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PEINTURES MURALES

DU CHATEAU DE ROCHECHOUART.

Notre pays compte peu de petites villes aussi intéressantes que Rochechouart. La nature même du sol y est exceptionnelle. Au milieu d'un pays purement granitique, un volcan, de la famille de ceux de l'Auvergne, s'est autrefois fait jour; il a soulevé de tous côtés les bancs de schiste, et amoncelé, au confluent de deux petites rivières, une masse énorme de lave, qui surplombe au levant de la manière la plus effrayante, et semble prête à s'écrouler. On y voit, sur ce point, une cavité profonde, sorte d'entonnoir compris entre deux coulées de lave. En général, ces roches offrent une pâte uniforme, dans laquelle s'incrustent une infinité de fragments granitiques conservant leur couleur naturelle. Ailleurs elles sont poreuses, et présentent toutes les propriétés de la pierre ponce.

Cette roche volcanique, isolée presque de toutes parts, a dû être un des points les plus anciennement fortifiés de la province. Il en est déjà question à l'époque carlovingienne; et le comte Roger de Limoges donne Rochechouart en même temps que Nontron à l'abbaye de Charroux; ce qui indique que ces deux localités avaient dèslors des châteaux, et appartenaient, à ce titre, au domaine des

comtes.

Long-temps après, vers le commencement du XIe siècle, Rochechouart devient, comme nous l'apprend le chroniqueur contemporain Adhemar de Chabanais, une vicomté érigée en faveur d'Aymeric, frère du vicomte Guy de Limoges et de l'évêque Hilduin. Toutes les grandes terres du Limousin, Turenne, Comborn, Ventadour et Limoges même, non pas la ville actuelle, encore moins la cité, mais leur banlieue au sud de la Vienne, étaient de même des vicomtés, quoiqu'il n'existât plus de comtes de Limoges; mais évidemment les comtes de Poitiers, ducs d'Aquitaine, en tenaient lieu. Cette ancienne suzeraineté a eu pour Rochechouart des consé

quences particulières. La ville et son territoire ont toujours fait partie depuis du Poitou, sans cesser d'appartenir au véritable Limousin ou à l'évêché de Limoges. Rochechouart était donc une des six vicomtés du Poitou, et l'on peut aisément vérifier ce fait sur les cartes de Cassini. On y a soigneusement délimité, non la vicomté, mais, ce qui revient au même, l'enclave du Poitou, comprenant une vingtaine de communes, qui touche par Mialet à notre ancien Périgord.

Mais laissons ces détails historiques sur Rochechouart pour nous occuper du château lui-même, et surtout des peintures qui le décorent.

Le château actuel date du xve siècle, sans doute de la seconde moitié; car, dans la première, on ne bâtissait guère en France. Une seule tour, aujourd'hui la plus haute de toutes, qui flanque le pontlevis, paraît remonter au XIIIe siècle. A la différence des autres, elle n'offre pour ouvertures que d'étroites lucarnes cintrées, et est entièrement bâtie en lave taillée. Sur une autre tour appelée la tour du Lion, on voit, dans une sorte de niche, un grand lion de granit grossièrement sculpté. Cette sculpture, analogue aux lions de Saint-Michel de Limoges, paraît fort ancienne, et a été conservée avec soin dans les diverses reconstructions du château..

Le château du xve siècle n'était point une œuvre d'art remarquable pour cette époque. Les pierres du pays se prêtent mal sans doute à l'ornementation, puisqu'on n'avait pour matériaux de choix que du granit, toujours moins rebelle au ciseau que la lave; mais, là où il existe des ornements, ils sont aussi mal dessinés que mal exécutés. Les châteaux de Lavauguyon et de Montbrun, bâtis dans les mêmes conditions vers le même temps ou peu de temps après, sont infiniment supérieurs à cet égard. C'est par l'ampleur des proportions, par la belle disposition du plan général, que l'architecte de Rochechouart a brillé.

