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n'aurais-je pas à penser qu'un autre eu eût obtenu plus que moi; et ce précieux dépôt de la confiance de Votre Majesté, je le lui remettrai avec autant de reconnaissance que de respect, le jour où la constitution étant achevée, la législature nouvelle, l'ordre judiciaire, un ministère respectable étant établis, il me sera permis d'exécuter le projet que j'ai annoncé depuis longtemps à Votre Majesté et dernièrement à l'assemblée.

Si au contraire je n'obtiens pas cette confiance, si honorable et en même temps si nécessaire, je ne dis pas que je quitterai mon poste; mais je dois déclarer à Votre Majesté que mon zèle sera sans cesse gêné par des obstacles et des considérations de tout genre.

Je supplie le roi de reconnaître dans ce mémoire la franchise d'un homme qui n'éprouve jamais un sentiment qu'il fût embarrassé d'avouer, et qui joint à une constance inébranlable dans ses principes, à un amour ardent pour sa patrie, les sentimens du plus pur attachement pour Votre Majesté.

Ce vendredi.....

Je n'ai rien de bien satisfaisant à vous mander. La reine recule nos conversations; elle se flatte de chimères et par conséquent son époux qu'elle tourne à son gré. Il se répand un bruit trèsfondé de propositions faites par M. de Laqueuille, à la députation de Bordeaux, de recevoir la famille royale. Il existe dans leurs mains une lettre originale de Laqueuille, la veille de cette proposition, qui dit que la reine sera charmée de les voir. C'est M. de Latour-du-Pin qui a présenté Paoli; le bonheur m'a fait arriver à temps pour empêcher qu'on ne lui dit des bêtises (1). Les projets de Maillebois, cette affaire de Bordeaux et jusqu'aux courses légères du fils de M. de La Vauguyon (2), réveillent les cris contre cet ambassadeur sur lequel j'ai reçu d'Espagne les notes les plus fidèles, et dont la maison et les démarches sont

(1) Le 22 avril, le général Paoli fut reçu par l'assemblée constituante avec une députation corse. Tous les journaux du même temps dénonçaient M. de Maillebois comme auteur d'un plan de contre-révolution combiné avec la cour de Turin, par l'entremise de M. Bonne de Savardin. Cette lettre doit être de la fin d'avril 1790.

(2) Le duc de La Vanguyon, ministre plénipotentiaire à Madrid, fut remplacé, en 1790, par M. Bourgoing.

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mauvaises. Dans cette circonstance, il n'y a que l'abandon entier du roi qui puisse sauver la chose publique sans guerre civile, dont la probabilité est plus grande aujourd'hui, par la raison que les aristocrates conservent quelque espoir, et que les factieux en profitent pour brouiller les cartes. Vous m'avez souvent prêché la déférence pour le roi et la reine; c'était inutile, parce que mon caractère m'y porte depuis leur malheur; mais croyez qu'ils auraient été mieux servis, et la chose publique aussi, par un homme dur. Ce sont de grands enfans qui n'avalent les médecines salutaires que quand on parle de loups-garoux. Ne croyez pas que je sois capable d'un procédé léger pour gouverner; nous nous entendrons toujours sur tout ce que je ferai dans ce département. Adieu, à demain à huit heures. Je suis bien heureux de vos sentimens; mais je sens que d'ici à six mois je dois des excuses à qui a le tourment de m'aimer. Parlez de moi à tous les êtres animés et inanimés qui vous rappellent des jours si doux et que je languis de voir renaître.

Je ne vous verrai pas aujourd'hui parce que je n'ai qu'une heure pour toutes mes écritures. Vous avez bien raison de me plaindre d'avoir un conseil aussi biscornu que celui du roi. La reine et lui sont obsédés de méfiances et de sentimens aristocrates; les ministres font des jérémiades, se rendent justice les uns aux autres et laisseraient dépérir le pouvoir exécutif le plus robuste; l'assemblée est divisée en douze ou quinze partis. J'ai pour ma quinzaine de Pâques un président orléanais, la brquillerie avec le parti Duport, les prêtres au confessional, les parlementaires dans les districts, la contre-révolution de M. de Maillebois qui échauffe d'autant les têtes (1), un plan de pillage pour la caisse d'escompte, les districts et la commune se mangeant le cœur, le civil et le militaire en querelle, l'armée incertaine de

(1) Ce plan avait pour but, disait-on, d'enlever le roi et la reine et de les conduire à Lyon. M. de Maillebois, dénoncé par un domestique, avait pris la fuite le 22 mars. Il s'ensuivit une procédure au Chatelet.

son sort, le combat des plans judiciaires, trente mille ouvriers affamés, M. Necker faisant ses malles (1), le vicomte de Mirabeau et compagnie qui soudoient des libelles aristocrates et qui, m'a dit l'abbé de Montesquiou, se livreraient aux plus incroyables excès, s'ils pouvaient.... Ne suis-je pas joli garçon? Moi qui ai pris, suivant l'expression de Mirabeau, le rôle de Cromwell-Grandisson. En attendant j'ai été, suivant vos ordres, à l'église où la reine faisait ses pâques. Elle m'a paru contente de ma politesse. J'ai parlé au roi sur ce plan; ils lui ont persuadé que c'était une belle politique. Je verrai demain Saint-Priest et Montmorin. Bonjour, à demain.

Je n'ai point été aux Jacobins et ne puis pas y aller seul ; mais 89 n'étant pas un parti (2), je crois que je dois m'occuper de la constitution et de l'ordre, indépendamment des intrigues de clubs. Je vous verrai ce soir de bonne heure.

