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Je ne me dissimule pas que les pièces ci-jointes, extraites des journaux et autres publications du temps, n'ont plus l'intérêt qu'on a pu autrefois leur accorder (1). L'incorrection de ces discours ou écrits du moment, la manière imparfaite dont plusieurs ont été recueillis, et la nature particulière des circonstances d'alors, pourraient aussi décourager un écrivain qui prétendrait aux succès littéraires, ou même un homme public qui eraindrait le sévérité des générations présentes.

Mais j'éprouve un inconvénient plus grand à mes yeux, en reproduisant des matériaux relatifs à ces temps d'une agitation générale et sans cesse manifestée : c'est que, pour rendre ce recueil intelligible, il faut le lier à des explications et à des citations qui retracent, en des termes souvent flatteurs, ma situation personnelle. On verrait, en recourant aux sources de ces extraits, que j'ai cherché à les dégager, autant que j'ai cru pouvoir, des inconvenances de ce genre. Il en reste encore beaucoup trop; mais peut-être voudra-t-on bien se rappeler que ces vicissitudes d'influence et de malheur, de bienveillance et d'injustice à mon égard, ont eu déjà peu d'empire sur moi, à l'époque même où elles composaient mon existence politique. J'aurai du moins rempli mon principal objet ; c'est de montrer une fois de plus, quelles ont été, dans tous les temps, la doctrine

(1) Ces réflexions préliminaires ont été écrites en 1814, pour un premier recueil de discours et de pièces historiques, refondues dans la collection de 1829, qui nous sert de texte.

et la conduite des vrais amis de la liberté; c'est de signaler leur différence également tranchante, également déclarée, d'aves les ennemis avoués de la cause nationale et les désorganisateurs insensés ou coupables, toutes les fois que ceux-ci, usurpant le nom de patriotes, ont dénaturé ou souillé cette cause sainte, se faisant ainsi les auxiliaires et souvent même les complices de l'aristocratie et du despotisme.

Il sera plus facile à nos adversaires de calomnier nos intentions, que de citer, dans tout le cours de ma vie, une opinion ou uge. action, qui ne soit pas conforme aux sentimens exprimés dans ge recueil. S'ils voulaient trouver quelque contradiction entre mon ardeur pour les innovations libérales et mon dévouement à Forr dre public, je leur ferais la même réponse qu'à M. le marquis de Chasteler, lorsque ce général fut, en 1797, envoyé de Vienne aux prisonniers d'Olmütz, c'est « qu'il n'y a pas, à mon avis de » plus grand désordre qu'un gouvernement arbitraire..

CONSTITUANTE.

RÉCIT DES ÉVÉNEMENS

DU 5 MAI AU 16 JUILLET 1789 (1).

I.

Lorsque le gouvernement s'était vu forcé à la convocation des états-généraux, il y avait eu en 1788, pour en régler le mode, au retour de M. Necker, une assemblée des notables de l'année précédente (2). Nous n'avons ni les discours qui y furent prononcés à l'appui du principe du doublement du tiers-état, ni les discussions des réunions particulières à Paris, dont la plus distinguée se tenait chez Adrien Duport.

C'est là que fut agitée la question de savoir si les nobles du parti populaire chercheraient, de préférence, à représenter les communes. C'était l'avis de Lafayette. Il fut combattu avec succès par Mirabeau, et d'après la résolution qu'on prit, il arriva que le premier devint député de la noblesse, tandis que Mirabeau, repoussé par l'aristocratie provençale, dut se jeter dans la candidature populaire.

Ce fut après un discours de Lafayette, en réponse à quelques autres, que la noblesse de la sénéchaussée d'Auvergne abandonna la presque totalité de ses priviléges pécuniaires; mais par une clause postérieure à l'élection, elle fit un devoir à ses députés, d'attendre la majorité de leur chambre pour se réunir à celle du tiers-état, condition pénible, mais peu durable, que

(1) Extrait du recueil fait en 1829, et intitulé: Collection de plusieurs Discours du général Lafayette.

(2) Voyez t. 1, page 460.

les membres de la minorité à qui elle était imposée remplirent exactement, non par machiavélisme, comme on l'a dit, mais par respect pour leurs commettans. On aurait même attendu, pour voter dans l'assemblée, de nouveaux pouvoirs spéciaux qui se préparaient, lorsque bientôt après, les chambres étant réunies, la conspiration de la cour contre l'assemblée ne laissa plus de temps ni de choix, que dans l'alternative d'un asservissement complet ou d'une révolution immédiate.

