Page images
PDF
EPUB

pour y distribuer les soldats attachés à la commune. Il profita de cette occasion pour faire à l'assemblée une proposition que j'avais déjà plusieurs fois rejetée. Il me dit un jour, que je devrais proposer à l'assemblée de demander à l'assemblée nationale, de nous faire jouir d'un des plus grands biens attendus de la révolution, la réforme de la jurisprudence criminelle, comme le conseil aux accusés, la publicité de l'instruction, etc. Je lui répondis que ces objets étaient, en effet, très-importans, mais que je croyais qu'il fallait attendre ce que ferait, à cet égard, l'assemblée, et ne pas précipiter un changement si important dans des temps de troubles. Il revint à la charge plusieurs fois: alors je développai davantage mes raisons..... Mais aujourd'hui, il fit la proposition. L'assemblée ajourna à l'après-midi même. M. de Lafayette eut soin de revenir presser la décision, et en effet elle fut portée dans la soirée. On prit un arrêté par lequel on demanda à l'assemblée nationale des formes provisoires, en attendant des formes définitives, pour la procédure criminelle.

» Je ne puis qu'applaudir aux vues de M. de Lafayette: elles étaient pures; mais il se mêlait d'un objet qui ne le regardait pas. N'ayant pas assez de connaissances et d'expérience sur cet objet, il fit un très-grand mal.

>> L'assemblée nationale fit (le 9 octobre) un décret provisoire en vingt-huit articles; elle institua les notables; elle régla que les procédures anciennes faites jusqu'alors subsisteraient; mais que toutes celles qui seraient faites après le décret, le seraient suivant les nouvelles formes.

» Il fallut élire des notables; il fallut que les juges apprissent un nouveau métier. Pendant ce temps, c'est-à-dire pendant deux ou trois mois, nous fûmes sans justice. Les prisons se remplirent; les formes les plus longues les vidèrent lentement, et l'impunité eut l'air de s'établir en proportion de la licence. »

Lafayette éprouva dans l'assemblée de la commune des difficultés tenant, non-seulement aux motifs indiqués dans lejournal de Bailly, mais aussi au fond de la question, aux préjugés du temps, et à la nouveauté des formes qu'il proposait. Nous n'avons pas ses paroles à cette occasion. Quelques-unes furent publiées dans le temps, et portaient spécialement sur la répugnance de la garde nationale et de son chef à concourir aux arrestations, dont le résultat était une procédure ténébreuse et barbare. Sa popularité personnelle eut plus de part à la décision,

que la bonté de sa cause; mais il fut arrêté que l'assemblée nationale serait immédiatement suppliée, de ne pas différer à donner aux accusés, les garanties qui furent le 9 octobre l'objet d'un décret provisoire.

Lorsque l'organisation de la garde nationale fut complétée, il y eut une solennelle bénédiction de ses nouveaux drapeaux. Les gardes-françaises, les chevaliers de l'arquebuse, les bazoches du palais et du châtelet avaient remis les leurs, ce qui n'était pas une petite affaire. Ce sacrifice, assez difficile à obtenir dans tous les temps, le devenait encore plus d'après les intrigues des ennemis de la révolution, profitant sans cesse de l'esprit de inobilité et d'exaltation qui régnait alors, pour émouvoir les pas sions en sens contraire de ce que les chefs de la capitale avaient jugé utile à l'intérêt et à l'ordre publics. C'est ainsi qu'après avoir excité les compagnies des gardes-françaises, de garde à Versailles, à quitter brusquement leur poste, intention qui ne put être déjouée que par un ordre positif de Lafayette, et lorsqu'ensuite ces compagnies eurent été rappelées à Paris, d'après une demande secrète du roi, on chercha à ranimer en eux le désir de reprendre ces postes de Versailles, qui fut une des causes des troubles d'octobre. Mais tous les abandons des divers vieux drapeaux, ayant été faits, la bénédiction de ceux de la garde nationale, à la cathédrale de Notre-Dame, par l'archevêque de Paris, fut célébrée avec beaucoup d'éclat. L'abbé Fauchet y prononça un éloquent discours. Cette cérémonie du 24 septembre, dont on trouve les détails dans les Mémoires de Bailly et les journaux du temps, précéda de peu de jours les mouvements du commencement d'octobre..

