Page images
PDF
EPUB

nées de campagnes, pendant lesquelles le système de guerre changea complètement, et tout ce qui restait des siècles précédents dans l'administration, le maniment et les habitudes des troupes disparut pour faire place à ce que nous voyons aujourd'hui.

C. H.

SUR LA

MANUFACTURE DE TAPISSERIES

DE FELLETIN (CREUSE)

Lue à la Société Archéologique, séance du 21 décembre 1854.

MESSIEURS,

Depuis trois ans, je prépare, pour l'éditer je ne sais quand, une histoire de Felletin, petite ville qui fit partie du Limousin avant que la Marche formât un comté.

Au milieu de mes recherches, un fait m'a surpris c'est que ma ville natale ait perdu cette réputation d'industrie qui faisait sa gloire dès le XVIe siècle. Je viens montrer que, si, pendant quelques années, cette déchéance a été réelle, le commerce de Felletin, qui semble tombé, est au contraire aujourd'hui très-florissant.

Messieurs, en défendant devant vous l'honneur d'une ville, on est sûr de vos sympathies; et, quand cette cause est juste, on peut compter d'avance sur une réhabilitation. Pourtant je n'établirai pas une thèse un simple récit suffira pour prouver clairement que la ville de Felletin est sœur et même sœur aînée d'Aubusson, dont la réputation est européenne.

Des actes du XIVe siècle disent que Felletin avait, à cette époque, une manufacture de draps que, plus tard, en 1621, ordonnance de Louis XIII taxait comme les petits draps pour doublures d'Aumale, Beauvais, Abbeville, Amiens, etc. Dès le XIVe siècle, Felletin possédait aussi sans doute une manufacture de

tapis; et, puisque, en 1542, François I réglait le prix de ses produits, il fallait que cette industrie eût alors acquis dans notre ville une certaine importance. En taxant nos tapisseries après celles de Flandre et de quelques autres provinces, le roi s'exprimait ainsi : << Tapisserie ou tapis de Felletin, d'Auvergne ou de Lorraine, et autres semblables, le cent pesant estimé à 50 livre tournois. » (De la Conférence des ordonnances et édits royaux, tome I, p. 765.)

Du reste, au mois de juin 1567, en accordant à la ville de Felletin l'établissement d'une bourse consulaire (1), Charles IX motivait ainsi son édit : « Attendu que ladicte ville est des plus marchandes de tout nostre dict pays de la Marche, et où s'y assemblent plusieurs marchands de tout nostre royaume et autres étrangers, dont le commerce et traffic de marchandises y est gardé, autant ou plus grand qu'en plusieurs autres villes auxquelles nous avons accordé ladicte permission ». Et la vérité de cette affirmation, si honorable pour Felletin, se prouve par l'acte lui-même, puisque le juge et les deux consuls devaient être élus en l'assemblée de trente des plus notables marchands habitants ou échevins en ladicte ville. Ce nombre de trente marchands tapissiers en suppose un plus considérable, et déjà il est extraordinaire en portant à cinq ou six mille ames le chiffre de la population.

Sous le règne de Henri IV (1601), la piété de nos tapissiers produisit un chef-d'oeuvre digne des meilleures manufactures de Flandre, et dont on para l'église de Beaumont pour défier plus tard Aubusson, la superbe rivale, de surpasser cette perfection. (Mémoire de 1770.) Mais il y avait alors à Felletin plus de huit cents ouvriers qui vivaient de cette industrie.

Aussi le bon roi, en autorisant les fabricants de Flandre Comans et de La Planche à s'établir à Paris (1607), daigna déclarer par ses lettres-patentes que cette manufacture, qui fut depuis la manufacture royale des Gobelins, ne préjudicierait point à celles des tapisseries de haute-lice de Felletin, Beauvais et autres du royaume.

En 1686, l'intendant de Moulins M. d'Argouge disait dans un rapport: « Il y a des manufactures de tapisseries à Aubusson et Feilletin, élection de Guéret. L'on trouve que, depuis quelque temps que l'on y a envoyé de bons ouvriers, ceux du pays se sont fort perfectionnés, et ils en trouvent fort bien le débit. Ils feroient encore beaucoup mieux s'ils avoient un inspecteur entendu pour les conduire

(1) La bourse consulaire de Paris n'était fon 'ée que depuis le mois de noven.bre 1563.

et de bons dessins; et, si l'on s'attachoit à leur fournir des laines plus dégraissées, l'on pourroit espérer qu'ils réussiroient aussi bien qu'en Flandre. J'en ai un exemple, car M. de La Feuillade y en a fait faire de fort belles par la précaution qu'il a eue de leur donner des dessins et fournir des laines (4). »

L'éloge de l'intendant est à la vérité peu flatteur : c'est que, à cette époque, la manufacture de Felletin était loin de prospérer la plupart de ses ateliers étaient fermés « par la négligence de certains fabricants et à cause des pertes qu'avoient éprouvées certains marchands dans leur commerce », si bien que, en novembre 1689, pour ramener dans nos fabriques le travail interrompu depuis quelques années, Louis XIV dut, sur la demande de Jacques Diverneresse, approuver et sanctionner les statuts en six articles que les marchands venaient de dresser, et que les officiers et les consuls de la ville avaient approuvés pour empêcher qu'il ne se commit des scandales dans les ateliers, et afin que les tapisseries fussent bonnes et bien confectionnées.

