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français encourageaient cette première direction (1). Lafayette et ses amis auraient voulu une révolution plus favorable aux principes démocratiques. Pendant ce temps, l'aristocratie belge essaya d'engager l'assemblée dans des mesures qui auraient pu entraîner la guerre. L'assemblée préféra laisser la négociation au roi.

A la séance du 18 mars, le président fit lire une lettre de M. de Montmorin, dans laquelle ce ministre apprenait à l'assemblé nationale que le roi avait reçu une lettre du congrès des États Belgiques, que Sa Majesté n'avait pas voulu ouvrir.

Le président parla ensuite de deux lettres remises à l'assemblée par les députés des États Belgiques.

Environ deux mois avant cette séance, le roi avait soumis aux délibérations de l'assemblée les propositions des citoyens du Brabant, auteurs de la révolution. Le 18, au moment où la discussion allait s'ouvrir relativement au parti qu'il convenait de prendre sur les lettres du congrès, Lafayette monta à la tribune pour proposer de laisser cette affaire à la discrétion du roi :

a

Messieurs, dit-il, s'il n'est aucun ami de la liberté, il n'est aucun Français qui ne doive au peuple belgique des applaudissemens et des vœux. Mais la question actuelle se réduit à deux points: l'adresse de la lettre et ses auteurs.

» Elle s'adresse à l'assemblée constituante de France, dont les éminentes fonctions sont étrangères à cet objet; elle est écrite par un congrès dont personne ne respecte plus que moi les membres, mais qui,

Meersch étaient à la tête d'un autre parti qui réclamait des changemens conformes aux principes de l'assemblée constituante de France. On arrêta M. Vander-Meersch, et ses amis politiques furent poursuivis. Au milieu de ces divisions, Léopold II, successeur de Joseph II mort le 20 février 1790, envahit la Belgique avec une armée de quarante mille hommes, après avoir obtenu par la convention de Reichenback l'assentiment des cabinets de Londres, de Berlin et de la Haye, qui lui garantissaient la souveraineté des provinces belgiques. Les Brabançons furent défaits, et l'armée autrichienne fit sa rentrée dans Bruxelles au commencement de décembre 1790.

(I) Voy. dans le t. 5, p. 523 des Révolutions de France et de Brabant, par Camille Desmoulins, le passage suivant : « C'est à nous journalistes, à nous >> efforcer de sauver au peuple Français la tâche que Lafayette lui a imprimée » par le succès de la motion d'abandonner les Belges à la vengeance de leurs » tyrans. C'est son négociateur Sémonville qui, en prêchant à Bruxelles pré» maturément la pure démocratie qu'il persécutait ici chez les jacobins, et aidé >> du crédit de la maison d'Arenberg, a affaibli les forces du congrès, en four» voyant le respectable Vander-Meersch et les Vonkistes. »

d'après la constitution actuelle des États Belgiques, n'offre point encore les caractères qui émanent de la souveraineté du peuple. Je pense donc que, sous tous ces points de vue, nous devons renvoyer cette affaire au roi, bien sûrs que désormais tout despote, toute corporation ambitieuse, ne fera que hâter, en s'agitant, la révolution qui l'attend. Ce n'est pas le roi des Français, le restaurateur de notre liberté, qui nous égarera dans la conduite à tenir envers un peuple qui veut être libre et commence à connaître ses droits. »

Voici la proposition de Lafayette:

. L'assemblée nationale, après la lecture d'une lettre de M. de Montmorin, par laquelle ce ministre annonce la défense à lui faite par le roi d'en ouvrir une écrite au nom des États Belgiques, ainsi que la situation intérieure des Pays-Bas, où le congrès des États actuels ne paraît pas avoir les caractères qui émanent de la souveraineté du peuple; pense qu'elle ne peut mieux faire que de s'en rapporter entièrement à la sagesse et aux sentimens connus du roi (1). »

(1) Nous trouvons parmi les papiers du général Lafayette, la copie d'une lettre qui rend compte à M. Van-Eupen, grand pénitencier et secrétaire du congrès belgique, des dispositions de l'assemblée en cette circonstance. Elle est écrite par M. de la Sonde que M. de Montmorin avait chargé de quelques instructions diplomatiques pour les Pays-Bas : «(Paris, 18 mars 1790.) Vous » aurez vu sans doute que M. de Lafayette était monté à la tribune de l'assem→ » blée nationale pour y provoquer un décret aussi modéré qu'il était possible, » vu l'état actuel des choses dans les provinces belgiques. Il eût été à désirer » que vos agens ici n'eussent point encore insisté sur un objet dont vos dissen>sions avaient empêché la maturité; je vous en avais averti; sans doute vous » n'avez pas ajouté foi à mes paroles. Quoi qu'il en soit, je ne doute nullement > que le décret proposé n'eût été accueilli avec plus d'intérêt, sans un misérable » pamphlet dont vous trouverez ci-joint un exemplaire. Je ne sais quel est l'in» cendiaire qui l'a envoyé de chez vous, avec tant de profusion, et principale»ment à tous les membres de notre assemblée, le jour même qu'elle était » consultée sur ce qui vous regarde. Cet écrit qui indigne généralement est » attribué à un défenseur du congrès dont on pouvait faire l'apologie sans >> attaquer, comme l'auteur se l'est permis, l'assemblée nationale. »

SUR L'INSURRECTION DE LA BELGIQUE (1).

