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Lorsque le roi eut reçu à l'Hôtel-de-Ville, des mains du maire, la cocarde de la révolution qui n'avait encore que les deux couleurs de la ville, il fut reconduit par le commandant-général jusqu'au piquet des gardes-du-corps resté hors des murs.

A la suite de la délibération de l'assemblée des électeurs du 16, un projet d'organisation fut arrêté par Lafayette, de concert avec le comité militaire, l'état-major de la garde provisoire, le général Mathieu Dumas rapporteur. En même temps ce fut sur sa proposition, qu'après l'adoption des nouvelles couleurs par le roi, l'Hôtel-de-Ville y ajouta l'antique couleur blanche (1).

Ainsi fut formée la cocarde tricolore, devenue la cocarde nationale. Lafayette, en présentant à l'Hôtel-de-Ville le projet d'organisation avec cette cocarde et l'uniforme tricolore, prononça ces paroles :

Je vous rapporte une cocarde qui fera le tour du monde, et une institution à la fois civique et militaire, qui doit triompher des vieilles tactiques de l'Europe, et qui réduira les gouvernemens arbitraires, à l'alternative d'être battus, s'ils ne l'imitent pas, et renversés, s'ils osent l'imiter. »

Ce qui s'est passé dans la guerre de la révolution, l'appel des

mille hommes armés de toutes les sortes, des gardes-françaises dont il avait remplacé les anciens officiers par leurs sergens, de tous les militaires qui avaient rejoint le drapeau de l'insurrection, et de tous les citoyens qui avaient pu se procurer des armes quelconques. On voyait parmi eux jusqu'à des moines de divers ordres.'Derrière les rangs des citoyens armés, étaient entassés, femmes, enfans, vieillards; toutes les fenêtres étaient garnies; les toits même étaient couverts de spectateurs.

<< La subordination et le bon ordre étaient tels, qu'un signe du commandantgénéral suffisait pour exécuter sans tumulte le plus grand mouvement. Aucun homme armé n'a quitté son rang; aucune personne n'a traversé la ligne. M. de Lafayette n'est monté à l'Hôtel-de-Ville que pour prendre le roi au moment de son départ et assurer son libre passage. C'est alors que Sa Majesté parvenue à sa voiture sans aucun obstacle, lui a dit : « M. de Lafayette, je vous cherchais pour vous faire savoir; que je confirme votre nomination à la place de commandant-général de la garde parisienne. » (HISTOIRE DES PREMIERS ÉLECTEURS DE PARIS, par Ch. Duveyrier, secrétaire de leur assemblée.)

(1) La cocarde fut d'abord bleue et rouge; ce n'étaient pas seulement les couleurs de la ville, mais par un singulier hasard, celles de la livrée d'Orléans, Lafayette, frappé de cette circonstance et voulant nationaliser l'ancienne couleur française en la mêlant aux couleurs de la révolution, proposa à l'Hôtel-de-Ville et fit adopter la cocarde tricolore. (Note du général Lafayette.)

divers souverains aux milices nationales et le coup mortel porté à l'arbitraire, par l'introduction du système représentatif en Europe, semblent justifier cette prédiction.

Voilà comment furent instituées les gardes nationales. La révolution du 14 juillet avait donné à la capitale, une espèce de suprématie sur les autres villes et sur tous les cantons du royaume, qui s'empressèrent de suivre ses exemples et de demander ses conseils. Il en fut de même des forces armées dans toute la France. Cette circonstance et la confiance personnelle dont Lafayette était l'objet, lui donnèrent une grande part à la création des gardes nationales, et quoiqu'il ait refusé les commandemens spéciaux qui lui furent alors offerts de toutes parts, et ensuite, en 1790, le commandement général que la France armée lui destinait, il n'en joignit pas moins à l'honneur de l'institution, une influence personnelle, qui lui a fait depuis un droit et un devoir de réclamer sans cesse, l'organisation de cette puissante et essentielle garantie de l'indépendance nationale, et qui diminue beaucouple peu de mérite qu'on a bien voulu trouver à son refus d'un plus grand pouvoir.