Cette pièce, sur laquelle nous avons vu la signature du grand roi, constate que, de temps immémorial, Felletin fournissait des tapisseries, et que la plupart de ses ouvriers avaient travaillé aux Gobelins. On se souvient que M. d'Argouge attribuait le perfectionnement de nos tapisseries à ces ouvriers revenus de Paris après leur tour de France.

Pendant le xvIIIe siècle la prospérité de la manufacture de tapisseries de Felletin fut pour les administrateurs de cette ville l'objet d'une constante préoccupation.

Le 3 décembre 4701, le scindic et les bailes de la confrérie de Ste-Barbe (2), inquiets de voir des marchands étrangers s'établir au milieu d'eux pour partager leurs priviléges, requirent et obtinrent de François Granchier, seigneur du Mazeau, docteur en théologie, prêtre prieur de Ste-Marguerite, conseiller du roi, maire perpétuel et lieutenant-général de police de Felletin, que ces maîtres étrangers, forcés d'ailleurs d'accepter les statuts de la confrérie, payassent, de plus que leurs confrères originaires de la ville, 3 livres pour chaque métier qu'ils voudraient lever. Cette ordonnance de M. Granchier portait défense de se pourvoir ailleurs que pardevant lui pour le

(4) Note communiquée par M. Chazaud, archiviste de l'Allier.

(2) Ste Barbe n'est pas seulement patronne des artilleurs, elle est aussi patronne des tapissiers, et chaque année les artistes de notre ville la fêtent de la manière la plus bruyante, spécialement par des décharges sans fin de mousqueterie, peut-être dans l'intention de se montrer doublement dignes de la protection de la sainte.

fait de tapisserie, sous peine de 100 livres d'amende, des dépens, dommages et intérêts, et en outre elle interdisait aux ouvriers de Felletin et à ceux d'Aubusson d'aller travailler d'une ville à l'autre sans prouver par un certificat qu'ils avaient satisfait leurs maîtres.

Mais bientôt (1er juin 1717), pour se prémunir contre des tracasseries suscitées par leurs concurrents d'Aubusson, nos maîtres tapissiers dûrent encore, avec l'autorisation des officiers de police et des consuls de la ville, ajouter trois nouveaux statuts aux sept autres qu'ils avaient déjà. Bien leur en prit, car, grâce à une calomnie atroce, les fabricants d'Aubusson allaient ruiner la manufacture de Felletin en la discréditant auprès de tous les acheteurs. Voici le fait :

Ces rivaux habiles adressaient au roi une pétition pour faire confirmer leurs lettres-patentes de 1665, et faire approuver quelques modifications introduites dans leurs statuts. Or, à l'article 9, ils avaient exposé que, forcés de prendre de temps en temps à Felletin des tentures dont le prix était moindre et la qualité inférieure, plusieurs s'étaient trouvées défectueuses en conséquence, ils demandaient que « toutes les tapisseries de Felletin qui seroient achetées par les marchands d'Aubusson ne pourroient être transportées dans aucune ville qu'au préalable elles n'eussent été visitées par les jurats de la manufacture d'Aubusson, et que, si elles se trouvoient bien fabriquées, elles seroient par eux marquées d'un plomb sur chaque pièce, et il y auroit au revers une inscription portant ces mots Tapisserie de Felletin visitée par les jurats de la manufacture d'Aubusson, et cela afin de distinguer les bons ouvrages d'avec les défectueux ».

L'intendant de Moulins crut de son devoir de communiquer préalablement cette requête aux fabricants de Felletin. La délibération nécessaire pour une affaire aussi grave devait être solennelle; l'honneur de la ville allait être compromis aussi réunit-on les principaux habitants au son de la grande cloche. Un compte-rendu chaleureux, qui remplit six pages, nous apprend que, par bonheur, on put opposer des raisons.

Après avoir énuméré les titres nombreux qui recommandent la ville à la bienveillance du roi ; après avoir fait en passant quelques malices comme celle-ci : « Il est vrai que le château d'Aubusson est des plus anciens; mais, pour ce qui est de la ville, elle est sans contredit la moins ancienne de la Marche; et, si nos bizayeuls vivoient, ils pourroient nous assurer d'en avoir vu poser la première pierre », ils

« PreviousContinue »