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non un prince de l'Eglise les vêtements des prélats différaient alors de ceux des simples prêtres, même lorsqu'ils disaient la messe, par l'orfroi, le pallium et l'orarium.

La double croix est en creux, d'un autre caractère, faite après coup et pour justifier la tradition.

Enfin personne ne croira qu'un des plus hauts dignitaires de l'Eglise, celui qui réunissait sur sa personne les titres éminents de cardinal, patriarche et archevêque, ait trouvé sa sépulture sous un relief aussi grossier. « Or ce relief, dit M. Texier, même lorsqu'il » était neuf, était d'une exécution très-grossière, et on ne compren» drait pas une translation ayant pour but de remplacer un magni» fique tombeau de marbre par un relief dû à un ciseau maladroit. » Enfin M. Texier pense que la tombe de Biennat recouvrait probablement les restes d'un chapelain chargé de servir les fondations du cardinal de Cramaud.

Telles étaient, Messieurs, les principales raisons fournies pour ou contre dans cet état de la question il eût été, on le comprend, difficile, sinon téméraire, de nous prononcer.

Il faut bien le dire, quelques-unes des raisons produites de part et d'autre étaient de nature à frapper vivement l'esprit.

Votre commission devait donc, Messieurs, pour arriver à la vérité, se dégager des affirmations et des dénégations passionnées en quelque sorte produites pour l'une ou l'autre hypothèse, remonter aux sources, voir par ses propres yeux, interroger la tradition orale, peser la force et la valeur de la tradition écrite, et alors, mais seulement alors, donner un avis qui, sans avoir la prétention infaillible et sans appel, aura du moins quelque autorité.

Voici, en conséquence, sur quels points votre commission a cru nécessaire de porter plus particulièrement ses études et ses recherches:

1° S'assurer de la force et de l'étendue de la tradition orale par des questions adressées sur place aux anciens du pays et aux hommes compétents;

20 Étudier Beaumesnil, première source de la tradition écrite; rechercher si la tradition orale lui est antérieure, s'il est vrai qu'un cercueil en plomb ait été trouvé sous la pierre de Biennat;

3. S'assurer si Nadaud a gardé le silence sur cette tradition; 4o Prendre des informations, à Poitiers, auprès du secrétaire de la Société Archéologique, sur le point de savoir la date de la destruction du tombeau du cardinal; si ses restes furent profanés; comment et par qui ils auraient été recueillis; s'il reste enfin

quelque trace de ce tombeau ou de la translation des restes mortels du cardinal;

5o Rechercher si quelque membre de la famille de Cramaud a été revêtu des hautes dignités ecclésiastiques;

6° S'assurer si la chapelle qu'on remarquait autrefois dans le cimetière de Biennat était uniquement destinée aux sépultures de la famille de Cramaud; si la tombe en question était placée dans l'ancienne chapelle; si elle est encore au milieu des ruines de celle-ci ;

7 Étudier la pierre tumulaire de Biennat, en déterminer l'âge; chercher ce que représentent les sculptures, la signification des insignes et ornements sacerdotaux ; s'assurer si la double croix a été posée après coup;

8 Rechercher s'il n'existe pas quelque analogie entre la croix sculptée sur la pierre et la croix qui surmonte les armes remarquées sur l'écu de la famille Cramaud;

9 Examiner avec soin le fanal octogone qui touchait à la chapelle pour s'assurer s'il renferme quelques sculptures ou quelques inscriptions (1). »>

La commission a strictement suivi ce questionnaire, et, après avoir scrupuleusement examiné d'abord les documents archéologiques, elle a écarté ce genre de preuves comme entièrement inadmissibles. Ainsi :

La pierre tumulaire désignée comme ayant recouvert le cercueil du cardinal a été extraite de la chapelle de St-Antoine appartenant à la famille de Graine: Nadaud ne laisse aucun doute à cet égard, et l'on ne peut supposer que Simon de Cramaud ait pu être inhumé dans les caveaux d'une sépulture étrangère, alors qu'une chapelle spéciale était affectée dès le x siècle à celle de la famille.