Le mouvement du 14 juillet s'était communiqué comme l'étincelle électrique; la France, sous peu de jours, fut debout toute entière. Paris eut, à cette époque, à modérer l'influence qu'on lui accordait, à la diriger vers le bien général. Lafayette n'accepta d'autorité que ce qu'il était impossible de refuser, mais employa'son immense influence, à la formation des gardes nationales de la France entière, où partout on prenait pour modèle la force armée de Paris, et pour règle l'opinion de son chef.

Ce fut un grand bonheur au milieu de l'effervescence populaire, lorsque les institutions anciennes étaient détruites, qu'aucune autre barrière n'était encore élevée; ce fut, dis-je, un grand bonheur, que cette confiance dans les hommes qui, tels que Bailly, Lafayette, les électeurs, les représentans de la commune et de la garde nationale de Paris, ont eu constamment l'horreur des violences, auxquelles ils s'opposèrent dès lors, de toutes leurs forces. Cette opposition à tous les désordres fut telle, que la garde nationale et son chef, ne sont pas plus connus dans ces trois premieres années, pour leur dévouement à la cause de la liberté, que pour leur zèle à combattre l'anarchie, à protéger les personnes et les propriétés sans distinction de parti, et à maintenir l'ordre légal. Cette première impulsion s'est

retrouvée toutes les fois que les circonstances, l'esprit de faction ou les calculs du despotime, ont cédé à la nécessité de rétablir des gardes nationales.

Les contemporains se rappellent avec plaisir cette belle organisation de la première garde nationale parisienne, ces six superbes divisions composées de soixante bataillons de six compagnies volontaires et une soldée. Les anciens grenadiers des gardes, les chasseurs des barrières, une artillerie de cent quarante pièces de canon, une gendarmerie à cheval, complétaient cette organisation d'où sont sortis tant de généraux et d'officiers distingués. Les grandes villes, les villes moyennes, les campagnes se modelaient plus ou moins sur cette institution. Strasbourg, Lyon, Bordeaux, Metz, Rennes, Rouen, Marseille, etc., offraient à l'envi des troupes citoyennes admirables par leur belle tenue, leur excellent esprit. Des fédérations particulières liaient ensemble ces divers corps; mais c'est au 14 juillet 1790, un an après la mémorable époque de l'insurrection parisienne et de la prise de la Bastille, qu'une fédération générale lia de plus en plus toutes les parties de ce grand corps.

Nous avons dit que Lafayette, nommé à l'unanimité le 15 au matin, et par acclamation le soir du même jour, accepté le 16 par les applaudissemens de l'assemblée constituante, et le 17 par l'assentiment du roi prononcé à l'Hôtel-de-Ville, n'en avait pas moins voulu soumettre cette nomination à la délibération de l'universalité des citoyens de Paris. C'est le but de la circulaire du 18 juillet aux soixante districts. Nous la transcrirons ici :

« Il n'est point d'expressions qui puissent vous peindre ma reconnaissance et mon dévouement; mais je vous supplie de recevoir l'hommage d'un cœur pénétré de vos bontés, et dont la gloire et le bonheur seront d'être à vous jusqu'à mon dernier soupir,

> Quels que soient les témoignages si précieux de votre confiance, je dois observer que le général des milices parisiennes a été nommé par une acclamation, bien flatteuse sans doute, mais qui n'a pas le caractère légal de la volonté des citoyens, d'où doit émaner tout pouvoir. La circonstance était trop pressante pour que cela pût être arrêté par aucune réflexion. Aujourd'hui, Messieurs, je désire que mes concitoyens se choisissent régulièrement un chef, en me réservant dans tous les cas l'honneur de les servir comme le plus fidèle de leurs soldats, et ce n'est que provisoirement que je puis exercer les fonctions dont je suis chargé.

Elles me sont bien chères, Messieurs, lorsque je vous exprime mes remercîmens et mon admiration pour le bon ordre qui a régné hier,

et qui est dû à votre zèle beaucoup plus qu'à aucune disposition de ma part..

Le résultat fut une nomination régulière et non moins unanime, par suffrage universel, du maire et du commandant-général.