Un grand corps de logis, flanqué, du côté de la campagne, par deux grosses tours, et accompagné intérieurement de deux escaliers en tourelles; deux ailes en retour d'équerre, aboutissant à d'autres tours, et une vaste cour, entourée, au rez-de-chaussée seulement, d'un corridor couvert ou portique, formé par des colonnes torses en granit voilà le château. A présent toutes les tours sont abandonnées, et cependant la sous-préfecture, le tribunal, la justice de paix, tous les services d'un chef-lieu d'arrondissement tiennent à l'aise dans le château. Rien que dans la toiture, il reste encore deux étages éclairés par des fenêtres sur le toit, superposées deux à deux,

et d'une élévation extraordinaire. En Périgord, les combles de tous les vieux châteaux sont aussi disposés pour recevoir au besoin un grand nombre de soldats et de vassaux; car ils ont partout des cheminées particulières; mais il est rare d'y voir, comme à Rochechouart, deux étages dans la charpente.

La plupart des appartements du château ont été dénaturés au XVIIIe siècle, avant d'être appropriés à leur dernière destination. Une antichambre seule a gardé sa décoration peinte, que nous allons décrire.

Elle conduisait à une pièce du rez-de-chaussée, située dans la cour du Lion, et qui devait être une des chambres d'honneur. Il' ne faut donc pas croire trop vite que toutes les parties du château ont été primitivement décorées avec la même recherche.

Dans la galerie intérieure du château de Lavauguyon, imitée, je crois, de celle de Rochechouart, on reconnaît facilement, bien que le château soit en ruines, des peintures anciennes, une série de grands portraits de famille, avec les noms, les titres et les armoiries des nobles dames et des seigneurs alliés à la maison des CarsLavauguyon.

Il ne paraît pas que rien de pareil ait existé à Rochechouart.

En général, les tapisseries de haute lice faisaient les frais de la décoration des grands châteaux du moyen-âge. On pouvait les porter de l'un à l'autre, au gré du propriétaire, et tendre seulement les pièces qu'il devait occuper. On ne se servait de peintures que rarement et faute de mieux en quelque sorte.

On voit bien, dans la salle peinte de Rochechouart, qu'on a voulu suppléer économiquement à des tapisseries, car on en a imité toute l'ordonnance; mais, au lieu du sujet, nécessairement banal, de toutes les tapisseries, au lieu des noces de David et de Bethsabée par exemple, l'artiste a été libre de prendre à Rochechouart même ses personnages, son sujet, ses paysages. De là un grand surcroît d'intérêt.

M. l'abbé Arbellot croit que le peintre a voulu figurer l'entrée du vicomte de Pontville à Rochechouart en 1470.

Il s'agit certainement de quelque fête de famille de ce genre, qui commence par un dîner de cérémonie, et finit par l'halali d'un cerf. Il y a bien un pompeux cortège de seigneurs et de dames; mais tout ce beau monde va évidemment à la chasse, et c'est d'une chasse avant tout qu'il s'agit, bien plus que d'une entrée solennelle.

L'époque me paraît un peu trop ancienne aussi. C'est assurément par les Pontville que le château actuel a été bâti, et que les pein

tures ont été faites; car, pendant que la descendance masculine des premiers vicomtes de Rochechouart était continuée et illustrée de plus en plus par les Mortemart, la vicomté sortait de la famille par l'extinction de la branche aînée, et passait, par des mariages, dès le milieu du xv siècle, à la maison de Pontville, à celles de Pompadour, d'Epinay-Saint-Luc, et encore, en 1715, à celle de Pontville. Il n'en est pas moins vrai que les costumes de notre fresque sont incontestablement ceux du règne de Louis XII plutôt que du règne de Louis XI. Le seigneur de Pontville et l'héritière de Rochechouart auraient pu vouloir faire retracer, sur leurs vieux jours, les fêtes qui avaient suivi leur mariage; mais il est bien plus probable que l'artiste a reproduit ce dont il avait été témoin, en donnant à chaque personnage important sa ressemblance actuelle au lieu d'un portrait rajeuni.

