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Il serait superflu d'aller plus loin. Nous n'avons laissé sans réponse aucune objection sérieuse. Les autres qu'on a pu faire ne valent pas la peine d'être mentionnées. On voit que nos preuves sont encore debout, et que saint Martial demeure toujours dans cette antiquité apostolique où le plaçaient les traditions séculaires avant que l'école janséniste eût entrepris de le rajeunir. Nous espérons que la critique contemporaine, plus large et plus éclairée que celle des deux derniers siècles, tiendra compte de nos observations; nous espérons que les écrivains d'histoire qui prendront la peine de nous lire entreront dans une nouvelle et meilleure voie. Le temps est venu de remettre sur leur piédestal apostolique ces fondateurs de nos Eglises que Launoy, le dénicheur de saints, avait pris à tâche de renverser le temps est venu, pour la science moderne, de réhabiliter les traditions du moyen-âge, comme elle en a réhabilité les monuments religieux.

CHAPITRE CINQUIÈME.

ÉPOQUE DE LA MISSION DES PREMIERS ÉVÊQUES DES GAULES.

Nous avons dit, en commençant notre travail, que, pour donner à cette Dissertation un complément nécessaire, nous examinerions l'époque à laquelle sont venus dans les Gaules les premiers évêques que Grégoire de Tours présente comme les compagnons de saint Martial le moment est venu de procéder à cet examen. Mais d'abord nous posons en principe une règle que Vincent de Lérins applique à la religion : nous disons qu'il ne faut pas conduire l'histoire là où nous voulons la diriger, en la faisant entrer, bon gré, mal gré, dans nos systèmes, mais qu'il faut la suivre là où elle nous conduit. C'est le propre d'une critique sage et d'un historien impartial, non pas d'inventer des systèmes et de défigurer l'histoire, mais de rapporter et de conserver fidèlement ce que lui ont appris les anciens (1). C'est pourquoi, comme les traditions se prouvent par les antiques monuments et par les vieux témoignages, nous les rapporterons fidèlement, sans nous croire le droit de les révoquer en doute, jusqu'à ce que le contraire soit démontré. Nous allons citer les monuments de l'antiquité sur les évêques que Grégoire de Tours donne pour compagnons à saint Martial, et sur quelques autres que diverses Eglises des Gaules regardent comme leurs fondateurs.

Saint Trophime.

Nous avons établi, dans le premier chapitre de notre Dissertation, que saint Trophime avait été envoyé dans les Gaules par saint Pierre lui-même. Nous avons cité en faveur de cette tradition :

(1) Nosque religionem, non qua vellemus ducere, sed potius qua illa duceret, sequi oportere; idque esse proprium christianæ modestiæ et gravitatis, non sua posteris tradere, sed a majoribus accepta tradere. (Commonit., cap. VI.)

4° Une lettre de saint Cyprien au pape Étienne (253), qui démontre l'erreur de Grégoire de Tours;

2o Une lettre de dix-neuf évêques de la province d'Arles au pape saint Léon (450);

3o Une lettre du pape Zosime (417);

4° Le petit Martyrologe romain (740);

5o Saint Adon, archevêque de Vienne, dans son Martyrologe et son opuscule sur les Fêtes des apôtres (859);

6o Usuard, dans son Martyrologe (875).

Evidemment nous sommes dispensé de citer d'autres monuments, tels que la légende de saint Ursin (vIe siècle); le document de l'Eglise d'Arles publié par M. Faillon (vre siècle); la légende de saint Austremoine (VII° siècle); Raban-Maur, dans sa Vie de sainte Madeleine (Ix siècle); la légende de saint Genou (x siècle); divers autres monuments de l'Église d'Arles, rapportés par M. Faillon (1); et nous sommes en droit de conclure, après cette déposition unanime de la tradition, que saint Trophime a été envoyé par saint Pierre dans les Gaules.

Saint Paul de Narbonne..

Il est hors de doute que Grégoire de Tours s'est trompé sur l'époque de la mission de saint Paul de Narbonne, comme il s'est trompé au sujet de saint Trophime et de saint Martial. La vraie et antique tradition, consignée dans des monuments d'une autorité incontestable, c'est que saint Paul de Narbonne a été disciple des apôtres et contemporain des apôtres. En effet :

4° Le petit Martyrologe romain, dont les additions les moins anciennes datent au moins du milieu du viIIe siècle (740) (2), donne à saint Paul de Narbonne le titre de disciple des apôtres (3).

2o Le célèbre archevêque de Vienne saint Adon, qui florissait au milieu du Ix siècle (859), donne également à saint Paul de Narbonne ce titre de disciple des apôtres (4); et, dans son opuscule

(1) Monuments inédits, T. II, col. 347 et suiv., 356 et suiv.

(2) SOLLIER, Prolegom.

USUARD Patrolog., T. CXXIII, 529.

p.

(3) XI kal. (april.) Narbonæ, sancti Pauli episcopi, discipuli apostolorum. (Patrolog., T. CXXIII, p. 151.)