Ce fut à cette époque, dans cet intervalle antérieur au 6 octobre, que Lafayette reçut la visite de Montmorin avec lequel il était lié depuis son passage en Espagne. Ce ministre, ami personnel du roi, éprouvait de vives craintes au sujet de la faction orléaniste. Pour mieux s'assurer de Lafayette, il alla jusqu'à lui parler non-seulement d'être connétable, mais d'être lieutenantgénéral du royaume. Lafayette répondit que cette place n'ajouterait rien ni à son crédit en France, ni à la détermination où il était de défendre le roi contre les attentats de M. d'Orléans, et il se contenta de conseiller, en cas de complot imprévu, que le roi se rendit de Versailles à Paris, où la garde nationale s'empresserait de veiller à sa sûreté.

Il raconta cela le même jour, à sa femme, à quelques amis et n'en a plus parlé depuis. Son refus n'a été publié pour la première fois que par les mémoires de Bouillé. Quelque temps après, Mounier vint aussi à Paris causer avec Lafayette et lui parla fortement de l'idée d'être connétable. Lafayette ne se prêta nullement à cette nouvelle proposition et nechangea rien à son opinion politique.

HII.

DISCUSSIONS LÉGISLATIVES

ET RAPPORTS

DU COMMANDANT-GÉNÉRAL AVEC LE MAIRE.

Il y avait alors des comités de quelques chefs d'opinion constitutionnelle, pour s'entendre sur l'organisation du corps législatif. Lafayette leur donna rendez-vous chez M. Jefferson. Mounier, Lally et quelques autres, auraient voulu une pairie anglaise. Duport, Lameth et Barnave, d'accord avec la généralité du parti populaire et des héritiers de l'opinion de Turgot et de Franklin, voulaient une chambre unique. Lafayette, fort des expériences américaines, penchait pour deux chambres électives et temporaires. Il dit que si c'était un moyen de réunir les patriotes, il verrait avec plaisir qu'on allàt jusqu'à établir un sénat électif à vie; mais il s'éleva contre l'idée d'un sénat héréditaire, tout comme il avait fait avant les états-généraux, dans sa réponse à M. Bergasse, lorsque celui-ci lui envoya l'ouvrage qu'il fit paraître à cette époque. M Mounier, quoique partisan de la chambre des Pairs ou d'un sénat à vie nommé par le roi, se serait contenté alors d'un sénat électif, si l'unité de chambre n'avait pas eu la grande majorité des voix parmi les patriotes, renforcés par une partie considérable de l'aristocratie. Au reste, Lafayette,

occupé jour et nuit de maintenir la tranquillité de la capitale, et d'organiser la garde nationale, deux choses dont dépendait le salut de toute la France, ne put pas prendre part aux débats de l'assemblée tenant ses séances à Versailles. Il y aurait voté pour deux chambres électives, mais plusieurs de ses plus intimes amis auraient voté contre lui, tant était grande alors la répugnance à cet égard. La chambre unique l'emporta le 10 septembre.

Les plus décidés aristocrates votèrent dans ce sens, parce qu'ils pensaient que la chose ne pourrait pas aller et que leur projet était de faire tout ce qui leur paraissait le pire.

Quant au veto royal, Mounier, Lally, Malouet et Mirabeau soutenu par l'opinion de son ami Clavière, depuis ministre républicain, ne voyaient de garantie que dans le veto absolu, dont les partisans ont vivement reproché à Lafayette, d'avoir employé son influence en faveur du veto suspensif, qui avait le double avantage de modérer la précipitation du corps législatif; et de faire valoir en définitive la volonté publique; mais indépendamment de l'avis personnel et franchement énoncé de Lafayette, l'opinion générale était pour cette combinaison qui finit par être adoptée par le conseil du roi, et surtout par M. Necker, son principal ministre.

