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et, ayant percé la muraille dudict grenier, vint percer la butte de la cheminée. Toutefois, ayant fait le trou, ne put passer dans icelui, mais tomba dans ledict grenier même. Et en deux jours fut tiré de sept à huit vingts coups de canon. Durant aussi lesdicts jours, ils firent une autre batterie à la maison de Panthenie avec la piece de Limoges, qui n'y fit rien. Ils l'avoient mise dans une petite grange appartenant à Marie Garreau, veuve à feu M Martial Delafon, qui étoit joignant la maison des hoirs de feu Me Hélie Garreau, notaire en son vivant de la présente ville.

Le 16 desdicts mois et an, entre deux et trois heures du matin, ma femme, Françoise Garreau, s'accoucha de Marie Jarrige, ma quatrieme fille; et demeura madicte femme en travail depuis le vendredi matin jusques à l'heure qu'elle accoucha à cause du grand bruit de ladicte batterie, et s'accoucha chez M. Me Yrieix Delafon, lieutenant, qui étoit aussi audevant ladicte ville en la compagnie des assiégeans, qu'il assistoit de tout son pouvoir de quoi je prie Dieu lui vouloir pardonner.

Le 19 dudict mois, ils remuerent les pieces de la maison et jardin de Me Rouchaud pres le portail de chez Cédar, et, pour les faire passer, rompirent le bas de la maison. Ils battirent tout ce jour si furieusement que la breche étoit suffisante pour venir à l'assaut, comme de fait ils vinrent; mais, gràce à Dieu, ils furent bravement repoussés avec grande perte des leurs. De notre côté y mourut le soir, durant ledict assaut, Pardoux Sauve, à qui un boulet d'une grosse piece emporta la tête. Il y fut tué aussi un gentilhomme italien, nommé le sieur César, écuyer de M′ de Chamberet, lequel M' de Chamberet de sa grâce se vint jeter, des le jeudi, de bon matin, 14 dudict mois, accompagné d'une centaine de soldats, une partie desquels étoient des gardes du sieur comte de La Voulte, notre gouverneur, avec leur capitaine, appelé le capitaine Vincent de Tulle. Il y avoit aussi en la compagnie du sieur Chamberet de ceux de Treignac, entre lesquels y avoit un nommé capitaine Bernard. Icelui seigneur de Chamberet étoit fils de celui qui fut tué par le sieur de Pompadour à Bourdeaux, et pres l'évêché de ladicte ville, comme a été pardevant dit en l'an 1565. Plus fut tué pendant ledict assaut François Deladoyre, frere de Noël, dit de Blanc, et un nommé Michaud Blanchard, orfevre de Limoges. Ledict assaut fut baillé entre 4 et 5 heures apres midi.

Le lundi empres, 25 dudict mois, ils remuerent les trois pieces, et les mirent dans la grange de M' de L'Angalerie, située pres l'église de St-Pierre-de-La-Noaille, hors les murs de la présente ville, où fut tiré cent moins deux ou trois coups de canon, sans faire autre chose que rompre un coin de la porte et celui qui regarde ladicte grange. Ils pensoient abattre ladicle porte pour nous empêcher de sortir, pour secourir la maison de Panthenie, qui étoit aussi tenue par nous.

La batterie fut faite le 26 dudict mois, et, voyant qu'ils n'y faisoient rien, ils remuerent, le 27 dudict mois, les pieces, et mirent le gros canon dans ladicte maison des hoirs dudict feu Me Hélie Garreau, et, pour ce faire, rompirent le chapial au droit de la cheminée, et remirent dans ladicte grange de ladicte Marie Garreau, joignant ladicte maison, la piece de Limoges. La couleuvrine se rompit. Et de là ils battirent, les 28 et 29 dudict mois, ladicte maison Panthenie, de façon qu'ils rompirent le chapial de ladicte maison ensemble un autre qui étoit par derriere d'icelui dans ladicte maison, et la muraille de la basse-cour d'icelle jusqu'à terre; et deux ou trois fois s'efforcerent de venir à l'assaut, mais furent toujours repoussés vivement, et y perdirent plusieurs de leurs gens. Et, voyant qu'ils n'y pouvoient rien faire, le 30 dudict mois, ils menerent lesdictes pieces à la (fondre?); et de là, dernier dudict mois, jour de dimanche, de bon matin, ledict sieur de Pompadour leva le siege, bien honteux de n'avoir pu rien faire de ce qu'il avoit proposé. Mais

Ce que l'homme propose en son entendement,
L'Éternel en dispose en soi tout a trement.

