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Ceste fontaine est fort antique; sa source n'a pas esté casuellement trouvée, comme ceste autre tant renommée au promontoire de l'isle d'Imbros, de laquelle un gros pan de terrain, s'estant esbouilhé du promontoire, brisa plusieurs rochers, et en fit fortuitement la descouverte; ny produite à l'hazard d'un coup de pied de cheval, bien qu'elle porte le nom de Chevalet, comme la fontayne des muses par Pégaze la nostre a été recherchée jusques à sa source, et par apres conduicte par ses beaux aquæducz, desquels Lymoges est richement fourny, jusques au lieu où elle vient surgir. Les beautés naturelles n'ont point besoin d'aucuns ornements, comme estans de soy parfaictes. Ceste fontayne, avec plusieurs autres, embellit grandement la ville de Lymoges; mais encore l'artifice qu'on avoit joinct à ce qui estoit du naturel rendoit encores ladicte fontayne plus aggréable.

Un de ses principaux ornements estoit une pyramide aultrement eslevée par le dessus, d'environ 80 ou 100 piedz, avec des arcades, qui venoyent s'y joindre de l'un à l'autre costé de la rue; le tout conduict avec toutes les proportions et beautés artificielles qui peuvent estre apportées à un bel œuvre. L'exagome de la pyramide et flancz des arcades estoyent tous couvertz et réparés par entrelassementz de verdure, avec tant de feuillages, si artificiellement ondoyans et refandus que cella donnoit un grand esgayement à tout l'ouvrage. Il y avoit quatre Néréides en relief, eslevées sur le haut des quatre pilliers qui soutenoyent l'esguihle de la pyramide; les deux qui estoyent premierement opposés à Sa Magesté portoyent; savoir : le premier pilher, un canistre plein de fleurs et de fruictz; et l'autre une hidrie, remplie d'eau, faisant semblant de la verser dans la tasse de la fontayne, pour accroistre davantage son abondance; et d'autre costé, des rouleaux, en l'un desquels estoyent ces motz:

Et en l'autre :

Prudentiâ et fortitudine paravi regnum.

Paratum justitiâ et moderatione retinebo.

Les deux autres pilhers se voyent à demy courbés et couchés de bonne grace parmy les joncz, le tamary, le soucher et les glais;: tout au ault de l'esguilhe fut planté un globe doré, sacré à Sa Mageste royalle, pour la conservation duquel estoit gravé tout au tour en lettres d'or :

Donec totum impleat orbem.

Et, pour témoignage de l'anticquité de ceste fontaine Constantine, on avoit rempli le vuide d'une des arcades, qui venoit aboutir à la pyramide, d'un cartoche, qui pendoit à plomb, dans lequel se lisoit, en lettre noire sur le blanc :

CONSTANTINO MAGNO IMPERATORI,

Ob fusum, victum, prostratum, ac tandem imperatorii equi calce occisum Gallum Annovellianum, Aquitania prefectum, qui consortem imperii Licinium adversus illum ære et milite juverat, ob idque lemovicensem ecclesiam spoliaverat, populus lemovicensis in fonte peremit, perennem dicavit memoriam anno Christi trecentesimo decimo sexto.

Je ne veux obmettre icy l'emblesme de Sanson, tant convenable à la générosité et douceur du roy qu'on ne la sçauroit mieux exprimer soubs telle autre peincture qu'on peut inventer c'estoit la représentation d'un fort et puissant Sanson, qui

se voyoit, entre ces deux premieres Néréides, si bien figuré qu'il sembloit abatre et terrasser avec une massue, comme un autre Hercule, un lion d'une grandeur et fierté excessive, pantelant à ses piedz, duquel, contre l'ordre de la nature, qui produit d'ordinaire des effectz semblables à leurs causes, sortoit une grande quantité de mouches à miel. Sur le quarré de ce tableau se lisoyent ces mots :

De forti egressa est dulcedo.

Et aux deux flancz, pour l'éclaircissement de l'énigme :

HENRICUS leone fortior;

HENRICUS melle dulcior;

Et au bas d'icelluy, ce disticque:

Vi superas hostes, paterisque resurgere victos.
Dulcia sic forti mella leone fluunt.

Et encore ce quatrain :

O fortunés subjects! O France bienheureuse!
Qui fleschis soubs la loy d'un monarche si doux !
Sa vertu te rendra pour jamais tres-fameuze :
Ses victorieux lauriers, tres-redoutable à tous.

