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justice comme vicomte et seigneur de la ville est exhibée; et au devant du palais, où la même justice est randue soubs son authorité, comme roy de France, à ses subjectz; et apres se retira en son logis du Brueith (1), à l'arrivée duquel on avoit approprié un avant-portailh ayant l'entredeux voulté jusques à la premiere porte de la basse-cour, et recouvert de feuillages de lauriers et d'autre verdure. A la clef de cest arc pendoit un escu de France à fonds d'azur enrichy d'un collier des ordres, à double rang de coquilhes, qui Jui donnoit un fort beau lustre, avec un ange de chasque costé, portant en leurs gauches eslevées une couronne impérialle, pour vray timbre de cest escu, pour signifier que le roy ne recognoit aucun supérieur en terre, ains est monarche souverain en son royaume, qu'il ne tient sinon de Dieu et de son espée.

Traversant la cour du logis, on rencontroit l'autre portal de l'entrée du grand escalier, qui estoit aussy orné d'un avancement soutenu par des pilastres canelés, garnis de gros bouilhons de fleurs et autres ornementz, d'une belle et magnifique peinture. Sur le milieu du berceau de cest arc estoient aussy posés deux autres grandz escussons; l'un, portant les armes de Navare; et l'autre, de la ville, audessus desquels se lisoit, en lettres d'or :

HENRICO QUARTO, heroi fortissimo et prudentissimo, quòd, reconciliatis, pacatis subditorum animis, pace firmatâ, regnum regno restituerit, S. P. Q. Lemovic. Popul. hilaritate publicæ fidelitati perpetuæ.

Sa Magesté, pendant son souper, ne prononça gueres autres propos qne sur les particularictés de ceste entrée, répétant souvent que tout ce qu'il avoit veu en cest acte luy avoit esté fort aggréable, et que ce peuple avoit montré une merveilheuse affection à son service. M. de Villeroy rendit ce mesme tesmougnage aux consuls, leur disant qu'ils estoient obligés de rendre graces à Dieu de ce que le roy estoit trescontant du devoir que Lymoges lui avoit rendu.

Et le lendemain, pour l'accomplissement de cette cérémonie, les consuls furent tous ensemble, vestus de leurs robbes, et portans les marques et livrées de la ville, qui sont chapperons de damas rouge cramoysi, présanter à Sa Magesté deux grandes médailles d'or, du poidz de douze marcs, mais burinées et gravées avec tant d'artifice qu'il faudroit que j'empruntasse le burin et la main mesme de l'ouvrier (3) pour en tracer icy la figure affin de n'obmettre rien de leurs ornementz, n'estant possible de suivre avec la plume la subtilité de la main du maistre qui s'estoit esgayé à rendre ces pieces excellemment rares et parfaictement singulieres. En la premiere on voyoit le portraict du roy, armé de toutes pieces, monté à cheval, qui sembloit bondir à travers une grande armée, battre et abattre tout ce qui se présentoit au devant de Sa Magesté pour faire résistance et s'opposer à ses triomphes, tel qu'on l'a veu d'autres foys et admiré au retour d'une infinité de ses belles et grandes victoires, tout couvert et chargé de lauriers et de palmes. Et, droict à l'opposite de Sa Magesté, estoit un bel escusson, gravé des armes de France et de Navarre; et sur le bas, presque aux piedz de Sa Magesté, un autre escu, portant les armes de la ville. Tout autour de la circonférence de ceste premiere médailhe, on pouvoit lire ces motz:

(1) Aujourd'hui l'intendance.

(2) Le présent du roy, faict par les Masbereaux aux despens de la ville. (Note de l'auteur de ce discours, etc.)

henrico quARTO, regi christianissimo, heroi fortissimo, invictissimo, clementissimo, S. P. Q. Lemovic, advenienti. 1605.