Le caractère et les occupations de Bailly expliquent suffisamment pourquoi, il n'a jamais été de ces comités qu'on tenait à l'hôtel de La Rochefoucauld, et où plusieurs députés se réunissaient, pour débattre ensemble et s'éclairer mutuellement, sur les questions qui étaient à l'ordre du jour, discussion indispensable pour être en état de répondre aux aristocrates et aux jacobins, qui avaient aussi des comités préalables aux débats de l'assemblée.

Bailly, au moment où il fut élu député, n'avait pris aucune part à la révolution française, et la seule phrase politique qu'on ait citée de lui avant ce temps, était une phrase désapprobatrice des révolutions (je ne me la rappelle pas ). Il se trouva heureusement président des communes, dans l'importante quinzaine qui amena le serment du Jeu-de-Paume et la réunion des ordres. Sa conduite noble et patriotique dans ces circonstances, le porta à la mairie le 15 juillet. Il n'avait pris aucune autre part à la grande insurrection du peuple français, que celle d'avoir dignement présidé l'assemblée à une époque intéressante. Il n'en prit aucune aux délibérations subséquentes de l'assemblée

constituante; il n'existe de lui aucune motion; il ne parla sur aucune question; il n'assista à aucun comité; en un mot, il n'avait jamais compté parmi les promoteurs de la révolution française. Après le 15 juillet, il ne parut guère qu'à la barre de l'assemblée, et s'il se plaça de temps en temps dans les bancs, ce ne fut que pour écouter quelques orateurs ou donner sa voix sans prendre une part active aux débats.

Cependant, Bailly, renfermé dans ses fonctions de maire de Paris, les remplit avec la loyauté, l'intégrité, l'humanité qui ont toujours caractérisé ce philosophe aussi recommandable par les qualités de son cœur que par les lumières de son esprit. Lafayette avait avec toute la France, il avait avec l'assemblée, des rapports dont le maire de Paris ne se mêlait en aucune manière; mais dans tous les temps et dans tous les rapports relatifs à leurs places de maire et de commandant-général, il régnait entre eux l'union la plus intime, la confiance la plus illimitée, l'amitié la plus sincère. On avait en vain fait des efforts incroyables pour les brouiller.

Le caractère de Bailly avait une certaine susceptibilité que ses ennemis faisaient passer pour de la morgue, et qui tenait principalement au désir qu'il avait de ne rien céder de ce qui appartenait, non à sa personne, mais à sa place. Il n'y a pas eu dans le cours de ces trois années une seule minute où les déférences, les respects du commandant-général, n'aient pas été au-delà même de ce qu'il en pouvait attendre, et cela était fondé sur le besoin qu'avait Lafayette de satisfaire aux sentimens de son cœur pour Bailly, et d'introduire en France la subordination de la force armée à l'autorité civile.

Bailly était ainsi que lui en butte à la haine aristocratique et à celles de toutes les sectes anarchistes. Quoique, moins tranchant que Lafayette, il eût conservé longtemps sa carte aux jacobins, pour que son nom ne fût pas rayé de la liste, il n'était pas moins l'ennemi de ce club et n'y parut jamais. On cherchait à profiter des plus petites circonstances pour le brouiller avec son ami, et souvent ils riaient ensemble de ces vaines intrigues; mais le seul objet sur lequel Bailly ne partagea pas toujours le sentiment de Lafayette, c'est sur le parti qui a été depuis nommé girondin.

Lafayette était lié avec Condorcet qui haïssait Bailly, et celuici avait souvent averti Lafayette que son ancien ami avait un mauvais caractère, et que, tôt ou tard, il s'en apercevrait lui

« PreviousContinue »