Il y avoit encores plusieurs autres devises, escriteaux et épigrammes, que les espritz les plus desliés da barreau du siege présidial s'estoyent esgayés d'inventer à l'honneur du roy; entre autres, ceste–cy, qui estoit justement posée sur l'endroit où devoit passer Sa Magesté, et qui fut trouvée fort convenable pour tesmoigner que la ville de Lymoges ne pouvoit plus estre estimée petite, puisqu'elle logeoit et recevoit chés soy le plus grand prince de la terre ;

Quod tibi, rex Auguste, potest urbs iste resignat.

Gestit et adventu luxuriare tuo.

Parva licet, tamen obsequio tibi nota fideli,

Magna erit hospitio principis aucta sui.

Le dedans de cette pyramide estoit aussi fourny d'un bon nombre d'instrumentz et de voix, lesquelles s'entremeslans avec le murmur de l'eau rendoyent une double harmonie. Toutes choses sembloyent favoriser ceste heureuse réception de Sa Magesté. Nous avons remarqué, au commencement de ce discours, que les six ou sept jours précédentz avoient esté fort pluvieux et mal-propres pour telle cérémonie; mais, sur le point qu'on vouloit faire l'ouverture de ceste entrée, le soleilh, auparavant triste, couvert de nuages, et qui sembloit n'esclairer qu'à regret, redoubla sa lumiere pour faire voir plus clairement unc action si royalle. Et, comme le roy outrepassoit ceste fontayne, apres y avoir contemplé à loysir toutes les diversités de cest embellissement, s'acheminoit vers l'esglise de St-Martial, la nuict commença à s'approcher; et la lune, enviant à son frere qu'il fût seul porte-flambeau en ceste magnifique cérémonie, parut avec une clarté si brilhante qu'il sembloit qu'elle deût rammener un nouveau jour. Soubs la faveur de sa lumiere, le roy arriva devant la grand porte de St-Martial, laquelle on avoit enrichie d'arcz triom phantz, faictz et compartis par une ingénieuse et tres-belle disposition; à un chascun desquels se lisoit quelque gentil traict à la louange du roy; mais entre

autres un souhait de toutes les félicités qui peuvent combler de bonheur un grand prince, contenu en ces motz :

In hanc, HENRICE optime, quam tutamur urbem, te admisisse lætamur; hanc, uti duplici jure tuam, et semper tibi tuisque fidam, agnosce: pace exorna, bello protege, utroque tempore fove et subleva: sic semper serviant tibi populi tui, et incurventur ante te inimici tui: dies super dies adjiciantur tibi : assideat tibi regina in beneplacito tuo : et post te sedeant pacifice filii tui super solium tuum (1).

Ceci estoit soutenu et porté par les deux saints tutélaires de la ville, St Martial et Ste Valérie, eslevés en reliefz; et au-dessoubz on voyoit deux mains s'entredonnantz la foy, en forme d'alliance, avec ceste devise:

Accipe, daque fidem.

La sonnerie des grosses cloches, desquelles ceste esglize est fort richement pourveue, meslée avec le murmur du peuple, faisoit eslever un tel bruict qu'il estoit impossible de s'entreouir, jusques à ce que le roy fut au devant de l'esglize, où Sa Magesté fut reçeue, au premier degré, par révérend pere en Dieu messire Henry de La Martonnie, evesque de Lymoges, assisté des abbés, chanoynes et autres ecclésiasticques de son clergé ; et, comme c'estoit un personnage doué de plusieurs rares et singuilheres vertus, ayant celle de bien dire, mesme en ses discours familhers, tellement esminante par dessus les autres que ceste-cy leur servoit comme d'une claire lumiere, pour faire voir et esclairer leur beau lustre par-tout; apres avoir randu à Sa Magesté la dévote submission que les prélatz de sa qualité lui doivent, il luy fit un discours comme s'ensuit.

Au partir de là, Sa Magesté fut conduicte le long de la grande nef, qui estoit tendue des deux costés d'une riche tapisserie dans le chœur de l'églize ( de St-Martial) où l'on avoit dressé un grand ciel de veloux rouge cramoysi, avec un oratoire relevé au dessoubz, garni de carreaux de mesme parure, sur lesquels le roy s'estant incliné, le cœur commença retentir d'un chant d'action de graces pour l'heureuse arrivée et prospérité de Sa Magesté, laquelle, pendant ces chants spirituels, fut veue eslever son cœur à une dévote méditation des œuvres de celluy qui tient le cœur des roys en ses mains.

