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de l'Eglise de Paris avait été envoyé par les successeurs des apôtres, et, d'après une variante des manuscrits, par saint Clément, successeur de l'apôtre saint Pierre (1).

2o Le même Fortunat, dans une hymne en l'honneur de saint Denis, Fortem fidelem militem, rend témoignage à la mission que ce saint évêque a reçue du pape saint Clément : « Il fut envoyé, dit-il, de la ville de Rome par le pape Clément afin que la semence du Verbe divin portât des fruits dans la Gaule :

Clemente Româ præsule,

Ab urbe missus adfuit,
Verbi superni seminis

Ut fructus esset Galliæ (2). »

Le docteur Launoy a cherché à nier l'authenticité de cette hymne, qui portait un coup terrible à son système : il suffit de dire, pour en montrer l'authenticité, que l'abbé Hilduin, au commencement du IX siècle, citait sans difficulté cette hymne sous le nom de Fortunat (3).

30 Thierry IV, roi des Francs, surnommé de Chelles, dans un diplôme en faveur du monastère de Saint-Denis, s'exprime en ces termes « Le bienheureux Denis et ses compagnons, Rustique et Eleuthère, arrivèrent les premiers dans cette province des Gaules, envoyés par le bienheureux Clément, successeur de l'apôtre Pierre (4) ». Ce diplôme, publié par Mabillon, est daté de l'an 723.

4. Dans le synode de Paris tenu, l'an 825, pour le culte des saintes images, les évêques des Gaules, écrivant au pape Eugène, disaient que saint Denis avait reçu sa mission de saint Clément (5).

(1) Sanctus igitur Dionysius, qui, ut ferunt, a successoribus apostolorum (alias, tradente beato Clemente, Petri apostoli successore) Verbi divini semina gentibus eroganda susceperat,... Parisios, Domino ducente, pervenit, etc. (Patrolog., T. LXXXVIII, col. 580.)

(2) Patrolog., T. LXXXVIII, col. 98.

3000

(3) Scholasticissimus Fortunatus .hymnum rhythmicæ compositionis pulcherrimum de isto gloriosissimo martyre composuit, in quo commemorat eum a sancto Clemente destinatum, etc. (HILDUIN, Vita S. Dionysii, Prolegom. : Patrolog., T. CVI.)

(4) Beatus Dionysius, cum sociis suis Rustico et Eleutherio, qui primi post apostolos sub ordinatione beati Climentis Petri apostoli successoris, in hanc Galliarum provinciam advenerunt, etc. (MABILLON, De Re diplom., p. 488. Patrolog., T. LXXXVIII, col. 1437.)

(5) Quod attinet ad missionem Dionysii per Clementem,... eam agnoverunt Gallicanæ Ecclesiæ præsules... Cujus rei luculentum habemus testimonium Galliæ

5o Hilduin, abbé de Saint-Denis, qui écrivit, en 835, sur la demande de l'empereur Louis-le-Débonnaire, la Vie du premier évêque de Paris, soutint non-seulement qu'il avait été envoyé par saint Clément, mais encore qu'il était le même que saint Denis l'Aréopagite; il s'attacha à réfuter Grégoire de Tours à l'aide des vieux documents que nous avons mentionnés (1). On a prétendu à tort qu'Hilduin avait inventé l'aréopagitisme de saint Denis de Paris. Dans le siècle précédent, saint Eugène de Tolède (2) et Tharaise, archevêque de Constantinople (3), avaient confondu le premier évêque de Paris et le premier évêque d'Athènes. Cette confusion, quelque erronée qu'on la suppose, ne détruit nullement l'antiquité de la tradition qui place la mission de saint Denis de Paris sous le pape saint Clément.

6o Odon de Beauvais (IXe siècle Paris sous saint Clément (4).

860) fait envoyer saint Denis à

7° D'anciens Actes de saint Denis, conservés à Angoulême, et cités, en 1031, au second concile de Limoges, attribuaient au pape saint Clément la mission du premier évêque de Paris (5).

