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sçavoir et l'éloquence conjoinctz avec l'expériance qu'un bel aage et une grande et honorable charge luy ont acquis) porta la parole pour tout le corps de la justice; et, apres une humble et profonde submission, estans tous à genoux, parla au roy en ceste maniere :

« Sire, les anciens, voulant représanter la bonté, la grandeur et l'authorité du prince, disoyent que Jupiter avoit pour ses accesseurs et conseillers ordinaires, qui ne l'abandonnoyent jamais, Diée et Thémis, c'est-à-dire justice et équité, pour montrer que tout ce qui estoit faict par le prince estoit juste et équitable; estimans que Jupiter mesmes ne pouvoit bien commander sans justice, sans laquelle n'y a rien de ferme ny de stable en un estat : comme à la vérité Sire, les hommes ne peuvent jouir des graces et faveurs que le ciel leur départ, ny user équitablement des grands biens qu'il leur donne, si ce n'est par le moyen de la loy, par l'authorité du prince, et par la justice, laquelle est la fin de la loy; la loy, œuvre du prince; et le prince, image de Dieu vrayement empreinte en vous, grand prince et grand roy, plein de bonté, d'équité, de magnanimité et de clémence, seules vertus qui randent le prince heureux et immortel, et font qu'il n'y a rien de plus divin au monde; vertus inséparables de Votre Magesté, et pour lesquelles Dieu vous a esleu roy, pour commander à tant de millions d'hommes qui vous obeyssent, et recognoissent que, comme il a collocqué au ciel, pour un bel image de sa divinité, le soleilh, que telle représentation et telle lumiere vous estes en vostre royaume : vous estes la loy, et la justice, et l'équité tout ensemble; et, en l'image vive de Vostre Magesté, nous voyons reluire Diée et Thémis; nous voyons la bonté et équité, la magnanimité et clémance, par laquelle vous avez rammené au droict chemin vos sujectz desvoyés. Et ce grand royaume qui a fleury douze centz ans sous les auspices de tant de roys vos ayeuls, commencer, soubs les vostres, autant d'heureuses années, qu'elles surpasseront toutes celles de vos prédécesseurs. Et pour ce, Sire, vos sujectz, qui se voyent commandés par si heureux et magnanime prince, tendent les mains au ciel, y dressant leurs vœux, que vostre Estat soit toujours calme et tranquille, et vostre personne en repos, de laquelle despend tout le bonheur de la France. Et à ce jour tant désiré, que vostre ville de Lymoges célebre pour vostre bienvenue, vos sujectz respandent la joye et le contantement qu'ils ont de voir Vostre Magesté, à laquelle ils ne peuvent tesmoigner le bonheur qu'ils reçoivent que par acclamations et offres de demeurer éternellement vos tres-humbles, tres-fidelles et tres-obéyssantz sujectz; doublement vostre, comme leur roy et comme leur viconte. Et nous. Sire, qui sommes, dans vostre sainct temple de Thémis, prosternés aux piedz de Votre Magesté, ne pouvans de paroles assez dignes représanter les tres--humbles services que nous luy devons, la supplians en toute humilité regarder les cœurs qui ne respirent autre chose que la fidélité, l'obéyssance et tout ce que tous bons sujectz doivent naturellement à leur roy, avec humble priere à Dieu donner à vostre royalle Magesté le comble de tout heur et félicité, et à nous la grace que nos intentions puissent tousiours tendre au bien de vostre justice et de vostre équité. »

Le roy, qui avoit escouté ce discours avec plus d'attention que les autres, respondit: Je sçay que vous m'avez fidellement servy: continuez, et faictes que mes sujectz soient conservés, leur rendant la justice que j'ay mize entre leurs mains; car ne me pourriez faire chose qui me cause plus grand contantement ».

Et estans tous les susdits passés, vindrent les consuls, habillés de robes de veloux tané, canellé, et de sayes de sattin noir, montés sur hacquenées harnachées d'housses bandées à grandz bandes, frangées de saye, trainantz en terre, et ayantz

devant eux les gagers de la ville couvertz de robes my-parties d'escarlatte rouge et azuré, avec leurs masses, et à leurs costés, les staphiers à pied, parés de leurs livrées et devises; les conseillers de la maison de ville, et plus notables bourgeois, bien parés, et montés en grand nombre, marchans deux à deux, accompagnoyent les consuls, lesquels arrivés au théâtre, et prosternés devant sa Magesté, Me Jehan Martin, leur prévôt, lui fit ceste harangue :