On trouvera ici des lettres des chefs de l'insurrection de Belgique, celles de MM. de Sémonville, Dumouriez, de la Sonde, employés par nous dans les Pays-Bas, des lettres du congrès, de ses députés en France, et de M. Cornet de Grez, conciliateur entre les partis y compris celui de l'empereur d'Autriche; il y a aussi des lettres de M. de Montmorin. Le résultat de la lecture de toutes les pièces réunies ici, sera de rappeler de plus en plus à mes amis le but auquel je tendais, celui d'établir la liberté en Belgique avec le moins d'excès et de malheurs qu'il se pourrait, mais en faisant céder les prétentions du trône et des diverses aristocraties, au grand principe de la souveraineté nationale, à la vraie liberté du peuple belge. J'en ai dit un mot dans ma lettre à M. d'Hennings (2).

Frédéric-Guillaume n'a pas été étranger à l'insurrection de la Belgique (3). Le gouvernement français, le roi et ses ministres, voulaient, avant tout, éviter une rupture avec l'Autriche; je cherchais à profiter de cette peur ministérielle, des embarras de la cour de Vienne et du besoin que l'aristocratie belge avait de la France, pour ramener tous les partis à un système national et représentatif; mais je ne me serais pas permis de contrarier à un certain point la politique du gouvernement français. On eût dit

(I) Cette note du général Lafayette est en tête d'un dossier où il a réuni un grand nombre de lettres, instructions et documens diplomatiques, relatifs aux événemens des Pays-Bas.

(2) Voy. la lettre à M. d'Hennings, dans ce volume. (Witmold, 15 janvier 1790).

(3) Voy. plus loin à la p. 203, la lettre du général Schlieffen, commandant des troupes prussiennes à Liége, au général Lafayette. (23 février 1790.) Le roi de Prusse permit au général prussien Schonfeld de commander les troupes brabançonnes.

qu'il y avait, à cette époque, une espèce d'alliance entre l'Angleterre, la maison d'Orange, la Prusse et les jacobins. C'est alors que Camille Desmoulins écrivait, dans ses Révolutions de France et de Brabant, pour le congrès belgique. J'aurais voulu que les États eussent adopté le principe d'une assemblée vraiment nationale, pour faire une constitution à la française. Peu m'importait alors que ce fût un prince autrichien qu'on mît à la tête de ce gouvernement. Mais l'aristocratie et le clergé voulaient conserver leurs priviléges et leurs antiques états. Je fis ce que je pus pour concilier ensemble les hommes influens du parti aristocratique et du parti populaire; les premiers ne voulurent pas se nationaliser; les autres diminuèrent de zèle à mesure qu'ils virent qu'on ne travaillait pas pour le peuple. Le gouvernement français ne voulait pas risquer la guerre pour cette querelle, et n'avait pas tort; il en était de même des autres puissances; la cour de Vienne en profitait.

Pendant cette époque, M. de Sémonville (1) fut envoyé, sans caractère public, à Bruxelles, et on eut lieu d'être content de lui. Après son retour, on envoya Dumouriez. Celui-ci s'enfila dans un projet avec les chefs aristocratiques, où il ne s'était pas oublié lui-même, et Montmorin, qui en fut mécontent, n'eut aucune envie d'entrer dans ses vues. Voici, à ce sujet, une anecdote assez remarquable. Lorsqu'en 1792, le ministère jacobin, dont Dumouriez était chef, fit un plan d'attaque contre la Belgique, il y avait dans mes instructions une recommandation de ne pas trop me livrer, dans ce pays, à mes sentimens démocratiques, ce qui contrastait singulièrement avec le genre de reproches que les mêmes hommes et leurs amis, dans le club et dans l'assemblée, me faisaient tous les jours.

(1) Le comte de Sémonville, ambassadeur auprès de la Porte Ottomane en 1793, puis en Hollande après le 18 brumaire, grand référendaire de la Chambre des pairs depuis 1814.

T. II.

17

CORRESPONDANCE.

A M. DE MONTMORIN,

MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1).

Oui, on le priant de ne pas aller trop vito.

Approuvé.

Paris, 1er février 1790.

Je vous envoie, mon cher Montmorin, la dernière lettre de Sémonville. MM. Torfs et de la Sonde dînent aujourd'hui chez moi. Je voudrais expédier ce soir le courrier de Sémonville, que ces deux messieurs suivront de près. Notre affaire est en bon train, et pour l'intérêt de la liberté qui doit toujours passer devant, et pour celui de notre politique. Il ne faut plus que décision et promptitude. Je vous prie de me donner à mi-marge, vos instructions pour diriger ma dépêche.

Ne dois-je pas louer la conduite de Sémonville, lui renouveler nos promesses, et l'engager à la continuation de ses vues et de ses moyens?

J'enverrai à M. de Sémonville le Mémoire de la Sonde; j'y joindrai, comme boussole de sa conduite, la note que vous avez faite et que M. de Ternant a copiée. Depuis ce temps nous avons fait un grand pas. La convention obtenue par

(1) Cette lettre est accompagnée de notes écrites en marge de la main de M. de Montmorin.

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