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le tumulte de la foule, qui se pressait de toutes parts, forcèrent les deux adversaires d'interrompre la discussion. Le soir, quand on eut rapporté les reliques de saint Martial dans la basilique du Sauveur, après qu'on eut chanté, dans l'église du Sépulcre, les vêpres des apôtres, Adémar, apercevant Benoît au milieu de la foule, l'appela au parloir du monastère, où la discussion recommença.

Le matin, le prieur de Cluse avait affirmé que cette opinion de l'apostolat était une invention nouvelle, et il avait défié son adversaire de lui montrer ce titre d'apôtre donné à saint Martial dans des livres anciens. Pour le convaincre, le moine Aimeric porta un très-vieux volume de la Vie de saint Martial apôtre (1) c'était la légende attribuée à Aurélien. Benoît prétendit que cette vie était apocryphe; qu'elle n'avait été composée que depuis un siècle par quelque moine ami du mensonge; que l'ancienne Vie de saint Martial, qu'on avait perdue dans un incendie du monastère, disait tout simplement que saint Martial, converti à la prédication de saint Pierre, avait été envoyé par lui à Limoges. « Cependant, ajouta-t-il, comme ce livre est ancien, il a plus d'autorité que s'il était nouveau car les anciennes autorités, quoique mensongères, ont plus de poids à nos yeux, que les récentes, quoique vraies (2) ». Adémar lui répondit que, long-temps avant l'incendie du monastère de Saint-Martial, avant même l'établissement du monachisme dans cette église (848), cette Vie était répandue dans toutes les provinces des Gaules, des Espagnes, de la Bretagne et de l'Italie, et qu'il croyait à cette Vie comme aux quatre Evangiles (3).

Le moine Aimeric entra de nouveau, portant un vieux bréviaire

Nam nescio præter duodecim apostolos ». Petrus monachus illico apertum nobis protulit Evangelium in medio, ubi legebatur: Designavit Dominus et alios septuaginta duos, subauditur apostolos, et ille mox confusus siluit. (Patrolog., T. CXLI, col. 93.)

(1) Itaque nobis loquentibus Aimiricus monachus obtulit ei veterrimum volumen de Vita sancti Martialis apostoli... ( Patrolog., T. CXLI, col 94.)

(2) Tamen hic liber, quia vetustus est, majoris est auctoritatis quam si esset novus nam veteres auctoritates, etiamsi falsæ sint, plus creduntur a nobis quam novæ, licet veraces. ( Patrolog., T. CXLI, col. 95.)

(3) Non sunt nisi centum sexaginta anni ex quo monasticus ordo in hoc loco transmutatus est de canonico, et hæc Vita, eodem modo quo hic legitur, per omnes Galliarum et Hispaniarum atque Britanniæ, necnon Italiæ est provincias. . Nam hanc vitam et Patres nostri catholici in veritate receperunt, et ego sicut sancta quatuor Evangelia ita eam credo firmiter. .. ( Patrolog, T. CXLI, col. 96.)

de Saint-Pierre-du-Sépulcre, et il montra à Benoît un répons d'une écriture très-ancienne : « Il est illustre Martial, l'APÔTRE de la Gaule, qui a fondé son Eglise de telle sorte que, après avoir enduré beaucoup de fatigues, toutefois, mourant en paix, il laisse son Eglise en paix ». « Ce répons est ancien, dit Benoit, et celui qui l'a composé était savant ». On montra encore au prieur de Cluse, dans le même volume, une vieille séquence écrite en caractères trèsanciens « Les habitants du ciel regardent saint Martial comme leur collègue, et toute l'Aquitaine l'honore comme son apôtre (1). Benoit de Cluse, réduit au silence, partit le lendemain pour Bussière-Badil en Périgord, où, en présence de quelques moines de Bussière et de Brantôme, il se vanta d'avoir fermé la bouche au savant Adémar.

Un moine de Ravenne, nommé Bernard, qui avait accompagné le prieur de Cluse à Bussière, eut avec Adémar, à Angoulême, une discussion sur le même sujet. Il prétendait, sur l'autorité de Benoît, que la légende de saint Martial n'avait été composée que depuis un siècle : Adémar lui en prouva l'antiquité par les vieilles peintures murales de l'église de Saint-Sauveur, qui reproduisaient les principaux traits de cette légende. Un autre moine de Saint-Jeand'Angely, nommé Salgion, ayant dit que les évêques et les abbés de son pays s'inquiétaient, et voulaient écrire au pape pour qu'il défendit de donner ce titre d'apôtre à saint Martial, Adémar, dont le zèle fougueux allait quelquefois au-delà des bornes, répondit qu'il valait mieux obéir à Dieu qu'au pape romain. Il lui cita ce passage d'un martyrologe: Natalice de Martial, qui a été ordonné par les saints apótres (2). Adémar termine sa lettre par cette parole

(1) Aimiricus item ad nos iterum intrat cum Breviario vetusto Sepulcri, et ostendit ei veterrima scriptura quoddam responsorium in eodem positum : Gloriosus est Martialis apostolus Galliæ, qui ita plantavit Ecclesiam, ut, cum ipse multa pertulerit, in pace tamen deficiens, hanc in pace dimiserit. Ad hæc ille: « Et hoc antiquum est non novum, et qui hunc dictatum composuit sapiens fuit ». Item ostendimus ei annosum rhytmum sequentialem in eodem volumine veteribus litteris factum Cives cælicolæ ut collegam, omnis suum uti apostolum Aquitania. (Patrolog., T. CXLI, col. 96, 97.)