Donc la fête commence par un diner. A droite de l'unique et large fenêtre en croix qui éclaire l'appartement, on voit un jeune seigneur et sa femme dinant en grande cérémonie. Ils sont seuls à table, comme de petits princes, mais environnés de serviteurs et de 'curieux. Les détails sculptés de la table et des siéges sont intéressants et purement gothiques, sans aucun indice de la renaissance. La muraille s'interrompt là pour faire place à la porte conduisant à la tour du Lion. Dans l'embrasure on a peint seulement deux bustes d'homme et de femme, malheureusement plus effacés que le reste. Immédiatement après, vient la voiture des dames, aussi richement ornée que pauvrement suspendue. C'est un chariot tout doré, mais un chariot. Dix dames, y compris la vicomtesse, se pressent dans cet omnibus, entouré d'une foule de pages et de valets à pied, qui cachent presque entièrement l'attelage.

Plus en avant, le jeune seigneur, à cheval, précède un brillant cortége de cavaliers. Il y a bien, je crois, plus d'hommes à cheval que de chevaux; mais l'artiste a voulu figurer une foule de cavaliers, et il n'y faut pas regarder de si près.

Au milieu de ces jeunes et riants visages, on en distingue un tout décharné, véritable tête de spectre sortant d'une robe de moine. De même que dans les danses macabres, on aura voulu montrer que la mort était voisine de toutes les fêtes et de toutes les joies.

On est déjà dans la forêt de Rochechouart, et, à l'horizon, se dresse le château, vu par l'angle: il présente donc à la fois sa façade principale et celle du pont-levis, et montre fièrement ses quatre tours d'égale hauteur, dont les machicoulis dépassent le sommet des autres toits.

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Aujourd'hui toutes ces tours sont dans un état bien différent, et ce n'est pas à la révolution qu'il faut s'en prendre. Il paraît qu'elles ont été rasées par suite d'une de ces condamnations judiciaires qui atteignaient jusqu'aux bois de haute futaie. Je suppose que c'est à l'époque où François de Pontville, vicomte de Rochechouart, commit un meurtre sur la personne de M. de Bermondet, alors lieutenantgénéral à la sénéchaussée de Limoges. La mémoire de ce tragique évènement, qui eut lieu, près de Saint-Laurent-sur-Gorre, le 25 juin 1513, ne s'est pas perdue dans le pays. La tradition ajoute même que le seigneur de Rochechouart, après avoir rejoint dans la forêt voisine et tué son ennemi, lui coupa la main, et rapporta à son château ce sanglant trophée, parce que la vicomtesse avait donné trop d'éloges aux belles mains de M. de Bermondet. Mais il est peu probable que le sire de Rochechouart ait été jaloux d'un grave magistrat tel que le lieutenant-général de Limoges, et il devait avoir contre lui des griefs d'une autre nature.

La légende de la main coupée prend, je crois, sa source dans les armoiries des Bermondet de Cromières, à trois mains apaumées d'argent, qui se voient précisément dans la chapelle expiatoire que le parlement ordonna d'élever à Panazol, près Limoges, tout près du petit château de La Quintaine, qui appartenait à cette ancienne famille (1).

Le meurtre en lui-même n'a rien de douteux, pas plus que la rigoureuse punition qui l'a suivi, quoique je ne sache où en retrouver les détails. La peinture qui représente le château dans sa splendeur primitive serait donc antérieure, mais à peine de quelques années, à 1513.

Il faut seulement s'étonner que, durant trois siècles, les grandsseigneurs, qui n'ont pas cessé de posséder et qui ont souvent habité le château de Rochechouart, n'aient pas pu relever leurs tours dé– couronnées, ou qu'ils n'y aient pas songé.

Ce n'est pas le seul ornement dont le château de Rochechouart ait été privé depuis le seizième siècle. Le peintre a encore représenté, un peu à gauche et vers les rochers les plus escarpés, une charmante chapelle isolée et ne communiquant que par un pont avec la cour intérieure. Elle avait son abside, ses transepts, et sa charpente était surmontée d'une flèche élégante. C'était une église en miniature, dont il ne reste pas, par malheur, une seule pierre.

(1) Voir la Revue arch. de la Haute-Vienne, par M. l'abbé Arbellot, p. 10.

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