Comme ceste premiere estoit vouée et consacrée au roy, l'on avoit creu qu'on ne pouvoit dédier la seconde à personne qui lui fut plus chere et affectionnée que Monsieur le dauphin, digne fils d'un si digne pere, les tendres ans duquel promettoyent à la France un comble de tant de félicités que les subjectz de ceste couronne ayent jamais peu jouir et gouster soubs le regne heureux et fortuné de St Louis, duquel il est véritablement descendu, et dont il porte le nom. C'estoit donc le portraict de monseigneur le dauphin, qui estoit excellemment tiré en ceste seconde médailhe, ayant un pied sur la terre et l'autre sur la mer, porté et soutenu par un dauphin marin, qui sembloit s'esgayer davantage le long du bord de son occéan, pour sentir et voicturer sur son dos une si plaisante et aggréable charge, laquelle le rendoit tout hautein et glorieux parmi les autres poissons qui se voyoient à sa suite à travers des eaux azurées de ce moyteux élément, pour présager que l'empire de ce jeune prince s'estendroit tout autant que la terre et la mer peuvent comprendre d'estandue. On avoit par apres approprié une belle palme verdoyante en sa main; vray simbole des grandes victoires qui lui sont promises du ciel, et de la paix qui doit fleurir entre ses subjectz, soubs son heureuse domination, apres celle de son pere. On voyoit encore pardessus deux anges, qui posoyent doucement sur sa tête un riche double diadême; et plus haut, une aigle, suspendue en l'air, sortant d'une nuée, qui de mesmes laissoit tomber dessus sa teste une couronne impérialle, pour présage certain que tout fléchira un jour soubs la puissance de ce généreux aiglon de la France. Le circuit de ceste seconde médailhe estoit entourné de ceste devise :

Jam cœlum, imperii dignum, te signat honore.
Nusquam abibo, et tutum patrià te sede locabo.

Le peu de temps qu'on avoit assigné à l'ouvrier ne luy avoit peu donner le loysir de rendre ces deux pieces en la perfection qu'il avoit désignée; et, parce que le roy estoit sur son départ, les consuls pour ce manquement ne voulurent manquer à ce dernier devoir ains, apres une semblable submission, prosternés aux pieds de Sa Magesté, Ma Jehan Martin, prévost des consuls, luy offrant ce présent, lui harangua en ceste maniere qui s'ensuit :

« Sire, vos tres-humbles et obéissantz subjectz et serviteurs supplient tres-humblement Vostre Magesté de les excuser s'ils ne randent à vostre grandeur le devoir qu'il sont tenus: imputez-le, s'il vous plaict, au deffaut d'impuissance, non de bon ne volonté. Et, comme nos actions ont failly à nostre devoir, le peu que nous offrons à Vostre Magesté est encore défectueux par la faute de l'ouvrier et peu de temps qu'il a heu. Nous amanderons, Dieu aydant, les fautes; et, parce que la grandeur des monarches est immortelle, par la libéralité qu'ils exercent envers leurs subjectz, et que Vostre Magesté, au camp d'Aubervilhers, confirma les privileges que le roy Charles cinquieme surnommé le Sage nous donna, estant en vostre ville de Lymoges, l'an 1421 (1), nous supplions tres-humblement Vostre Magesté que, pour laisser à

(1) Cette date est fausse, ou il faut rapporter le fait à CHARLES VI dit le Bien-Aimé, ou peut-être, avec notre annaliste (BoNav., Annal. du Lim., p. 818, vol. II), à CHARLES VII dit le Victorieux.

nos successeurs une perpétuelle mémoire que vostre ville de Limoges a esté augmentée par la présence d'un si grand roy, auquel nous sommes doublement redevables, de nous donner les mesmes franchises qu'aux autres villes capitales pour le faict des tailhes et franc-fiefz; et tout le peuple redoublera ses vœux à la divine Magesté pour votre santé et prospérité et de monseigneur le dauphin. Sire, c'est la mesme chose que Vostre Magesté nous fit donner par Charles IX; mais les troubles ont empesché que le don n'aye sorty à effect. »

