10 et le 20 octobre 1789, à une époque où l'on ignorait encore que la difficulté des subsistances cesserait après l'installation du roi à Paris; il ajoute qu'il ne possède pas l'original de cette note écrite de la main de Mirabeau, mais que le général Lafayette l'a reconnue sur la minute informe qui lui a été présentée. Cette déclaration est conforme à nos souvenirs.

(Note des Éditeurs.)

« Il est un homme dans l'état qui, par sa position, est en butte à tous les événemens; qui ne peut pas même compenser les revers avec les succès; et qui, en quelque sorte, est garant du repos, on peut même dire du salut public, ce qui comprend tout à la fois les subsistances, les finances, l'obéissance de l'armée et la paix de provinces.

Quel est cet homme? C'est M. de Lafayette.

Quels sont ses moyens? Une portion de la force publique qu'il tient dans ses mains, et son influence sur tous les ressorts du pouvoir exécutif.

Cette force publique dont il dispose est un obstacle comme un moyen, elle serait impuissante si les subsistances manquaient, elle se tournerait même alors contre son chef; cela est évident. M. de Lafayette doit donc répondre des subsistances, et en répondre aujourd'hui, demain, chaque jour, et à chaque instant.

Quels sont ses moyens pour répondre des subsistances? Presque aucun dans ce moment. A cet égard, il est incontestable que l'action de la commune de Paris ne suffit pas; que l'action de la force publique, même dans un rayon de quinze lieues, ne suffit pas non plus; il faut donc le concours d'un autre force et de tous les agens de l'autorité. Or, tant que M. de Lafayette n'aura pas un ministère à lui, il ne pourra pas compter sur ce concours.

La force publique dont le même homme dispose ne serait bientôt

qu'un embarrassant fardeau sans les finances. Or, il est évident qu'elles vont être taries dans l'instant même où des besoins de toute espèce exigeraient l'abondance.

Quels sont les moyens de M. de Lafayette pour pourvoir aux finances? Aucun, si les ministres actuels ne veulent pas le servir, et presque aucun, même en supposant que leurs intentions ne puissent pas, ce que je pense, lui être contraires. Le temps approche où de petits moyens ne suffiront plus à de grandes choses. Il faut donc, sous ce nouvel aspect, que M. de Lafayette ait un ministère qui puisse entrer parfaitement dans ses vues, et coïncider avec lui par tous les points et sous tous

les rapports.

La force publique qui est dans ses mains peut encore devenir trèsimpuissante, si les chefs de l'armée refusent d'obéir, si les provinces se divisent, s'isolent et se démembrent, d'abord d'intention et ensuite à force ouverte. Des symptômes inquiétans sont déjà connus; la Bretagne court aux armes; un chef ambitieux, jaloux et ennemi personnel, menace aux frontières (1); un autre chef méconnaît les ordres du roi; une province dont la fierté est à redouter (2) convoque également ses états et paraît vacillante.

Quels sont les moyens de M. de Lafayette pour prévenir cette imminente dissolution? Presque aucun, car sa portion de force ne peut rien à cela. Ici l'unité de conseil, l'unité d'action de la coalition de tous les genres de pouvoir peuvent seuls quelque chose. Mais si M. de Lafayette n'a pas un ministère à lui, comment pourrait-il opérer cette réunion de tant d'efforts?

Le second moyen de M. de Lafayette est son influence.

Mais toute influence est nulle lorsqu'il s'agit de subsistances et de finances. L'éloquence, les vertus, l'opinion publique ne donnent pas de pain si l'on manque de blé, et ne donnent pas de l'argent sans plan de finances.

L'influence est un moyen très-actif pour calmer et retenir les provinces ; mais elle a besoin d'être secondée. La foi à un seul homme est un don du ciel ; il ne faut pas y compter. A quoi donc doit servir utilement l'influence de M. de Lafayette? A se donner des ministres à lui, qui s'associent à ses intentions patriotiques comme à sa gloire; qui n'impriment pas un mouvement inverse aux roues de la même machine; qui ne le découragent pas par l'inaction, et ne l'effrayent point par des plans contraires à ses vues; qui enfin, fidèles tout à la fois aux intérêts populaires comme aux intérêts monarchiques, à l'union politique comme à l'amitié personnelle, ne séparent pas leur tête de la sienne, soit qu'il faille la porter sous le dais du triomphe ou sur l'échafaud.

Maintenant, seconde question : Le temps presse-t-il? Dans trois jours, dit-on, dans quinze jours, dans deux mois! Il s'agit de savoir si les circonstances les plus impérieuses ne font pas une autre réponse.

Dans deux mois l'État est perdu ou sauvé sans retour. Si à présent on n'a pas besoin d'auxiliaires, si l'on peut s'en passer aujourd'hui,

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