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ee pin unique de l'Amérique du sud, qui a prêté son nom à la seule épopée que possède l'Espagne, le premier araucaria transporté en Europe vint y trouver un asile. Les autres embellissements eurent un caractère plus utile ils eurent presque tous pour résultat de constater quelles sont les plantes exotiques qui peuvent s'acclimater sur notre sol.

On peut voir dans le Bulletin de la Société d'Agriculture de 1823 un article de M. de Montbron où il résume les découvertes de son expérience sur ce point. Même aujourd'hui cet article sera lu avec plaisir,

D'autres goûts plus populaires et plus critiqués s'allizient au goût de la botanique : le créateur de Montagrier embrassait l'histoire naturelle tout entière. Des animaux rares y étaient rassemblés de toutes parts. Ils fournissaient matière à des observations intéressantes, et qu'on doit regretter de ne pas voir réunir. Très-souvent ces acquisitions coûteuses devaient, dans la pensée du maître du logis, introduire en France des animaux utiles. C'est ainsi que la première pensée de l'acclimatation de l'alpaga, pensée qui a eu tant de retentissement, et qui a si bien servi ceux qui ont su se l'approprier, appartient à M. de Montbron. Le premier il a écrit sur ce sujet, et le premier il a introduit ces animaux en France. En dernier lieu, ils lui ont fourni la matière de quelques pages curieuses insérées dans le journal de Limoges.

Cet emploi de sa fortune était une récompense qu'il voulait donner à ceux qui entreprennent de lointains voyages, et qui servent ainsi le progrès des sciences naturelles et de la géographie. C'était un moyen d'instruire et d'amuser la province. La province tout entière en effet se donnait rendez-vous dans le parc de Montagrier; aucune clôture ne protégeait tant de choses rares, et ce parc magnifique était ouvert jour et nuit comme le cœur et la main de son propriétaire.

Les honneurs vinrent le trouver dans cette solitude. A plusieurs reprises le vœu spontané de ses concitoyens l'appela à la chambre des députés. Il y retrouva, sur les bancs du ministère ou sur ceux de l'opposition, ses anciens amis du temps de l'empire, Châteaubriand, Benjamin Constant et cent autres, alors à demi célèbres, et déjà presque oubliés. Il ŝut demeurer fidèle à ses principes et à ses amitiés; car, s'il était ferme dans ses croyances, il était indulgent pour les personnes. Royaliste, il proposa les mesures les plus libérales, trop libérales peut-être, mais en tout cas fort généreuses, telles que l'impôt progressif. Il n'usa de sa position que pour rendre

service à tout le monde, sans acception de partis. Il ne sut refuser que pour lui et pour les siens.

Ces positions si diverses, ces études si variées, expliquent l'immense intérêt que présentait sa conversation. Sa bonne grâce y enchâssait les anecdotes les plus piquantes sur les grands personnages de ce siècle, dans la familiarité desquels il avait vécu. Il savait d'une façon inépuisable et qui ne se répétait jamais son empire et sa restauration. Un recueil de ces souvenirs, s'il était déjà possible, serait plus intéressant que l'histoire, sans en avoir la gravité. Mais qui pourrait rendre le tour ingénieux et élégant, la pointe fine et toujours inattendue qui se cachait en ses récits? L'urbanité la plus exquise adoucissait toutes les saillies. M. de Montbron avait retenu de la vieille société ces formes gracieuses qui seraient sœurs de la légèreté si elles n'étaient pas filles de l'indulgence, ce procédé spirituel qui cache l'objection sous l'apparence d'une demande. Mais, s'il avait gardé la politesse du xvIIIe siècle, c'était pour en parer les goûts plus sérieux de notre temps: il n'était pas le demeurant d'un autre âge.