<< Sire, au milieu de ceste joye publique et acclamation de vostre peuple, nous, comme consuls de vostre ville de Lymoges, pour tous les habitants d'icelle, vos tres-humbles et obéy ssantz sujectz et serviteurs, nous venons jetter aux pieds de vostre Magesté, admirant vos belles actions, pleynes de merveilles, prians Dieu, Sire, qu'il les veuilhe rendre plus heureuses. Vous estes nostre tres-grand, tresvictorieux et tres-débonnaire monarche et prince souverain; comme à vostre Magesté et aux roys tres-chrétiens vos prédécesseurs, nous et les nostres avons tousiours gardé fidélité, de mesmes avons-nous, Sire, une ferme résolution de conjoindre à ceste anticquité une inviolable constance et fermetté à vostre treshumble service. En ceste mesme intention, et en toute humilité, Sire, nous offrons à vostre Magesté nos cœurs, vies et moyens, qu'elle recevra, s'il lui plaict, comme aggréables victimes de notre tres-humble fidélité, subjection et service. »

Sa Magesté, avec un visage, joyeux pour tout ce qui s'estoit passé, leur dict: « C'est la vérité que vous m'avez esté tousiours fidelles: je n'oublierai jamais la cognoissance que j'ay de vostre fidélité »; et, se levant de son siege, commanda qu'on fit marcher chasque compagnie en son ordre vers la ville.

Despuis le théâtre jusques au logis de Sa Magesté les rues estoyent tandues entierement de tapisseries, peinctures, tableaux et devises; et tout le long estoient les régimentz des gardes et compagnies de la ville, pour empescher qu'il n'y heut aucun désordre ou confusion. Le roy, descendant du théâtre, précédé par tous les susdicts, monta à cheval, et fut conduict par les consuls de la ville, montés sur leurs hacquenées, jusques à la porte Montmailher (1), au devant de laquelle, pour la magnificence de ceste antrée, affin de faire démonstration de la joye et liesse incroyable que les habitants recevoyent de ceste nouvelle venue, estoit dressé un avant-portailh d'une structure excellente son diamettre, par pied, estoit d'environ cent piedz, et vingt de hauteur, jusques aux galleries, qui s'y voyoient percées à jour, portées sur quatorze pilhers, mesurés et comportés en sept divisions esgalles, empiétés dans des stillobates (2) industrieusement faictz et moulés de bricque. Ces sept dimentions rendoyent autant d'arcades, les pancaux terminans la circonférance, lesquelz estoyent couvertz d'une ingénieuse et tres-subtille peincture, ainsin qu'il sera dict cy-apres.

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Sur la voulte de cet avant-portailh, se voyoit encores un domme, relevé à l'anticque et façon dorienne, de vingt piedz, sur la sode duquel estoit eslevé un grand colosse d'homme, plus haut que le naturel', estant de douze piedz de hauteur, si bien formé qu'il estoit impossible de voir chose mieux faite c'estoit la figure de nostre grand Lemovix, fondateur de Lymoges, qui tenoit en sa main droite une clef d'argent, et, en l'autre, un cœur tout enflammé, pourtant un cimeterre à son costé, et faisoit contenance de s'incliner vers l'endroict de l'entrée de l'arrivée de Sa Magesté pour luy offrir et les cœurs et les clefz de la ville tout ensemble. Les (1) Démolie vers 1765. Elle étoit à l'entrée de la rue des Combes, en face de la place maintenant nommée la place Dauphine.

(2) STYLOBATE, s. m., terme d'architecture, piédestal d'une colonne, ou le soubassement de l'avant-corps d'un édifice. (Diction. de l'Académie Françoise, art. Stylobale.)

berceaux de ces arcades estoyent tous couvertz de rameaux verdoyantz, fort agréables à la veue, aux flancz desquels se voyoit un meslange d'une peincture fort desliée, représentant tant de belles devises que la diversité arrestoit un chascun à les contampler. Entre autres, on y voyoit la représentation d'un autel, desdié à la clémence du roi, au devant duquel estoit tiré, mais d'une main asseurée et tressubtile, un lion qui se jouoit avec une biche, au bas de laquelle peincture estoit escrit en lettres d'or :'

Mansuetus et clemens,

devise si convenable à la bénignité du roi que, joincte à l'autre suivante, ceux qui volontairement se sont soubmis à la juste et légitime domination, et au contraire les téméraires et présompteux qui ont tâché s'y opposeront trouvé que c'estoit le propre de Sa Magesté :

Parcere subjectis, et debellare superbos.

Aussi y avoit-il en l'autre autel, tout proche du précédent, consacré à la force invincible de sa mesme Magesté, un lyon, qui deschiroit avec ses dentz et griffes une beste féroce portant la forme et contenance d'un tigre; et au dessoubs se lis oient ces motz en mesmes caracteres :

Superbis ferox.