DE M. PELLENC, SECRÉTAIRE DE MIRABEAU,
AU GÉNÉRAL LAFAYETTE.

Après vous avoir quitté, je me suis rendu immédiatement à l'assemblée. M. de Mirabeau n'y était pas. J'ai fait appeler un député de Marseille; et j'ai appris que le renvoi à mardi venait d'être prononcé de la manière suivante (3). Comme il avait été question de fixer l'ordre du jour, M. d'André a demandé que les

(1) M. Necker ne partit qu'au mois de septembre. Cette lettre a été écrite dans le mois d'avril 1790.

(2) Peut-être y a-t-il dans ce passage quelque allusion à la société patriotique fondée le 13 mai par MM. Bailly, le genéral Lafayette, Mirabeau, Chapelier, Talleyrand, Sièyes, etc., etc.

(3) Le renvoi de la discussiou sur les troubles qui avaient éclaté à Marseille à la fin d'avril. (Voyez ci-dessus, la séance du 12 mai.) Le rôle de défenseur de l'ordre qui appartenait au général Lafayette et celui d'apologiste du peuple de Marseille, que prit Mirabeau, amenèrent entre eux quelques difficultés qui troublèrent le rapprochement qu'avaient commandé les circonstances et qui s'était manifesté dans la discussion sur le droit de paix et de guerre. C'est comme une preuve de ce rapprochement et de ces difficultés que nous avons inséré cette lettre du secrétaire de Mirabeau.

députés de Marseille fussent entendus. L'un d'eux a dit à l'assemblée que, Marseille ayant obéi au dernier décret, et les bruits d'une continuation de démolition étant faux, il était moins important qu'on ne pensait d'accélérer le rapport de cette affaire. Cependant l'affaire vient ce soir, après un rapport dont la ville de Nimes est l'objet. J'ai fait connaître vos intentions à M. de Mirabeau; il vous fera part dans le comité de La Rochefoucauld de son opinion sur l'affaire de Marseille. Mais il ne peut pas consentir à ce que Marseille soit inculpée sous aucun rapport, et il m'en a donné d'assez bonnes raisons. Celle-ci entre autres : qu'il ne faut pas laisser à MM. Lameth et Barnave l'avantage de proposer un décret plus favorable, ce qui augmenterait leur influence dans Marseille. Au reste, vous discuterez cet objet avec M. de Mirabeau.

Je suis avec respect, etc.

M. Ramond me fit part, l'autre jour, que vous aviez à me parler sur le travail projeté relativement au rassemblement des articles constitutionnels. J'aurai l'honneur de me rendre chez vous, lorsque vous voudrez bien m'en indiquer le moment.

M. de Mirabeau ira ce soir au comité de La Rochefoucauld. J'ai oublié de lui dire que je vous avais fait part qu'il devait parler contre M. de Saint-Priest. Je vous prie de le mettre à portée de vous faire connaître lui-même son opinion pour qu'il n'imagine pas que j'aie voulu lui cacher cette circonstance de notre conférence.

A M. DE BOUILLÉ.

20 mai 1790.

Je ne puis vous exprimer, mon cher cousin, avec quel plaisir j'ai reçu votre lettre, et embrassé votre fils. Croyez que, si j'aime avant tout la liberté et les principes de notre constitution, mon second vœu, mon vœu bien ardent, est pour le retour de l'ordre, du calme et pour l'établissement de la force publique. Le

malheur veut que dans le parti aristocrate, il Y ait encore des hommes qui espèrent se retrouver ou se venger dans le trouble; et que dans le parti populaire nous en ayons qui se persuadent que les moyens de la révolution sont ceux qui conviennent à la constitution; peut-être ont-ils des vues factieuses bien plus étendues. Il s'est élevé dernièrement une question sur la paix et la guerre, qui a séparé notre parti d'une manière très-marquée, en monarchiques et en républicains; nous avons été les plus forts, mais cette circonstance et bien d'autres nous prouvent que les amis du bien public ne sauraient trop s'unir, et puisque vous n'avez pas de répugnance à épouser notre constitution, servonsla, mon cher cousin, de tout notre pouvoir, en écartant tout ce qui pourrait troubler le bonheur et la tranquillité de nos concitoyens, de quelques côtés que viennent ces tentatives. Ma lettre vous sera remise par M. de Ternant qui est chargé de négociations avec les princes allemands, propriétaires en Alsace; c'est mon intime ami, et vous pouvez lui parler en confiance sur toutes les affaires publiques. J'attends votre fils ce matin, et c'est avec une bien vive satisfaction que je vois se resserrer les liens de notre amitié.

25 mai 1790.

- Vous m'écrivez de bien aimables billets, et je jouis plus pour vous que pour moi de l'inviolabilité de ma personne. Nous sommes tranquilles aujourd'hui, grâces à de vigoureuses précautions, et les efforts des méchans se briseront encore une fois contre la phlegmatique barrière que je leur oppose (1). Vous me demandez ce qui s'est passé hier, le voici. Un homme accusé d'avoir volé un sac d'avoine a été saisi par le peuple du côté de SaintGermain-l'Auxerrois; la garde a voulu le conduire au Châtelet, mais une populace nombreuse, composée, en partie, des vagabons, grossissait autour de lui. Les quais ont bientôt été engagés. La patrouille de cavalerie, ainsi que les volontaires, ne pouvaient

(1) Époque de la discussion sur le droit de paix et de guerre.

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