Le roy, apres avoir veu et admiré ensemble ces deux médailhes, les fit voir aux princes et grands seigneurs qui estoyent pres de sa personne; et par apres les remit ez mains desditz consuls, leur disant: Faites-les parachever, et me les envoyez au plus tost. Quant à vos demandes, j'en suis mémoratif que vous m'avez offert vos cœurs. Faictes dresser vostre requeste : j'en communicqueray à mon conseilh; j'y apporteray ce que pourray. Despuis Sa Magesté a libérallement octroyé l'exemption des francs-fiefz en faveur de ceux qui ont esté, sont et seront consuls de Lymoges et de leurs enfants qui seront vivantz lors de la taxe desdicts francs-fiefz de quoy, apres plusieurs autres graces et faveurs, Lymoges est obligé à Sa Magesté, laquelle partit de Lymoges le dimanche 23 octobre 1605.

:

NOTA. Cette relation, due à Simon Descoutures, avocat au présidial de Limoges, est extraite de la Feuille hebdomadaire (1786 et 1787). Elle diffère un peu de celle qui a été insérée dans le Limousin historique (T. IV, f. 84 et suiv.), et qui avait été prise dans le 2o Registre consulaire de notre ville.

CHRONIQUE.

Deux membres de la Société Archéologique du Limousin, réunis par la saison des vendanges à L'Estrade, près du château de Faye, ont eu l'idée de pousser une reconnaissance jusqu'au bourg écarté et presque inaccessible de Texon.

La pauvre et triste église, veuve depuis long-temps de son curé, n'offrit à leurs explorations que quelques vieilles dalles tumulaires et une statue de St Pierre remarquable par sa tiare et sa sculpture du moyen-âge assez soignée vu la dureté de la matière.

Ce qui les dédommagea de la fatigue de leur course ce fut un autel romain, d'un seul bloc de granit, haut de 4 mètre et large de 66 centimètres, orné de gracieuses découpures du côté de la table, et présentant, sur sa face antérieure, les insignes du sacrifice chez les païens. Le bucranium ou tête de bœuf, le lituus, bâton augural, deux patères, le simpleum, vase d'eau lustrale, et une autre tête d'animal très-fruste, tel que mouton ou porc, pour les sacrifices nommés suovetaurilia.

On ne peut expliquer facilement la présence de cet antique monu

ment à la porte de l'église de cette localité éloignée des grands chemins. Il est possible que, taillé jadis dans les carrières des Cars (de Quadris), cet autel ait pris la route de Limoges, et soit resté à Texon à la suite de quelque circonstance causée par la difficulté des communications.

Nous avons l'espérance de voir tôt ou tard cet autel dans notre musée, où il tiendra dignement sa place.

Les travaux qui s'accomplissent dans la cathédrale de Limoges ont fait découvrir, ces jours derniers, une intéressante peinture murale. Deux chanoines, couverts de leurs vêtements de chœur, sont agenouillés devant la sainte Vierge, assise sur un trône, et tenant l'enfant Jésus sur ses genoux. Ils sont présentés au Sauveur par leurs patrons, debout derrière eux. Le premier est sous la protection d'un saint diacre dont la dalmatique rouge est décorée d'orfrois semés de gros cabochons, d'améthistes et d'émeraudes alternant entre quatre perles. Une sainte présente le second; elle tient une palme.

Ses longs cheveux blonds, ceints d'une simple couronne en cercle, flottent sur ses épaules. Un manteau orné de pierreries la recouvre pareillement. La peinture, long-temps masquée par une boiserie, a beaucoup souffert de l'humidité dans la partie gauche. Les têtes des chanoines ont un sentiment de vérité qui permet d'y reconnaître des portraits.

Une longue inscription, aujourd'hui mutilée, se déroule au-dessus du tableau; on peut encore y lire ces mots :

Hic. jacet.... venerabilis. vir. dns.... Johaès.... de. Coreriis. hui. ecclie. can'......... et. ca.... le....

....

Cui'.aia. requiescat-in-pace. et. oium. Amen.

Ci-gît.... vénérable personne Jean des Courières (?), chantre de cette église, et....

....

Amen.

Que son ame repose en paix avec celle de tous les défunts.

Cette peinture paraît appartenir au premier tiers du xve siècle.
Abbé TEXIER.

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