De plus cette pierre ne porte aucun des caractères de la sculpture du xve siècle; on n'y retrouve aucune trace d'armoiries : le dessin d'un prêtre figuré par le ciseau grossier d'un artiste ne saurait représenter un cardinal; les inductions tirées de la double croix, en admettant même qu'elle n'eût pas été sculptée pour les besoins de la cause, sont aujourd'hui de nulle valeur, puisqu'il est parfaitement établi que cet attribut se retrouve sur des tombes de simples cha

noines.

Les monuments écrits sont unanimes à constater que le tombeau de Simon de Cramaud avait été élevé dans le chœur de la cathé-

(4) Rapport de M. Thévenin.

drale de Poitiers, où l'on voit encore, derrière les stalles déplacées depuis, l'inscription funéraire que lui avait faite le Chapitre.

Ce tombeau, décrit, entre autres, par M. l'abbé Aubert, dans le VII volume des Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, fut détruit en 4562, et les cendres du cardinal dispersées avec celles de plusieurs autres évêques qui reposaient non loin de lui. — Le procès-verbal authentique dressé par le corps capitulaire pour constater les détails du pillage de l'église ne laisse aucune place à la supposition qu'une main pieuse pût sauver quelques débris de cette sacrilége profanation. L'emprunt fait à ce sujet par Allon au douteux Beaumesnil avait déjà naguère provoqué les études minutieuses de la Société des Antiquaires de l'Ouest, qui, comme votre commission, Messieurs, avait conclu à l'impossibilité d'une translation.

En présence de ces preuves, en présence du témoignage de tous les auteurs sérieux, il ne restait plus à votre commission que de rechercher l'origine de la tradition sur laquelle s'appuient uniquement les défenseurs de l'opinion émise par l'abbé Duléry.

Ici, Messieurs, nous l'avouons, il nous est impossible de formuler une opinion; et, bien que la plupart s'accordent à reconnaître que Beaumesnil pourrait bien en être le parrain, il semble à d'autres que l'opinion émise, il y a un siècle à peine, par un écrivain isolé, de à une époque où la transmission de la pensée avait encore peu moyens de se reproduire; il semble, disons-nous, qu'elle doit reposer sur quelque incident plus ancien et sur quelques confusions provenant de la désignation qu'on voulait faire de la sépulture de la famille de Cramaud

Ce point, Messieurs, peu important est réservé à vos discussions; mais, quant à la question principale :

et la Le cardinal de Cramaud a-t-il été inhumé à Biennat, pierre qu'on désigne dans le pays pour avoir recouvert son cercueil a-t-elle eu cette destination?

Votre commission n'hésite pas à émettre l'avis que rien ne peut infirmer le fait historique de l'inhumation du cardinal dans la cathédrale de Poitiers, de la dispersion de ses restes lors du sac de l'église en 1552;

Et que, quant à la pierre du cimetière de Biennat, il est utile de la dépouiller du prestige que lui a donné une erreur historique trop imprudemment accréditée, pour ne lui laisser dorénavant d'autre célébrité que celle d'avoir peut-être trop long-temps occupé votre savante attention.

G. DE BURDIN.

Nous empruntons aux Annales Archéologiques de M. Didron l'extrait suivant d'un article de notre savant collègue M. l'abbé Texier, article qui a pour titre De l'Orfévrerie au XIIe siècle, et dans lequel il décrit deux reliquaires de cette époque :

La première de ces œuvres renferme une parcelle de la vraie croix, et cependant elle représente saint Etienne de Muret. Si vous ne connaissez pas en détail l'histoire du Limousin, c'est en vain que vous tenteriez d'expliquer cette bizarrerie apparente. Elle cache une intention ingénieuse, un sens profond, que quelques mots vont mettre dans tout leur jour.