Le 8 juillet, Mirabeau fit sa célèbre motion pour l'éloignement des troupes qui entouraient l'assemblée et menaçaient Paris. On allait l'ajourner par un renvoi aux bureaux, lorsque Lafayette demanda pour la première fois la parole. «Il n'y a,» dit-il, « que deux motifs pour renvoyer une proposition aux bureaux; c'est lorsqu'il reste des doutes sur un fait à éclaircir, ou qu'il peut y en avoir sur une détermination à prendre. Or, Messieurs, la présence des troupes appelées autour de cette assemblée, est un fait évident pour chacun de nous. Quant à la détermination à prendre en pareil cas, je ne ferai pas à l'assemblée l'injure de croire qu'aucun de nous puisse hésiter. Je ne me contente donc pas d'appuyer la motion de M. de Mirabeau, je demande, au lieu du renvoi prononcé par M. le président, que la chambre aille sur-le-champ aux voix. » En effet, la délibération fut prise, et Mirabeau rédigea l'admirable adresse qui fut dès le lendemain portée au roi, et n'obtint qu'un refus.

Cependant le péril croissait; le renvoi de Necker et de ses amis (1) avait été résolu. L'assemblée nationale était entourée de troupes, la plupart étrangères; on devait la nuit même ou le lendemain faire une attaque sur Paris, enlever douze membres de l'assemblée et en faire, comme on disait, un exemple immédiat; un nouveau ministère était nommé (2); le roi allait dissoudre les chambres et se porterà Compiègne, lorsque le 11 juillet, fut présentée conformément aux principes de l'Ere américaine, non une concession ou pétition des droits, mais la première déclaration des droits, qui ait été proclamée en Europe.

« Le 11 juillet, dit le bulletin de l'assemblée, M. de Lafayette a établi deux utilités pratiques d'une déclaration des droits.

« La première est de rappeler les sentimens que la nature a

(1) MM. de Montmorin et de Saint-Priest.

(2) MM. de Breteuil, La Galaisière, de Broglie, de La Porte et Foulon.

gravés dans le cœur de chacun, mais qui prennent une nouvelle force lorsqu'ils sont reconnus par tous; développement d'autant plus intéressant que, pour qu'une nation aime la liberté, il suffit qu'elle la connaisse; pour qu'elle soit libre, il suffit qu'elle le veuille.

«La seconde est d'exprimer ces vérités d'où doivent découler toutes les institutions, et qui doivent devenir, dans les travaux des représentans de la nation, un guide fidèle qui les ramène toujours à la source du droit naturel et social.

«Il a considéré cette déclaration comme devant s'arrêter au moment où le gouvernement subit une modification certaine et déterminée, telle qu'est en France la monarchie; et renvoyant à un autre travail, d'après le plan proposé, l'organisation du corps législatif, la sanction royale qui en fait partie, etc., il a cru devoir désigner d'avance le principe de la division des pouvoirs. Il a ajouté qu'une déclaration des droits ne devait avoir d'autre mérite que la vérité et la précision; qu'elle devait dire ce que tout le monde sait, ce que tout le monde sent, et que cette idée seule avait pu l'engager à esquisser une rédaction qu'il priait l'assemblée de renvoyer à l'examen des bureaux, dans l'espérance que ce premier essai, engagerait d'autres membres à en présenter de meilleurs, qu'il s'empresserait lui-même de préférer. »

PREMIÈRE DÉCLARATION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME ET

DES CITOYENS.

«La nature a fait les hommes libres et égaux; les distinctions nécessaires à l'ordre social, ne sont fondées que sur l'utilité générale.

>> Tout homme naît avec des droits inalienables et imprescriptibles; tels sont la liberté de ses opinions, le soin de son honneur et de sa vie, le droit de propriété, la disposition entière de sa personne de son industrie, de toutes ses facultés, la communication de ses pensées par tous les moyens possibles, la recherche du bien-être et la résistance à l'oppression.

» L'exercice des droits naturels n'a de bornes que celles qui en assurent la jouissance aux autres membres de la société.

> Nul homme ne peut être soumis qu'à des lois consenties par

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