Et ce qui rendoit la dédicace de l'un et de l'autre autel in elligible estoit que, sur le petit arc du premier, estoit écrit en grosses lettres :

Augusta HENRICI quarti clementia victos sublevat quos fortitudo prostraverat. S. P. Q. Lemovicens, P. D.

Et sur l'arcade du second se lisoient aussi ces mots :

Invicta HENRICI IIII fortitudini, quæ superbos domat, rebelles profligat. S. P. Q. Lemovici P. D.

Et, pour plus parfaite intelligence qu'en ces deux autels estoyent vénérées la force et mansuétude du roi, on y avoit tout à propos adjoûté autour de leurs quadratures:

Sæpe armis et consilio hostes et insidias, sæpiùs te ipsum clementiâ et
humanitate superasti.

D'autre costé estoient aussy naïfvement représentées deux licornes, qui baignoient leurs trompes dans le courant d'un fleuve argentin, bordé de rozeaux aquaticques, tels que nostre Vienne (1) ; et au-dessus estoit escrit sur un champ azuré :

Dilectus tanquam filius unicornium,

pour tesmougner que le peuple de Lymoges chérissoit et adoroit humainement ce prince de merveilhes. Par le dessoubs se lisoyent encores ces deux vertz :

HENRICI Virtus fraudes extinguit et arcet
Insidias; regno pacem parit atque quietem.

A travers du grand arcade, on descouvroit le premier portailh de Montmailher, sur le frontispice duquel, et par le milieu, se voyoient deux anges tenans leurs (1) Rivière qui passe auprès de Limoges.

gauches eslevées, portans en icelles deux couronnes suspendues, au-dessus desquelles se lisoit :

Non in cassum tantos patiêre labores.

Et au dessoubs, ceste devise, de laquelle se louoit tant un des prédécesseurs de Sa Magesté :

Manet ultima cœlo.

Se voyoit en oultre une main polie, qui sembloit présenter au roy une belle palme, vrai simbole de ses plus beaux exploitz, avec ceste promesse asseurée :

Spondeo digna tuis ingentibus omnia cœptis.

Il y avoit en cest avant-portailh tant d'autres belles et ingénieuses inscriptions qu'un conseiller du siége présidial (1), esprit vrayement capable de choses rares, avoit inventées, dressées et conduictes à telle perfection qu'elles estoient singulierement aggréables à un chascun, et lesquelles seroit grandement pénible de vouloir particulariser et déchiffrer par le menu. Les galleries et pavilhons, qui estoyent garnis d'un bon nombre de musiciens et de toutes sortes d'instrumentz, qui rendoyent un meslange et concerts de musicque si doux et plaisant que les sons et chantz qui s'entendoyent comme venantz d'un lieu fort eslougné faisoyent sembler que ce lieu fût la charolle d'Apollon. Tout ce beau chœur estoit bien proportionné de plusieurs voix et instrumentz accordés et mariés l'un à l'autre, au milieu de ces palinodies eslevées à l'honneur du roy par ceste harmonie continuelle.

Comme Sa Magesté estoit sur le premier pas de l'entrée de ce portailh, on vit eslever une nuée clairement espece, qui vint comme fondre et s'entrouvrir au devant de Sadicte Magesté, de laquelle sortit un beau jeune enfant portant l'habit et maintien d'un ange, lequel présenta au roi les clefs de la ville, d'argent doré, autour desquelles se voyoient deux serpents entrelassés par des plis et replis, si subtilement menés qu'on jugeoit que l'ouvrier avoit employé tout le plus beau de son industrie pour la perfection de ces clefz, où il avoit en outre ingénieusement empreint et gravé les armes du roy, de la reyne, de monseigneur le dauphin et de la ville; et encores volontiers que son nom, comme dans le bouclier d'un autre Achilles, s'y pouvoit remarquer aiséement. La matiere ou l'ouvrage de ces clefs revenoient à plus de 500 liv. (2) Le petit demi-dieu, offrant ce premier présent à Sa Magesté, lui dict ces vers:

Avec ces clefz les biens, voires mesmes la vie

De ce peuple est acquise à vostre Magesté.
Recevez de bon œilh, Sire, je vous supplie,
Ce

que chascun vous offre en toute humilité.

Sa Magesté receut avec un grand contentement ces clefz, et les bailha en mesme temps au sieur de La Force, capitaine des gardes.