(4) XI kal. aprilis in Galliis civitate Narbona, natale sancti Pauli, episcopi et confessoris, discipuli apostolorum. (Patrolog., T. CXXIII, p. 244.)

intitulé De Festivitatibus apostolorum, il enseigne que saint Paul, ordonné par les apôtres, fut envoyé comme évêque à la ville de Narbonne : « On dit même, ajoute-t-il, qu'il était le même que le proconsul Sergius Paulus, homme prudent, dont saint Paul avait pris le nom parce qu'il l'avait soumis à la foi du Christ, et que le même apôtre, en allant prêcher en Espagne, le laissa dans la ville de Narbonne, où, après avoir rempli courageusement l'office de la prédication, il mourut saintement, et se rendit illustre par ses miracles (1) ».

3o Vers la même époque (875), Usuard, dont le Martyrologe a tant d'autorité, dit que saint Paul de Narbonne, « ordonné par l'apôtre saint Paul, fut donné par lui pour pontife à cette ville, et que, en allant prêcher en Espagne avec cet apôtre, il y fut laissé, et y mourut saintement après s'être acquitté avec gloire du ministère de la prédication (2) ».

4o Ajouterons-nous à ces autorités si imposantes celle de la Vie de saint Denis, qui date au moins du commencement du vir siècle, et que De Marca avait trouvée, sous le nom de Fortunat, dans un vieux manuscrit de l'Eglise de Tours? Il y est dit que saint Paul était du nombre « de ces hommes choisis auxquels les apôtres conférèrent la dignité épiscopale (3) ».

5o La légende de saint Genou, écrite au milieu du xe siècle, dit que saint Paul, évêque de Narbonne, fut ordonné par l'apôtre Saint Paul (4) ».

6o La légende de saint Ursin publiée par M. Faillon, et le docu

(1) Natalis sancti Pauli, quem beati apostoli ordinatum urbi Narbonæ episcopum miserunt. Quem tradunt eumdem ipsum fuisse Sergium Paulum proconsulem, virum prudentem, a quo ipse Paulus sortitus est nomen, quia eum fidei Christi subegerat; quique ab eodem sancto apostolo, cum ad Hispanias prædicandi gratia pergeret, apud præfatam urbem relictus, prædicationis officio non segniter impleto, clarus miraculis coronatus sepelitur. (Palrolog., T. CXXIII, p. 194.)

:

(2) Pridie idus decembris apud Narbonam, natalis sancti Pauli, confessoris, quem beatus Paulus apostolus ordinatum eidem urbi destinavit antistitem : quique cum eodem apostolo ad Hispanias prædicandi gratia pergens, ibidem relictus est, ubi, prædicationis officio non segniter impleto, clarus miraculis coronatus quievit. (Patrolog., T. CXXIV, p. 793.)

(3) (Apostoli) electis viris Dei honorem decreverunt episcopalem adjungere,... ex qua confessorum turba... beatissimus Paulus antistes atque confessor Narbonensem provinciam salutari acquisivit eloquio. (Patrolog., T. LXXXVIII, p. 580.)

(4) A beato quoque apostolo Paulo Narbonensibus antistes ordinatur Paulus. (Acta SS., T. II januar., p. 94.)

ment de l'Église d'Arles découvert par le même savant, sont deux monuments du vie siècle, qui attribuent aux apôtres la mission de saint Paul de Narbonne nous ne reproduirons pas ici ces deux textes, que nous avons déjà cités.

Ainsi, depuis le vie jusqu'au xe siècle, n'avons-nous pas une masse écrasante d'autorités qui enseignent que saint Paul de Narbonne a été contemporain des apôtres ? Et, devant cette nuée de témoins, le témoignage de Grégoire de Tours a-t-il la moindre valeur?

Aussi les savants auteurs de l'Histoire du Languedoc, tout en suivant Grégoire de Tours, sont-ils forcés de convenir que saint Paul de Narbonne peut avoir été disciple des apôtres : « C'est sans préjudice, disent-ils, de l'ancienne tradition de l'Église de Narbonne, qui reconnaît pour son premier évêque Paul, disciple des apôtres, lequel peut avoir été envoyé dans les Gaules long-temps avant (1) ». Longueval lui-même, tout en disant « qu'on peut encore ici s'en tenir à l'époque de Grégoire de Tours », ajoute aussitôt : « Cependant l'autorité des anciens martyrologes nous empêche de nous prononcer si hardiment. Comme nous avons montré que le Christianisme était établi dans les Gaules dès le premier siècle, il est assez naturel de croire qu'il l'aura été à Narbonne, qui était une des villes des plus célèbres et des plus connues des Romains (2). » Enfin un autre partisan de Grégoire de Tours, Fleury, est plus favorable à la tradition rapportée par saint Adon de Vienne, qui fait saint Paul de Narbonne contemporain des apôtres (3).

Saint Denis de Paris.

A quelle époque saint Denis a-t-il été envoyé dans les Gaules? La vraie et antique tradition de l'Église de Paris et des autres Églises des Gaules, c'est que saint Denis a reçu sa mission du pape saint Clément vers la fin du rer siècle. En effet :

4° Les anciens Actes de saint Denis, qui ont été écrits, suivant l'opinion des savants, antérieurement au règne de Dagobert (624), et que De Marca avait trouvés, sous le nom de Fortunat, dans un vieux manuscrit renfermant des Vies de saints écrites par cet évêque de Poitiers, les anciens Actes de saint Denis disent que ce fondateur

(1) Histoire du Languedoc, T. I, note XXIII, p. 616.
(2) Hist. de l'Eglise Gallic., T. I, Dissert. prélim.
(3) Hist. Ecclés., L. II, n. VII.

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