On put s'en convaincre aux jours d'épreuves; car M. de Montbron eut les siennes. Dieu ne fait pas des dons si magnifiques sans contrepoids et sans compensation. Il entre dans ses desseins de nous avertir que nous n'avons pas ici-bas de demeure permanente, et que cette terre n'est pas la dernière patrie. C'est le but de la souffrance et de l'adversité. M. de Montbron la porta noblement. Il puisait sa force dans son courage et aussi dans ses sentiments religieux. Aux jours d'épreuve, il invoquait le secours divin par des prières solennelles, et, disons simplement une chose toute simple, il faisait des neuvaines. Il donnait une fin surnaturelle à ses abondantes aumônes. Aussi, lorsque la plus longue et la plus douloureuse des maladies l'eut frappé, il ne murmura pas contre la Providence; il accepta la souffrance comme une expiation nécessaire, et fit la part de Dieu de plus en plus large dans sa vie. Il est mort héroïquement, demeurant tout entier jusqu'au dernier soupir.

Outre un grand nombre d'articles disséminés dans divers recueils et les ouvrages que nous avons énumérés, M. de Montbron a publié trois volumes de nouvelles. Deux de ces récits ne sont pas entièrement imaginaires, et des évènements véritables en composent le fond. Une de ces nouvelles a eu plusieurs éditions.

Il laisse en manuscrit un Recueil de pensées.

L'Abbé TEXIER.

D'AGUESSEAU.

(Lecture faite à la Société dans la séance da 21 février 1855.)

On doit des egards aux vivants; on ne doit aux morts que la vérité.

(VOLTAIRE.)

MESSIEURS,

Le travail que j'ai l'honneur de vous présenter n'est pas récent il y a déjà quelques années, lorsque notre compatriote M. Albert tenta de fonder une œuvre à laquelle l'intention toute patriotique de l'artiste aurait dû assurer plus de popularité et d'avenir, je fus prié d'apporter à cette œuvre, dans sa partie littéraire, mon plus que modeste tribut.

Je me rendis à l'invitation qui m'était faite, et j'écrivis cette biographie. Quoique ce travail incomplet soit à juste titre inconnu de vous tous, je n'aurais osé en faire une lecture à une époque si éloignée de sa publication si je ne savais votre bienveillance habituelle, et s'il ne m'avait été donné, en recueillant de nouvelles notes, en comblant de nombreuses lacunes, de le rendre moins indigne de l'honneur qu'il reçoit de vous.

D'ailleurs, Messieurs, vous avez accueilli favorablement la proposition de l'un de nos collègues tendante à compléter par des études historiques et biographiques tout ce que promet le titre de votre Société. Pénétré de l'utilité du but que l'on veut atteindre, je dois me féliciter qu'un travail dès long-temps préparé me permette de prendre l'initiative dans la réalisation d'un projet digne de l'intérêt de tous ceux qui aiment leur pays, et qui honorent les hommes assez heureux pour avoir pu la servir et l'illustrer.

Les biographes n'ont pas manqué à l'homme éminent qui fait l'objet de cette étude on a depuis long-temps tout dit sur

d'Aguesseau, sur ce modèle inimitable de la plus austère et de la plus aimable vertu. Il ne m'appartient pas de prétendre vous faire connaître ses titres à tant de popularité et de solide gloire; ses titres, ce sont ces monuments immortels de sagesse et de génie sortis de la plume du chancelier, et dont aucune intelligence virile et cultivée ne peut avouer l'ignorance. Mais, comme c'est une tâche utile pour l'esprit, douce pour le cœur, flatteuse pour le concitoyen, que d'étudier et de rassembler les pages de cette noble vie, j'ai osé l'exposer à mon tour, en me pénétrant de l'amour du beau, đu vrai, de l'honnête, dont elle est le plus parfait modèle.

Henri-François D'AGUESSEAU naquit à Limoges, le 27 novembre 1668, dans la maison de l'intendance, située rue Consulat. Il reçut le baptême, le lendemain 28 novembre, dans l'église de Saint-Pierredu-Queyroix. Cette date est conservée dans un répertoire des baptêmes de la paroisse contenant la liste des enfants baptisés de 1662 à 1727. La note relative à d'Aguesseau, due aux recherches laborieuses de M. Auguste DuBoys, est ainsi conçue :

1668. Henri-François D'AGUESSEAU. 28 novembre.

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Nous ne pouvons revendiquer pour notre ville, cela paraît hors de doute, que la naissance et les premières années de l'enfance du chancelier son père remplissait à Limoges une charge amovible et passagère lorsque le hasard de la naissance l'inscrivit dans nos annales.