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(2) Nam et quod legitur in quibusdam Annalibus: Natalis Martialis, qui ab apostolis ordinatus est........ ( Patrolog.. T CXLI, col. 110.) Noël Alexandre a cité en faveur de la mission de saint Martial au premier siècle un vieux martyrologe de Corbie, conçu dans les mêmes termes : « Pridie calendas julii: Lemovicis, S. Martialis episcopi, qui Romæ a beatis Apostolis ordinatus, primus illius urbis destinatus est episcopus, ubi multis clarus virtutibus, quievit in pace ». (In Hist. Eccles, sæc. 1, dissert. XVI, T. III, p. 464.)

digne de Tacite: « En ce temps, la flatterie fait des amis, et la vérité enfante la haine : Et hoc tempore, obsequium amicos, veritas odium parit ». (Patrolog., T. CXLI, col. 412.)

Nous n'avons pas analysé cette lettre d'Adémar nous en avons seulement détaché ces divers passages pour prouver que, au commencement du XIe siècle, la légende de saint Martial attribuée à Aurélien se lisait dans de très-vieux manuscrits, et qu'on trouvait, dans d'anciens livres liturgiques, ce titre d'apôtre donné au premier évêque de Limoges. Cela montre suffisamment la fausseté de cette assertion de Descordes, que la légende de saint Martial et l'opinion de l'apostolat ne dataient que du xe siècle.

Lettre du pape Jean XIX (1031).

Cependant, afin d'avoir sur cette question une décision irréfragable, on avait écrit à Rome. Dès l'année 1024, avant d'être converti à la doctrine de l'apostolat, l'évêque Jourdain avait adressé au pape Benoît VIII une lettre pour l'engager à ne pas mettre saint Martial au rang des apôtres. Cette lettre, que le chanoine Descordes avait trouvée au folio 39 d'un cartulaire de la cathédrale de Limoges (1), et dont il inséra une partie dans sa dissertation, a été publiée intégralement par Denys de Sainte-Marthe dans le Gallia christiana (T. II, append., p. 461). Jourdain, tout en admettant les faits traditionnels rapportés dans la légende d'Aurélien, que saint Martial était du nombre des soixante-douze disciples, qu'il avait été choisi pour collaborateur par saint Pierre, qu'il avait assisté à la cène, qu'il avait été envoyé par saint Pierre avec deux prêtres, Alpinien et Austriclinien, pour prêcher dans les Gaules, etc., Jourdain ne voulait pas qu'on otât à saint Martial le titre de confesseur, qu'on lui avait, disait-il, toujours donné dans son église, et il conjurait le pape d'être assez ferme pour ne pas lui substituer le titre d'apôtre (2). Il changea d'opinion, comme nous l'avons vu, au premier concile de Limoges. On fit sans doute de nouvelles instances auprès du successeur de Benoît XII. Le pape Jean XIX, l'an 1031, adressa à Jourdain et aux autres évêques des Gaules une lettre sur l'apostolat de saint Martial. Il admet, lui aussi, les faits traditionnels consignés dans la légende d'Aurélien, que saint

(1) Dissert., apud BONAVENT., T. I, p. 235.

(2) Patrolog., T. CXLI, col. 4458.

Martial avait été baptisé par saint Pierre, qu'il avait assisté à la cène et au lavement des pieds, etc.; il prouve, par quelques passages de l'Evangile, qu'il y a des apôtres en dehors des douze, et il dit que, le mot d'apôtre voulant dire envoyé, celui qui est envoyé de Dieu pour prêcher la foi peut, à juste titre, recevoir le titre d'apôtre. Cette lettre se termine ainsi : « Pour nous, étant affermis sur la pierre inébranlable, et étant consultés sur ce point, si saint Martial est compté parmi les confesseurs ou parmi les apôtres par Jésus-Christ le fils de Dieu, auquel il a été personnellement attaché, dont il a vu la gloire, et reçu les bénédictions: nons définissons qu'on peut l'appeler apôtre; et nous pensons également qu'on peut, dans les divins mystères, en faire l'office comme d'un apôtre. Et, afin de rendre son culte plus célèbre dans tout le monde chrétien, nous avons érigé en son honneur, dans la basilique de Saint-Pierre, à Rome, un très-bel autel (1), dont nous avons fait la dédicace le III des ides de mai, et où la mémoire de ce saint est révérée tous les jours avec beaucoup de dévotion, mais principalement le jour de sa fête, la veille des calendes de juillet (2) ».