Il avoit délibéré, étant stimulé par les traîtres de leur patrie susnommés en la prise d'icelle par le sieur de Rastignac. Y étoient aussi audict siege, et contre la pauvre ville, outre les susnommés, ledict sieur Delafon, lieutenant de ladicte ville, accusé aussi de la trahison, François Mazeau, fisl'd'Yrieix Mazeau, chantre de ladicte ville, Yrieix Lavaud, Pierre Gondinet, Noël Gondinet dit Pâtissier, gendre dudict Lavaud, Loys Personne et beaucoup d'autres portant les armes.

DISCOURS

Contenant les choses les plus remarcables qui se sont passées en la ville de Lymoges lors de l'entrée faicle en icelle par le roy tres-chrétien Henry quatriesme, roy de France et de Navarre, seigneur vicomte de Lymoges, le vingt-deuxiesme octobre l'an mil six centz cinq.

PREFACE DE L'auteur.

La ville de Lymoges se peut vanter d'estre la plus ancienne ville de la Gaule Celticque, qui comprenoit aussi la Guienne. On pourra voir tout au commencement des cronicques.... comme tous les curieux inquisiteurs demeurerent d'accord, et du temps de la fondation de Lymoges, et du nom de son fondateur, qui fut un prince phrigien nommé Lemovix (1), homme belliqueux et magnanime au possible, mais avec cela débonnaire, clément et amateur de justice, ne permettant que les loix fussent foulées par la violence des armes; orné de toutes les belles qualités qui peuvent rendre un homme recommandable en l'un et l'autre temps. Laquelle ville de Lymoges, bastie par un fondateur tant renommé, mémorable par son anticquité, annoblie par tant de ducz et vicomtes, espurée par la prédication du premier apostre des Gaules, St Martial; (2) et laditte ville grandement louable pour sa fidélité aux roys de France, receut de nouveau bonheur en l'acheminement de son roy et segneur souverain HENRY quatriesme avec tant d'allégresse qu'il seroit impossible de particulariser le contantement qu'un chascun en avoit. Le pays de Lymousin est tenu pour être septemtrional, froid et suject extrêmement aux glaces: si est pourtant que les volontés des habitants ne furent jamais plus eschauffées au service du roy qu'ils estoient lors de son arrivée. Ce peuple est tropt estroictement lié à l'amour de son prince pour en concevoir quelque sinistre opinion. Rien n'est bastant pour saper ny escrouler la forteresse de son cœur, cimentée de la propre main du devoir et de

(1) L'auteur le croyoit bonnement, ainsi que la plupart de ses contemporains; mais il ne faut раз adopter cette étymologie, ni tous ses accessoires sans examen.

(2) Ce qui suit est la vérité même.

:

l'obéissance il n'y avoit point de glaçons qui requissent la lumiere et chaleur de ce soleilh de la France; mais Lymoges estoit sont zodiacque pour estre plus méridional à ceux qui commençoyent, par leurs froides volontés, à concevoir des Titans imparfaictz pour attanter d'escheller ce grand ciel de l'Estat. Ce fut une nouvelle qui estonna du commencement les habitans de Lymoges d'entendre que le roy estoit résolu de s'y acheminer; non pour crainte d'avoir manque de fidélité, mais de peur qu'ils avoyent de fallir, recevans Sa Magesté moins convenablement qu· sa grandeur royalle le requeroit.

Monsieur le duc d'Espernon, colomnel de la France, et gouverneur pour Sa Magesté en Lymousin, ayant reçu l'ordre de ses commandementz, bailla advis aux consuls de Lymoges que le roy estoit en volonté d'y venir. Ces nouvelles venant de sa part eschaufferent chascun à se disposer de recevoir le roy en toute magnificence. Ceste premiere ardeur fut attiédie tôt apres par un contre-advis qui courut que la publication de ce voyage n'estoit qu'un advertissement à ceux qui, déclinans de leur devoir, entreprenoyent de suivre des lignes qui s'en alloient les conduire dans un discours et un desdalle de désobéyssance; mais cette mesme vérité de la venue du roy, portée de bouche par le sieur viconte de Chasteauneuf, lieutenant pour Sa Magesté au mesme gouvernement, on commença à tenir pour asseuré cest acheminement. Les consuls, sur lesquels venoyt à tomber la charge de ceste récep– tion, mettent peine à dresser l'appareilh de ceste antrée, font eslection d'un colomnel, de capitaynes des quartiers, enjoignent à un chascun de se tenir prest pour une si belle action, mesnageant si bien deux ou trois sepmaynes qu'il leur restoit de temps, traversées encores de beaucoup d'incertitudes de cest acheminement, que toutes choses se trouverent prestes au jour de l'arrivée de Sa Magesté, si elle heust voulu permettre la cérémonie ce mesme jour; mais les consuls, qui estoyent messieurs maîtres Jehan Martin, procureur au siége présidial et banquier, Antoyne Barny, conseiller audit siége, Martial Martin, sieur des Monts, Grégoire Decordes, sieur du Haut-Ligoure, Jean Vidaud, Pierre Duboys, ayantz envoyé leurs députtés à la Maison-Rouge (1) le vendredi 14° d'octobre, pour offrir au roy, qui y estoit arrivé ce matin, les humbles affections, les cœurs et volontés des habitants de la ville, il leur fit response qu'il avoit aggréable ce témoignage de leur fidélité qu'il apprenoit de Lymoges; mais qu'il ne la verroit que comme vicomte durant trois ou quatre jours, et puis apres comme roy. Sa Magesté sçavoit que les consuls supportoyent impatiemment les manquementz qu'une précipitation apportoit à leur desseins, et leur voulut donner encores ce loysir. Cela fut cause que Sa Magesté entra ce soir dans la ville sans aucune cérémonie, que d'un cry d'allégresse de Vive le Roy, porté jusques au ciel par un meslange de voix de 30,000 personnes (2) pleynes d'allégresse de voir le prince, qui fut logé en la maison du Breilh (3), dressée et préparée à ceste fin au mieux qu'il fut possible.