Le Te Deum fini, l'on fit ouverture des plus riches trésors de ceste esglize; mais, entre autres, de ce précieux reliquaire du chef du glorieux St Martial, qui ne se montre qu'à chasque septenere d'années; et, comme les couppes d'or, garnies de plusieurs pierreries, dans lesquelles il repose, furent ouvertes au devant des yeux de Sa Magesté; ses yeux, principallement randus, ce semble, plus esclattans par la présance de ce divin joyau, tesmougnerent des puissants effectz d'un zele sacré de la foy et religion de ce prince, que la dévotion, comme un tres-fort ministre de l'amour de Dieu, faisoit ruiceler abondamment dons son ame. Son cœur présent, en cest instant vrayement touché de l'ayman de l'amour divin, Sa Magesté fut veue, d'une façon toute royalle, mais d'un cœur humble et dévot, vénérer, adorer et louer Dieu en ses saints: il baisa plusieurs foys ce saint réliquaire, y fit toucher sa

(1) Les vœux de l'auteur ont été parfaitement accomplis jusqu'à présent pour ce dernier article: puissent-ils l'être à jamais!

croix et son chappellet; et, ladite cérémonie estant finie, Sa Magesté s'en retourna, sur les mesmes pas, à la porte par laquelle elle estoit entrée en l'esglise, où les consuls l'attendoyent.

L'on avoit bien préparé la sortie d'un autre costé, et paré superbement la porte du Cloistre de plusieurs beaux ornementz, d'arcades, revestues de rameaux d'olivier comme estoit aussy ceste autre fontayne (1) qui se voit en ceste belle place du Cloistre, laquelle, par le murmure de son eau, rendoit un grand esgayement à ceste sortie, pour l'embellissement de laquelle, et affin de n'aller emprunter sa parure plus loing, on s'estoit servi de l'emblesme que le roy Louis-le-Débonnaire, empereur et roy de France, fils de Charlemagne, y avoit faict mettre lorsqu'il édifia ce dévot et ancien temple en la forme que nous le voyons pour le jour d'huy c'estoit une lionne qui sembloit enfanter des lionceaux, et à mesme temps, cruelle envers sa propre geniture, les tuer et deschirer avec ses griffes. Thevet a faict estime de ceste piece, en sa Cosmographie, comme fort anticque. Au dessoubz y a certains vers, que la longueur du temps a presque du tout effacés; néantmoins on les avoit extraictz, et par apres gravés en lettres d'or sur un champ noir, au-dessus de ceste lionne, en ces motz :

Opprimit hanc natus Gaifer malè sanus alumnam,

Sed pressus gravitate, luit sub pondere pœnas.

Et au-dessoubz, cest autre :

Alma leæna duces savos parit atque coronat.

Et, pour tesmougner que c'estoit Louis-le-Débonnaire, fils de Charlemagne, qui avoit faict édiffier ceste église en la forme qu'elle paroit à présent, et faict poser ceste mergue que nous avons dict, on y avoit ajouté plus bas, en mesmes caracteres :

Ludovicus pius, imperator, et Gallorum rex, ob devictos a Pepino, avo, Gaiferum, à Carolo magno, patre, Hunaldum, ecclesiarum Aquitaniœ expilatores, pacis infractores, et recidivos hostes, hoc monumentum, in exteriori parte hujus ædis, ab eo constructæ, poni curavit, in æc.... dicavit, anno Christi quadricesimo (2) trigesimo secundo.

Mais, à cause que la nuict estoit désià haulte, et que l'on croyoit, suivant la proposition que le roy en avoit faicte entrant dans l'églize, qu'il voulût coupper chemin, et se retirer en son logis, Sa Magesté ne sortit par ceste porte du Cloistre; ains fut conduicte à la premiere, par laquelle elle estoit entrée, où estant arrivée, avec un visage joyeux et tout plein d'allegresse, il dit aux consuls: Allons maintenant où vous voudrez. Ces paroles augmenterent le courage, et aux consuls, et à tout le peuple, qui supportoyent auparavant avec regret que Sa Magesté ne continuât de suivre les lieux destinés à son passage. On vit soudain naistre un beau jour parmi l'obscurité de la nuict, par un nombre infini de flambeaux, qui furent

(1) Il est ici question de la porte méridionale de l'église de St-Martial, par laquelle on sort de cette église sur la place voisine, qui étoit alors moins grande qu'elle ne l'est aujourd'hui. Il y avoit une fontaine, qui n'existe plus, et dont la tasse de pierre sert maintenant d'abreuvoir aux chevaux de la poste, dans les fossés de Montmalier. Cette porte, la place et la fontaine étoient appelées du Cloistre, parce qu'elles avoisinoient l'ancien marché au bled, nommé le Cloistre', et qui a été fermé de nos jours.