Une partie essentielle du plan d'organisation de la garde nationale de Paris, était d'incorporer dans chaque bataillon une compagnie du centre qui fit le service de l'ancien guet de la ville. Les gardes-françaises y étaient naturellement appelées. Paris était plein de soldats de divers régimens amenés des frontières dans des vues bien opposées, et d'un assez grand nombre de gardes suisses, dont on forma les compagnies des chasseurs des barrières. Quoique Lafayette eût déclaré « que les vrais déserteurs étaient ceux qui ne s'étaient pas réunis au drapeau de la nation,» il fallait régulariser la situation de tous ces militaires. Nous trouvons sur cet objet, dans les procès-verbaux et journaux du temps, une lettre du roi au général Lafayette.

« Versailles, 21 juillet. Je suis informé, monsieur, qu'un nombre considérable de soldats de divers de mes régimens en a quitté les drapeaux, pour se joindre aux troupes de Paris. Je vous autorise à garder tous ceux qui s'y seront rendus avant que vous receviez la présente lettre seulement, à moins qu'ils ne préfèrent de retourner à leurs corps respectifs, avec un billet de vous, au moyen duquel ils n'y éprouveront aucuns désagremens. >> Quant aux gardes-françaises, je les autorise à entrer dans les milices bourgeoises de ma capitale, et leur prêt et nourriture sera continué, jusqu'à ce que ma ville de Paris ait pris des arrangemens relatifs à leur subsistance. Les quatre compagnies qui sont ici pour ma garde continueront le service, et j'en aurai soin.

Signé LOUIS.

Pour assurer le sort de ceux des militaires qui voudraient retourner à leurs corps, il parut le 14 août une ordonnance royale qui confirma les permissions accordées par cette lettre.

Mais ce n'étaient pas les seules difficultés. On cherchait à travailler l'esprit des gardes-françaises. Une députation vint un jour apprendre au commandant-général que des congés absolus pour retourner dans leurs foyers, étaient délivrés par leur lieu

tenant-colonel, M. Malliardos. Lafayette leur donna rendez-vous chez cet officier dont la cour était pleine de soldats; il les harangua, et l'effet de cette allocution fut qu'aucun ne profita du consentement qu'à la fin du discours il donnait à leur départ.

Une autre fois en passant à cheval près du district des Cordeliers, il fut invité à s'y rendre. L'assemblée était nombreuse; une partie de la salle pleine de gardes-françaises. Après les applaudissemens ordinaires, le fameux Danton président et orateur du jour, informa Lafayette que, pour récompenser le patriotisme des braves gardes-françaises, le district avait arrêté de demander qu'on rétablit les régimens dans leur ancien état, et qu'on en donnât le commandement au premier prince du sang, le duc d'Orléans. « On ne doutait pas, disait-il, de l'assentiment du commandant-général à un projet si patriotique. » Le tout accompagné des complimens du président et des acclamations de l'asssemblée.

Lafayette se trouvait pris au piége. Son exorde fut très-précautionné; mais il parvint graduellement à dégoûter du projet les citoyens et les gardes-françaises elles-mêmes. Le complot, qui avait ailleurs ses racines, fut complétement déjoué.

(22 juillet). Dans les premiers jours qui suivirent l'insurrection du 14, l'état de Paris était effrayant. Cette population immense de la ville et des villages environnans, armée de tout ce qui s'était rencontré sous sa main, s'était accrue de six mille soldats, qui avaient quitté les drapeaux de l'armée royaliste, pour se réunir à la cause de la révolution. Ajoutez quatre à cinq cents gardes suisses, et six bataillons de gardes françaises sans officiers; la capitale dénuée à dessein de provisions et de moyens de s'en procurer; toute l'autorité, toutes les ressources de l'ancien gouvernement détruites, odieuses, incompatibles avec la liberté; les tribunaux, les magistrats, les agens de l'ancien régime soupçonnés et presque tous malveillans; les instrumens de l'ancienne police intéressés à tout confondre pour rétablir le despotisme et leurs places; les aristocrates poussant au désordre pour se venger et pour se rendre nécessaires; les orléanistes, de leur côté, au service des projets de leur chef; ces divers partis remuant, à leur gré, plus de trente mille étrangers ou gens sans aveu; et pour diriger tous ces élémens agités, pour animer et contenir en même temps ce peuple, que le despotisme s'était plu à corrompre, il n'y avait encore ni organisation militaire, ni

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