>> Saint Etienne de Muret est une des plus grandes figures de l'ordre monastique. I renonça au pouvoir que lui assurait sa naissance illustre; il rechercha une solitude affreuse pour y vivre sur un rocher sans abri. Son armure de baron n'était plus qu'un instrument tourné contre lui-même au profit de la mortification. Par humilité, il ne voulut jamais se laisser ordonner prêtre, et il demeura diacre jusqu'à sa mort. Il est probable aussi que, par dévotion pour saint Etienne, premier martyr, il voulut rester diacre toute sa vie. Et cependant on peut dire que dès ce monde il obtint la récompense de vertus qui n'aspiraient qu'au ciel.

» Ses larmes fertilisèrent le désert le plus aride. Il donna, malgré lui, naissance à un ordre nouveau de moines à la fois agriculteurs, savants et artistes. Les rois recherchèrent son amitié. L'impératrice Mathilde, femme de l'empereur Henri V, lui offrit une dalmatique de soie, précieusement conservée jusqu'à nos jours. Long-temps après la mort du saint, Amaury, roi de Jérusalem, en souvenir de ses vertus, léguait à son ordre un reliquaire byzantin contenant une partie considérable de la vraie croix. Déjà Constantinople avait doté Grandmont de riches étoffes orientales.

» L'artiste du moyen-âge a su rappeler en même temps :

» 4° Que saint Etienne de Muret était diacre; 2° que les empereurs lui avaient offert des ornements sacrés; 3° que le reliquaire de la vraie croix envoyé à Grandmont était un hommage à la mémoire du Saint déjà décédé; 4° que la parcelle du bois sacré renfermée dans ce petit reliquaire avait été détachée de la croix d'Amaury;

50 que la croix du Sauveur, selon tous les liturgistes, en vertu d'une grâce particulière, a le pouvoir de mettre en fuite et de vaincre les démons. Le souvenir de tous ces faits inspira le ciseleur auquel nous devons ce reliquaire: on ne saurait trouver une œuvre composée avec plus d'esprit et d'intelligence.

» Revêtu de ses ornements de diacre, saint Etienne de Muret porte respectueusement sur un coussin et offre à la vénération publique le reliquaire donné à Grandmont par le roi Amaury. C'est bien là ce reliquaire tel que nous le montrent les inventaires et une vieille gravure il est carré, uni, bordé de pierreries, avec une croix à double traverse que rien ne séparait de l'œil et des lèvres des fidèles. Malgré la réduction, cette petite copie conserve les proportions du reliquaire original. Et, pour lui faire un digne accueil, le saint austère a pris ses plus beaux ornements. Les franges de pierreries, le réseau losangé semé de croissants de la dalmatique, rappellent que, arabe par le tissu, byzantine par la richesse, elle est un don de Constantinople. En vain rampent sur le pied l'aspic et le basilic; en vain une légion de petits serpents élève à l'entour ses têtes menaçantes ou accablées. Le Saint, armé du dépôt sacré, dédaigne leurs impuissantes menaces. Encore un moment, et ce cercle va les écraser de son poids. Après cette vue générale, nous noterons les détails la large tonsure ou couronne sur la tête; l'amict trèsabaissé et qui dégage entièrement le cou; la dalmatique fermée aux manches et au corps; l'étole longue et droite, entre l'aube et la dalmatique; les sandales richement brodées; les quatre-feuilles du coussin; les ornements gravés sur la base et la chaussure; le fruit à côtes semées de turquoises, et alternant avec des losanges où sont inscrites de minces fleurs de lis. On remarquera la grâce des enrou-lements d'or qui s'épanouissent sur le fond, qui est en émail bleu. Ce reliquaire, dont nos orfèvres modernes devraient si bien s'inspirer, appartient aujourd'hui à la paroisse des Billanges, voisine de l'abbaye de Grandmont. »>

Dans la réunion générale administrative du 1er décembre 1853, tenue sous la présidence de M. DE CAUMONT, l'Institut des provinces a nommé membre titulaire M. ALLUAUD, président de la Société Archéologique du Limousin. (Bullet. Monum., T. XIX, p. 663.)

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