(2) Il y a faute dans cette date: au lieu de quadricesimo, il falloit octingentesimo.

allumés sà et là le long des rues et fenestres des maisons; tellement qu'il sembloit que quelque aurore vint s'esclorre à travers de ces ténebres et obscurité de la nuict. Cela arriva, sans y penser, que ceste cérémonie fut continuée dans le commencement de la nuict on croyoit avoir du jour de reste; mais ce rencontre casuel servit de plus grand ornement à ceste entrée cela donna du lustre et de l'esplendeur davantage à cest acte célebre. L'air de la nuict est plus posé, tranquille et moins bruyant que celluy du jour. Les plus grandes magnificences des anciens se faisoyent à la lueur des torches. L'esclat et splendes honneurs brithe plus clairement parmy le sombre de la nuict que non pas en plein midy.

Le roy, estant monté à cheval, se remit sous le poyle, porté, comme auparavant, par les consuls, lequel avoit esté garanty des mains des pages et lacquetz par commandement expres que Sa Magesté leur en avoit, faict entrant dans l'églize; et fut conduict, sous ce poyle magnifique, par la grand'rue des Taules; de là, en Crochetdos, Montant-de-Manigne, Bancz et la Ferrerie, au bout de laquelle on avoit faict conduire une autre belle fontayne, tirée de celle d'Eygoulene. Sa forme estoit quadrangulaire, ayant à chasque coing un griffon regorgeant une grande abondance d'eau. Ceste fontaine estoit pozée entre ces léopards de pierre, qui se voient en ceste petite place St-Michel, relevée de douze piedz, ornée de plusieurs peinctures et devises. Sur la sommité estoit pozé un Mars, armé d'une targe et d'une espée, portant la forme d'un furieux homme. Ce bravasche (1) estoit veu et regardé diversement par les uns, comme par desdain et par exécration; par d'autres, par honneur, par révérance et par admiration; mais, aveuglés en leurs passions guerrieres, ils ne s'appercevoyent pas que ce Mars, fils de la déesse Enio, estoit navré d'une playe mortelle, qui paroissoit à demy sur son costé sinistre; laquelle il avoit receu par nostre tant renommé guerrier Diomedes, qui pouvoit seul blecer les déités mesmes, et, par ce moyen, assoupir tout d'un coup, et comme estouffer en leur berceau, ces hydres de Bellone, que quelques-uns, impatiantz de la paix, vouloyent faire renaistre en son royaume; et, pour faire voir à quelque occasion les léopards avoient esté érigés et eslevés en pierre, en plusieurs endroictz de la ville de Lymoges, mesmes en celui duquel nous venons de parler, on avoit escrit, sur la superficie d'un carré de ceste fontayne, les motz qui suivent : EUDONI, Aquitaniæ, duci, ob fidas et opportunas suppetias CAROLO MARTELLO, in clade Turonensi, contra ABDIRAMUM, præstitas, GREG. III, pont. max., honoris ergò, pro stemmate, pardum aureum, in æquore Rubro, concessit, populusque Lemovicensis hos lapides erexit.

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De là Sa Magesté passa au devant de ses deux maisons; sçavoir: celle (2) où sa

(1) BRAVASCHE, un fanfaron, jactator. (Diction. du vieux langage françois, par M. Lacombe, édit. in-8', 4766., p. 79) - BRAVACHE, s. m., faux brave, fanfaron. (Diction. de l'Académie Franç., verbʊ BravaCHE.) (2) On croit que cette première maison étoit celle où le bureau des finances a siégé depuis, jusqu'à ce qu'il a transféré, dans ces dernières années, son siège au nouveau palais. Cette ancienne maison du vicomte de Limoges n'existe plus : M. Etienne, président de l'Election, a fait un jardin sur le local qu'elle occupoit, et qu'il a acquis depuis sa destruction.

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