Sa Magesté ayant séjourné six jours dans la ville, qui furent pour la pluspart fort pluvieux, print résolution de faire son entrée solemne le jeudi 20o dudict moys; et, pour cest effect, sortit le matin de la ville, et s'en alla disner à Montjauvy, lieu et

(1) Sur la route de Poitiers.

(2) Parmi lesquelles il y avoit sans doute un grand nombre d'étrangers, que la curiosité pouvoit avoir attirés; car il n'est pas vraisemblable que la population de Limoges fût alors aussi considérable.

(3) Cette maison occupoit une partie du local sur lequel est aujourd'hui bâtie l'intendance.

maison de sire Jehan Mercier, distante des fauxbourgs d'environ 4 ou 500 pas. Les troupes des compagnies de la ville qui passoyent au devant de son logis pour se randre au lieu assigné affin de se disposer à l'ordre de l'entrée, interrompirent son disner. Le roy les voulut voir, et commanda qu'au retour on les fit repasser au devant du théâtre. Ce théâtre estoit dressé en la maison susdicte dudict Jehan Mercier, à costé du grand pavé qui est entre les fauxbourgs de Montmailher et Montjauvy: il estoit relevé de 9 ou 10 piedz, et en pouvoit avoir 100 ou 120 en quarré. On y avoit accomodé deux escaliers opposites, l'un pour monter à l'arrivée, l'autre pour descendre au retour. Ce théâtre estoit environné de barrieres, tandu et pavé de tapisseries de tous costés. Sur le milieu estoit la chere de Sa Magesté, relevée de quatre degrés, couverte de veloux violet, avec un dais de mesme parure par le dessus, semé de fleurs de lis d'or avec plusieurs enrichissementz de broderie, pour recevoir les honneurs et entendre les vœux et les prieres de tous les ordres de la ville. Le roy, quelque temps apres son disner, accompagné des princes du sang, mareschaux de France, chevaliers de l'ordre, garde des sceaux, secrétaires d'Estat, et autres officiers de la couronne, se randit sur le théâtre, duquel il descouvrit peu de tems apres, à 4 ou 500 pas, une procession de toutes les églizes, excepté St-Etienne et St-Martial; laquelle procession, tant des paroisses, abbayes, couventz, religieux mandiantz et autres ecclésiastiques, jusques au nombre de 300, avec les croix de chaque églize. Sa Magesté s'avança jusques sur la barriere du théâtre pour les voir passer de plus pres au devant d'iceluy.

On remarqua, au doux maintien du roy, que les chantz d'allégresse spirituelle, poussés par tant d'ecclésiastiques d'une violante ferveur jusques au ciel pour sa prospérité, luy estoyent merveilleusement agréables. On le vit tout rampli d'un sacré zele, qui l'eslevoit à contampler l'humble modestie de ces dévotz religieux, lesquels faisoyent l'ouverture de ceste cérémonie.

Peu de temps apres parurent les troupes de la ville, divisées en neuf compagnies, conduites soubs autant d'enseignes différentes, qui pouvoyent faire en tout 1,500 hommes, tous choysis d'aage capable pour exéquter quelque exploict honorable. Chasque compagnie avoit ses drappeaux et livrées toutes diverses les unes des autres, et estoyent tous gentilhement accoutrés, armés de morions dorés et gravés; les autres ayantz la tocque de veloux rouge cramoyzi ou d'escarlatte, la grecque de mesmes, le pourpoinct de sattin blanc, et le bas de soye; les autres vestus des couleurs du roy, tous richement armés, marchant cinq à cinq, avec siffletz et tambours en bon nombre. A la teste de toutes ces compagnies estoit M' Jehan Douhet, esleu, sieur du Puymoulinier et de St-Pardoux, leur colomnel, couvert d'un habit de broccatelle, enrichy d'excellentes broderies, lequel arrivant au théâtre, et s'estant prosterné au devant de Sa Magesté, luy dict:

« Sire, ceste trouppe de capitaines, qui commandent à toutes ces forces, soubz l'authorité de vostre Magesté, ne pouvoit attandre plus grand contantement en ce monde qu'en la venue d'icelle pour la supplier tres-humblement prendre d'eux toute asseurance de leur inviolable fidélité, et croire qu'ils veulent vivre et mourir soubz vostre obéyssance, comme vos naturels subjectz, tres-humblement et tres-obéyssantz serviteurs »>.