Ceste premiere cérémonie parachevée, les consuls mirent pied à terre dans le baloir de Montmailher; et, ayantz tous six prins chascun un baston du poyle, suivant le rang de leur élection, le porterent découvertz au dessus de Sa Magestė, laquelle s'estant avancée dans la ville, on entendit le tonnerre des canons, qui donnoyent le salut de la bien-venue du roy, despuis la platte-forme des Aresnes (3),

(1) L'auteur ne le nomme pas, en quoi il a eu tort.

(2) Somme bien plus considérable dans ce temps-là qu'elle ne le seroit aujourd'hui. (3) Cette plate-forme étoit sans doute où est maintenant la place d'Orsay.

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sur laquelle on les avoit logés. Le poyle que nous avons dict estoit autant sompteux et magnifique qu'il en soit esté jamais présanté à aucun roy en son entrée aux plus fameuses villes de son royaume. Sa forme estoit ovalle, relevée en voulte sur le milieu; les pantes et frangettes qui l'entournoyent, entrecouppées, affin que, sans empeschement, Sa Magesté peut voir et estre veue de tous l'estoffe estoit de veloux bleuf azuré, tout parsemé de fleurs de lis d'or, avec des porphilures, feuillages et autres enrichissementz d'une excellante broderie; les houppes, gros floccons et crespines d'or, qui se voyoient rangées d'une belle proportion, et rendoyent une diversité tant aggréable, que les regardantz confessoyent n'avoir veu de leur souvenance une pareille piece si riche. Son dedans estoit un beau ciel de toille d'argent, desparty en plusieurs divisions, par le moyen des broderies, clinequantz et autres enrichissementz, que l'ouvrier y avoit tout expressément adjouté, le vuide desquels despartements estoit aussi tout parsemé d'estoilles d'or, richement appropriées, avec deux beaux escussons de France, l'un droict à la perspective de Sa Magesté, l'autre sur le dernier et à l'opposite. Par le dehors, et sur la sommité du poyle, y avoit une grande fleur de lis d'or, esclatante comme un rayon de soleilh. Il estoit soubtenu de six bastons, ayant chascun une grosse pomme dorée sur le bout, selon le nombre des six consuls qui le portoyent. L'estoffe ou façon revenoit à 1,800 livres.

Sa Magesté entra soubs ce poyle, et fut conduite le long de la grand rue des Combes, laquelle estoit toute tapissée comme les autres, y ayant grande quantité de personnes, tant des habitants qu'autres de la province qui y estoyent accourus de plus de vingt lieux pour recevoir ce bonheur de voir leur prince souverain en un lieu où les roys de France n'ont accoustumé de s'acheminer, ne se trouvant point que despuis le roy Louis unziesme aucuns des prédécesseurs de Sa Magesté fussent venus à Lymoges. Et sur ces entrefaictes Sa Magesté dit au prévost des consuls qu'il y avoit bien long-temps qu'on n'avoit faict de pareille entrée à Lymoges. «Sire, respondit le prévost, nous avons, de nostre mémoire, reçu fort magnifiquement ANTOINE DE BOURBON (1), pere de Vostre Magesté. - Il est vray, respondit le roy; mais c'estoit seulement en qualité de viconte: il n'estoit pas roy de France ».

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Et, s'acheminant ainsi le long de ladite rue, qui retentissoit d'un cry d'allégresse de vive le roy! Sa Magesté print garde qu'on y mesloit un vive monseigneur le dauphin! dont il reçut un grand contentement, et dit: Ce peuple m'ayme; et, passant plus outre, il descouvrit, sur le milieu de la rue, ceste belle fontaine (2), admirable, et pour son antiquité, et pour l'abondance de sa source, et pour la bonté et commodité de son eau; mais, outre sa beauté ordinaire, l'on y avoit apporté un si singuilher artifice que la nature et l'art sembloyent combattre à qui demeureroyt l'honneur d'avoir plus contribué à la perfection et embellissement de ceste piece. Le roy, au premier rencontre, croyoit que les consuls eussent faict composer artificiellement ceste foutayne pour d'autant plus décorer son entrée, jusques à ce que, approchant de plus prcs, il vit réjallir vivement les gros surgeons d'eau vive par un bon nombre de tuyaux, qui poussoyent naturellement ceste abondance d'eau qui coule d'ordinaire de ladite fontayne, et dans celle des Barres, qu'on avoit joinctes ensemble pour plus grande merveilhe.

(1) Roi de Navarre et vicomte de Limoges. Il fut reçu solennellement dans cette ville le 20 décembre 1336.

(2) La fontaine dite du Chevalet, alias de Constantin, détruite de nos jours, et dont on a conduit l'eau auprès de l'hôtel des monnoies, dans la même rue, qu'elle n'embarrasse plus, comme elle faisoit alors.

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