On trouve cependant dans Nadaud une note manuscrite qui semblerait rattacher plus étroitement à notre pays cette famille illustre, et indiquerait un établissement durable de la part de quelques-uns de ses membres. Cette note est relative au mariage contracté, en 1702, par Antoine d'Aguesseau, frère du chancelier, avec Louise Dubois-Baillet, fille de Madeleine Dorat, foriginaire de Limoges; mais la mère de d'Aguesseau, Claude Le Picard de Périgny, était fille d'un maître des requêtes originaire de l'Artois; du côté paternel, il descendait d'une ancienne famille, qui possédait des terres dans la Saintonge et dans l'ile d'Oleron. Nous retrouvons, vers la fin du xv siècle, un Jacques d'Aguesseau gentilhomme de la reine Anne de Bretagne.

Le grand-père du chancelier, Antoine d'Aguesseau, après avoir été successivement maitre des requêtes, conseiller au conseil d'état, intendant de Picardie, a laissé, comme premier président du par

lement de Bordeaux, une réputation d'intégrité et de savoir qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours.

Le chancelier eut pour père Henri d'Aguesseau, intendant de Limoges et du Languedoc, conseiller au conseil de régence, et qui mourut octogénaire en l'année 1745. C'était un de ces hommes rares, vigoureusement trempés, des mains desquels rien de médiocre ne peut sortir cultivant avec sollicitude les heureuses dispositions de son fils, il devait doter la France d'une de ses gloires les plus solides et les plus estimées. Il eut dans sa vie des épreuves difficiles à subir il en sortit toujours avec honneur.

Il était intendant des provinces du midi au moment où Louis XIV, en révoquant l'édit de Nantes, commettait l'acte le plus impolitique de son règne. Placé entre sa conscience et l'exécution d'ordres rigoureux, sachant très-bien pourtant qu'avec Louis hésiter c'était encourir une disgrâce, d'Aguesseau sut concilier l'obéissance aux ordres du prince avec la pitié qu'inspiraient des hommes qui abandonnaient une patrie où on leur enlevait la liberté de conscience, cette liberté précieuse et de droit naturel qui échappe à toutes les tyrannies. Il mourut adoré, et le deuil universel qui suivit cette mort dut inspirer à son fils d'égaler en vertu un homme dont la perte était suivie de tels regrets.

Les hommes illustres, en transmettant leur nom à leurs descendants, leur confient un dépôt sacré dont ils sont responsables. Cette gloire facilite le génie, mais elle effraie et fait ressortir la médiocrité. Ce nom dont héritait le jeune d'Aguesseau, il lui fut donné de le couvrir d'un plus grand lustre, et de ne rien laisser à ses enfants qu'ils pussent y ajouter.

On ne jette pas les yeux sans étonnement sur cette carrière de l'homme public si longue par les années, si rapide par la succession des évènements, si bien remplie par des talents et des vertus qui n'appartenaient pas à ce siècle.

D'abord avocat du roi au Châtelet, il y reste quelques mois à peine. Le roi, qui honorait d'Aguesseau le père de la plus haute confiance, investit d'une place d'avocat-général au parlement de Paris (1694) ce jeune homme dont les débuts étonnèrent tout le monde. On regardait avec surprise cet adolescent qui, dès ses premiers pas, luttait contre cette mode impérieuse qu'avaient subie ses devanciers, à laquelle n'avaient pas échappé Lemaître et Patru eux-mêmes, de faire d'un plaidoyer un recueil indigeste d'érudition sacrée et profane, qui, comme l'a très-bien fait remarquer M. de La Harpe, était d'autant plus applaudie qu'elle était plus étrangère au sujet. A cet étalage,

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