Après des témoignages si anciens, si formels et si respectables, il ne faut pas s'étonner que des savants et des critiques de premier ordre, tels que De Marca, François Pagi et dom Mabillon, aient adopté la tradition ancienne et constante qui fixe la mission de saint Denis au pontificat de saint Clément. « Je pense, dit De Marca, que c'est une faute de s'éloigner de cette opinion, qui s'appuie sur le témoignage de Fortunat, et qui a été adoptée par les évêques des Gaules dans leur lettre au pape Eugène rapportée par Baronius (6) ». — « Le P. Pagi, dit M. Faillon, a montré avec sa sagacité ordinaire,

episcoporum in frequenti conventu apud Parisios de cultu sacrarum imaginum, anno 825. (MABILLON, Vetera analecta, p. 223.)

(1) Vita S. Dionysii, Prolegom.: Patrolog., T. CVI.

(2) Patrolog., T. LXXXVII, col. 402.

(3) Vita S. Dionysii, Prolegom. Patrolog., T. CVI. HONORÉ DE SAINTE-MARIE, Réflexions sur les règles et l'usage de la critique, T. I, 2o part., p. 225, 226. (4) Patrolog., T. CXXIV, col. 4116.

(5) Ibi enim legitur quod Clemens... Dionysio Verbi divini semina gentibus tradidit eroganda, quem in Galliam misit. (Patrolog., T. CXLII, col. 1366.)

(6) Quam sententiam secuti sunt episcopi Galliarum in epistola ad Eugenium papam scripta anno 824, quæ habetur apud Baronium. A quibus Fortunato teste adeo locuplete fultis discedere piaculum esse puto. (Epist. ad Henric. Vales., apu í Acta SS., T. V junii, p. 549.)

dans sa Critique des Annales de Baronius, que saint Grégoire de Tours s'est mépris sur ce point. Il y prouve que saint Denis fut envoyé dans les Gaules par le pape saint Clément ; et, après la publication de la Critique, des savants d'un mérite reconnu ont souscrit à des conclusions si nettes et si judicieuses (1) ». Le savant bénédictin dom Mabillon est du même sentiment.

Pour nous, nous ne pensons pas qu'une critique judicieuse puisse arriver à une autre conclusion.

Saint Saturnin de Toulouse.

A quelle époque saint Saturnin, premier évêque de Toulouse, a-t-il reçu sa mission?

La réponse à cette question est d'autant plus difficile qu'il y a sur ce point plusieurs traditions différentes. Or, avant de prendre un parti et de faire un choix, il faut faire une étude sérieuse et impartiale des diverses traditions, et adopter celle qui a le plus de fondement. C'est pourquoi nous allons les exposer tour à tour.

Première tradition.

Une première tradition se trouve consignée dans les Actes de saint Saturnin, cités par Grégoire de Tours, où il est dit que, « sous le consulat de Dèce et de Gratus, comme on en garde un souvenir fidèle, la ville de Toulouse commença à avoir saint Saturnin pour premier évêque. »

Hugues Ménard a observé avec raison que ces Actes n'ont été composés que quelque temps après la mort de saint Exupère, évêque de Toulouse, dont ils parlent avec éloge or ce saint pontife, contemporain de saint Jérôme et du pape Innocent Ier, vivait au commencement du ve siècle : c'est donc dans le cours du ve siècle, ou même au commencement du suivant, que les Actes de saint Saturnin ont été composés (2). Du reste ils ne parlent que d'après une tradition plus ou moins fidèle de l'époque où a été envoyé saint Saturnin; et il ne serait pas étonnant que l'auteur de cette légende,

(1) Monuments inédits, T. II, col. 355.

(2) C'est l'opinion du savant De Marca, et Tillemont lui-même, plus intéressé que tout autre à soutenir l'antiquité de ces Actes, ne les fait que du ve siècle, et les attribue à un disciple de saint Exupére, évêque de Toulouse.

confondant les diverses dates, se fùt trompé sur celle de la mission de saint Saturnin, et l'eût fixée à l'empire de Dèce, dont les persécutions cruelles étaient restées gravées en caractères de sang dans la mémoire des peuples.

Cela devrait d'autant moins surprendre que les écrivains postérieurs qui ont adopté cette tradition ont fixé à l'empire de Dèce, non pas la venue, mais le martyre de saint Saturnin.

Ainsi Florus, moine de Saint-Trond (760), dans ses Additions au Martyrologe de Bède, dit que saint Saturnin fut martyrisé du temps de Dèce, de Germanicus et de Gratus (1).

Saint Adon, archevêque de Vienne (859), dit, dans son Martyrologe, que saint Saturnin fut saisi par les païens, sur le Capitole de Toulouse, du temps de Dèce (2).