Conciles de Bourges et de Limoges (1031).

Dès que Rome avait parlé, la cause était finie. Cependant il fallait promulguer ce décret du souverain pontife. Aymon, archevêque de

(1) Dans l'église de Saint-Pierre de Rome, on voyait, du temps du pape Alexandre III (1159–1181) un ancien autel de saint Martial, qu'on regardait comme disciple de saint Pierre (Acta SS, T. VI junii, p. 40). Il était derrière le chœur des chanoines (ibid., p. 84), autel très-ancien et en grande vénération. Paul de Angelis l'attribuait au cardinal Néapoléon, l'an 1288: mais il ne pouvait en être le premier fondateur, puisqu'on a un témoignage antérieur de plus d'un siècle (ibid., p. 400) : (NADAUD, MSS.). Cet autel devait être celui qu'avait érigé le pape Jean XIX, l'an 1031.

(2) Nos vero, in firma petra ædificati, hunc de quo loquimur Martialem, utrum inter confessores, an inter apostolos, Jesus Christus Dei filius, cui corporaliter adhæsit, et cujus gloriam vidit, et benedictione est usus, annumeret : apostolum nominari posse definimus, et æque apostolica officia in divinis mysteriis exhiberi sibi censemus.... Ut autem reverentia et celebritas tanti apostoli in toto terrarum orbe excelsius recolatur, ædificatum et dedicatum est a nobis in ejus honorem pulcherrimum altare in basilica Sancti Petri apostoli Romæ, ad meridianam templi partem, III idus maii, ubi quotidie ipsius sancti memoria devotissime veneratur, et præcipue in die natalitii ejus, quod est pridie kalendas julias, quotannis dulcius recolitur. (LABBE, T. IX, col. 856; — HARDOUIN, Concil., T. VI, Pars I, col. 838; — MANSI, Concil., T. XIX, p. 417; Patrolog, T. CXLI, col. 1149.)

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Bourges, assembla dans sa cathédrale un concile provincial au mois de novembre 1031. Le concile rédigea vingt-cinq canons, dont le premier concerne l'apostolat de saint Martial: « Nous ordonnons que, dans toutes les églises de nos diocèses respectifs, le nom et la mémoire de saint Martial, docteur de l'Aquitaine, soient placés, non plus parmi les confesseurs, comme la coutume en avait été introduite parmi nous par la négligence de quelques-uns, mais parmi les apôtres, selon qu'il a été défini par le Saint-Siége de Rome, et plusieurs anciens Pères, selon la vérité du Saint-Esprit. Et qu'ainsi, dans ce rang élevé, où il a été placé par le Roi des siècles, ce grand ami de Dieu soit confirmé par l'Eglise unanimement et à perpétuité, afin que, par son intercession, l'Eglise catholique fasse des progrès dans la religion sainte, et, jouissant de la prospérité désirée, se repose dans une paix profonde et inaltérable (1) D.

Quinze jours après, cette même année 1031, un semblable décret fut rendu, d'une manière encore plus solennelle, dans le second concile qui se tint dans la cathédrale de Limoges, et où se trouvaient dix évêques. Les actes de ce concile, qui nous ont été conservés, nous prouvent que les prélats et les vénérables abbés qui le composaient avaient fait sur cette question de l'apostolat de saint Martial des recherches laborieuses dans les plus anciens manuscrits, et qu'ils avaient consulté les traditions des pays les plus éloignés.

Azenère, abbé de Massay en Berry, disait : « Jamais, dans nos monastères de France, je n'ai vu mettre saint Martial à un autre rang qu'à celui des apôtres.... Avant de prendre l'habit de moine, lorsque je me rendais à Jérusalem, me trouvant à Constantinople, dans la basilique de Sainte-Sophie, la veille de la Pentecôte j'assistai à un olice solennel, et je me souviens d'avoir entendu les Grecs, dans leurs litanies, nommer saint Martial, après les douze, dans la série des apôtres (2). »

(1) In primis, ut, per omnes suarum diœceseon Ecclesias, sancti Martialis doctoris Aquitaniæ nomen et memoria, non inter confessores, sicut inter nos negligenter à nonnullis fieri solitum erat, sed inter apostolos proponatur, sicut a Romana sede, et a pluribus antiquis patribus, secundum veritatem Spiritus Sancti definitum est. Ita, in eo gradu in quo a rege sæculorum collocatus est, tantus ille Dei princeps et amicus, ab Ecclesia, uno corde et ore, semper deinceps rata stabilitate confirmetur quatenus ejus intercessione omnis sancta Ecclesia catholica in augmentum excrescat sanctæ religionis, et optata prosperitate quiescat in altitudine pacis (HARDOUIN, Concil., T. VI, col. 848, 849.)

(2, Nunquam in nostris monasteriis per Franciam, Martialem... audivi recitare

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