Le roy tesmoigna par sa response avoir pour aggréable ceste humble submission, et se remit sur la barriere pour voir passer les troupes de la ville, faisant jugement de la valeur d'un chascun selon leur port et desmarche, disant par foys qu'ils avoyent tous façon de bons soldatz.

Ceste infanterie passée, se montrerent 50 jeunes hommes de l'aage de 18 a 20 ans, enfans des principalles maisons de la ville, conduictz par leur capitaine et guidon, superbement habilhés, et d'une mesme parure, ayantz tous les manteaux d'escarlatte, couvertz de clincantz et doublés de veloux à plein fonds, avec chascun deux lacquais, parés de leurs livrées; et, outre la gentilhesse de leurs accoustrementz, dont la valeur estoit grande, n'y avoit un seul qui ne fust monté sur un cheval d'Hespaigne, ou d'autre cheval de grande valeur, caperassonné, le chanfrain fourny de pennaches, ayant au devant d'eux une bande de trompettes et clairons, qui fanfaroyent coutinuellement, et sembloyent doubler le courage et des cavaliers et de leurs coursiers. Le roy print plaisir de les voir voltiger dans ceste belle plaine qui venoit se joindre au théâtre, sur lequel le sieur de Compreignac (1), ayant faict une humble inclination aux piedz de Sa Magesté, luy harangua pour toute sa troupe en ceste sorte:

« Sire, vostre Magesté arrivant en ceste province, et avec elle tout bonheur et prospérité, comme un astre bening, porte avec soy des favorables influances. Ceste jeunesse unie et assemblée en corps et en courage vous vient dévotieusement offrir la volonté qu'elle ha de vous honnorer et servir; bien que l'effect ne puisse aucunement approcher du mérite du plus grand, plus victorieux et plus puissant monarche de la terre, néantmoins vostre Mages té recevra en gré (puisque nous ne cherchons autre heur en ce monde qu'en vostre service, ny d'honneur qu'en nostre obéyssance) que nous nous prosternions à vos piedz, et y randions l'hommage deu à nostre prince naturel et souverain, vous consacrans nos vies, nos fortunes, nos volontés, pour demeurer à jamais vos tres-humbles, tres-obéyssantz et fidelles serviteurs et subjectz. »

Sa Magesté vit de bon œilh le généreux maintien de ceste brave jeunesse, et s'enquit du nom des maisons et familhes de la pluspart, et de leur qualité, disant à ceux qui estoyent pres de sa personne qu'il n'avait jamais creu Lymoges estre ce qu'il l'estimoit à présent; et leur respondit: Je croie vos volontés de pareilhe affection que vous me les offrez, et le vous tesmougneray lorsque vous m'en requerrez.

Après ceux-là, marcha le vice-sénéchal, avec ses lieutenans, greffier, archers, portans leurs hocquetons de livrée, montés sur leurs chevaux de service, et armés à leur accoustumée. Venoit par apres l'ordre de la justice, avec une modestie humainement grave et fort convenable à gens de ceste profession: ceste compagnie estoit composée des plus anciens et fameux advocats et procureurs apres lesquels estoyent les huissiers du siege présidial, lieutenants civil et criminel, et premiers conseillers, advocats et procureurs du roy, et greffiers venoyent apres, ayans encores à leur suitte douze sergentz pour empescher la presse et le désordre; tous lesdits officiers montés sur hacquenées couvertes de housses trainantz en terre, avec les houppes et franges de soye, eux vêtus de leurs longues robes, soutanes de sattin et damas, avec leurs bonnetz et chapperons; les président et lieutenant-général avoyent des robes d'escarlatte rouge.

Comme le roy les eut descouvertz d'assez loing, il dict: Voyci les officiers de ma justice faictes retirer ce peuple de l'arrivée du théâtre, qu'ils puissent monter; et à mesme temps alla s'assoir en son siege royal, ayant veu et entendu tous les autres à la barriere. Le sieur président Martin (l'homme qui avoit le

(1) Martial Benoist, seigneur de Compreignac et du Mas-de-l'Age, mort en 1623, ou peut-être Pierre Benoist, son fils et son héritier, qui mourut quatre ans après le père.

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