L'auteur de la légende de saint Genou (xe siècle), qui attribue à saint Pierre la mission de saint Martial et de saint Austremoine, et à saint Paul celle de saint Trophime et de saint Paul de Narbonne, ne fait venir saint Saturnin que sous l'empire de Dèce (3).

Seconde tradition.

Une seconde tradition, dont plusieurs écrivains d'une haute antiquité se sont faits l'écho, c'est que saint Saturnin a été envoyé dans les Gaules par saint Clément à la fin du rer siècle.

1° Grégoire de Tours reconnaît que cette tradition avait cours de son temps, lorsque, dans son ouvrage De la Gloire des Martyrs, contredisant ce qu'il avait avancé dans son Histoire des Francs, il dit en parlant de saint Saturnin : « Ordonné, dit-on, par les disciples des apôtres, il fut envoyé à la ville de Toulouse (4).

»

2o Raban-Maur archevêque de Mayence, qui écrivait au commencement du 1x siècle (820), a adopté cette tradition, et l'a reproduite dans son Martyrologe : « Saint Saturnin martyr fut envoyé, dit-on, par les disciples des apôtres dans la ville de Toulouse (5). »

(1) Martyrolog. Beda, 29 nov. Patrolog., T. XCIV, col. 1118.

(2) Qui, temporibus Decii, in Capitolio ejusdem urbis, a paganis tentus. (Martyrolog., 29 nov. Patrolog., T. CXXIII, col. 406.

(3) Acta SS., T. II] januar., p. 94.

(4) Saturninus vero martyr, ut ferunt, ab apostolorum discipulis ordinatus, in urbem Tolosatium est directus. (De Glor. Martyr., C. XLVIII: RUINART, Col. 777.) (5) Ipse vero Saturninus martyr, ut fertur, ab apostolorum discipulis in urbem Tolosatium est directus. (RABAN, Martyrolog., 29 nov. : Patrolog., T. CX, c. 1182.)

3o Odon de Beauvais, qui florissait au 1x siècle (860), dans son sermon sur saint Lucien de Beauvais, fait envoyer saint Saturnin de Toulouse, en même temps que saint Denis de Paris, par saint Clément (1). Nous comprenons ainsi ce qu'il faut entendre par les disciples des apôtres.

4o Les Actes de Saint Denis, cités textuellement au second concile de Limoges (1031), fixent la mission de saint Saturnin de Toulouse et de saint Denis de Paris sous le pape saint Clément (2).

5o La légende de saint Marcel, citée aussi dans le même concile, dit que << Saturnin et Denis, sur l'ordre de saint Clément, pape de la ville de Rome, furent envoyés dans les pays des Gaules pour enseigner la foi chrétienne aux païens (3) ». Cette légende est mélangée de beaucoup d'anachronismes. Mais elle n'en est pas moins, sur ce point de la mission de saint Saturnin, un dépôt de l'ancienne tradition.

Cette seconde tradition a été adoptée par un grand nombre d'écrivains du moyen-âge, parmi lesquels nous remarquons Vincent de Beauvais, Pierre de Natalibus, saint Antonin, etc. Doublet cite encore en faveur de cette tradition les bréviaires de Clermont, du Puy, de Chartres, de Bayeux, d'Auxerre, de Meaux, de Sens, de Saint-Denis, de Saint-Victor, de Saint-Flour, etc. (4).

Troisième tradition.

Enfin une troisième tradition, qu'on trouve également dans des légendes d'une haute antiquité, fait envoyer saint Saturnin du temps même des apôtres :

4° La légende de saint Denis, attribuée avec raison à Fortunat de Poitiers, dit que saint Saturnin, évêque de Toulouse, qui mourut martyr sur les degrés du Capitole, était de cette troupe choisie de

(1) Patrolog., T. CXXIV, col. 4116.

(2) Ibi enim legitur quod Clemens.... Dionysio Verbi divini semina gentibus tradidit eroganda; quem in Galliam misit, sociosque ei Saturninum,... Rusticum et Eleutherium adhibuit... Saturninus autem Tolosam profectus est. (Patrolog., T. CXLII, col. 1366.)

(3) Saturninus et Dionysius, jubente sancto Clemente', papa urbis Romæ, partibus Galliarum, ut ad fidem christianam gentes instruerent, directi sunt. (Patrolog., T. CXLII, col. 4366.)

(4) BONAVENT., T. I, p. 453.

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