Page images
PDF
EPUB

Assemblée de Paris (4025).

L'an 1023, une assemblée de princes et de prélats se réunit à Paris, dans le palais et en présence du roi Robert de pieuse mémoire (1). On y agita cette question de l'apostolat de saint Martial. Une altercation s'éleva sur ce point entre les Français et les Limousins; et, chose remarquable! ce n'étaient pas ces derniers qui étaient les plus chauds partisans de l'apostolat : ils disaient aux Français « Vous autres, Français, vous ne faites pas bien de compter saint Martial parmi les apôtres nous, nous faisons mieux de le placer parmi les confesseurs. Vous le regardez comme le dernier des apôtres; et nous, nous le mettons au premier rang parmi les confesseurs». L'archevêque de Bourges Gauzlin, ancien abbé de Fleury, prit la parole pour apaiser ce différend: « Il me semble, dit-il, que ceux qui comptent saint Martial au nombre des confesseurs n'agissent pas selon les règles de la justice et de la raison; car il est plutôt du rang des apôtres que de celui des confesseurs. Si quelqu'un plaçait le nom du roi qui est ici présent, non pas dans la liste des rois, mais dans celle des comtes ses sujets, il ferait par là acte d'ignorance ou de mépris pour la personne du roi; et, s'il agissait par ignorance, on lui pardonnerait facilement à cause de sa rusticité; mais, s'il faisait cela par mépris, non-seulement le roi, mais les comtes ses sujets, et les princes, et ses amis, s'irriteraient contre le contempteur. Et, de fait, tout ce pays de France sait bien que ce prédicateur de l'Aquitaine n'est pas du rang des confesseurs, qui ne viennent qu'après les martyrs, mais qu'il est du rang des apôtres, qui passent avant les martyrs. Pour moi, si je rayais son nom de la liste apostolique, je craindrais d'encourir l'indignation de saint Pierre et des autres qui regardent saint Martial comme leur collègue et leur associé dans la gloire. S'il y a des apôtres en dehors des douze, comme on ne peut en douter, incontestablement celui-là est apôtre qui a reçu du Seigneur le don des grâces avec les autres apôtres. Il est de la race d'Abraham; il est disciple du Seigneur; il a été baptisé par saint Pierre; il a reçu sa mission de Jésus-Christ.... En le maintenant au rang des apôtres, nous autres Français nous suivons la coutume pleine de raison que nous ont transmise nos pères, qui ont formé les premiers le monastère de

(4) Consulter sur cette assemblée de Paris Adémar de Chabannes, Commemorat. Abbat. Sancti Martialis. (Patrolog., T. CXLI, col. 83, 84.)

Saint-Benoit (1). Quiconque voudra nous imiter en cela suivra la ligne droite de la vérité. »

Le roi Robert et tous les princes et prélats qui assistaient à l'assemblée applaudirent à ces paroles de l'archevêque de Bourges (2).

Assemblée de Poitiers (1024).

L'année suivante (1024) (3), le duc d'Aquitaine Guillaume IV

(1) Gauzlin, avant d'être archevêque de Bourges, avait été abbé du monastère de Saint-Benoît-sur-Loire. (HARDOUIN, Concil., T. VI, p. 855.)

:

(2) Adhuc enim vivente rege Roberto, cum antecessor meus Hugo in palatio ei apud Parisios assisteret cum multitudine nobilium et doctorum, altercatio inter Francos et Lemovicenses de re hujusmodi coram rege fieri cœpit; et ego ibi tunc præsens interfui. Dicebant isti: «Vos Franci, non recte facitis quia Martialem cum apostolis pronuntiatis nos recte agimus quia eum inter confessores recitamus Vos ultimum apostolorum dicitis nos primum confessorum in litaniis dicimus. » Quorum litigium archiepiscopus supradictus Gauzlenus compescuit, dicens : « ... Omnes qui Martialem inter confessores pronuntiant non bene juste, non bene perspicaciter agere mihi videntur ille enim magis est sortis apostolicæ unus quam sortis confessorum... Utique, si regis qui adest nomen non inter regum, sed comitum subjectorum vocabula diceret quis, aut rusticus diceretur, aut malivolus regis contemptor. Et, si simplicitate rustica id fieret, nil moveretur rex animo, sed rusticitati facile ignosceret si vero non simpliciter sed contemptive diceretur, non dubium quin regis animus ad iracundiam pro contemptu suo accenderetur.... Nec tantum rex quantum subditi comites ejus, et principes, et amici, in contemptorem irati fierent. Revera scit omnis hæc regio quia ille prædicator Aquitaniæ de gradu non confessorum, qui post martyres sunt, sed apostolorum, qui ante martyres sunt, existit. Ego autem, si nomen ejus de apostolico ordine auferrem, timerem ut apostoli Petri et aliorum indignationem hac in re incurrerem qui, olim in mundo, et nunc in cœlo, collegam et sodalem suum Martialem præclarum consocium per; sedilia apostolica habent.... Nimirum, si alii apostoli sunt, exceptis duodecim, sicut et absque dubio sunt, ille utique apostolus est qui omne donum gratiarum a Domino cum aliis duodecim accepit Apostolis.... Est carnaliter de genere Abrahæ, est discipulus Domini, est a Petro baptizatus Domino jubente ... est a Domino missus... Nos Franci morem quem patres nostri, qui primi monasterium Sancti Benedicti suo magisterio innormarunt, plɛna nobis ratione subnixum tradiderunt de hac re, ratum conservamus. Quisquis nos hac in re imitari voluerit rectam veritatis lineam tenebit. » — Quo perorato, archiepiscopus tacuit; et rex cum omni dignitate clericorum et principum qui sibi assistebant dicta archiepiscopi collaudavit. (ODOLRIC, in Concilio II Lemovic. HARDOUIN, Concil.,T. VI, pars I, p. 855, 856, 857.)

[ocr errors]

(3) En 1023, selon Pagi (Ann. 1023, n°2). Nous pensons que le concile de Poitiers a été tenu en 1024, parce que l'abbé Odolric, dans le second concile de Limoges, en 1031, compte sept ans révolus depuis l'époque où le duc Guillaume reçut du roi d'Angleterre ce livre enrichi d'images qu'il présenta aux évêques dans le concile de Poitiers. Or il y aurait huit ans si l'on plaçait ce concile en 4023.

réunit à Poitiers une autre assemblée où l'on agita de nouveau cette question de l'apostolat de saint Martial. Ce prince venait de recevoir du roi des Anglais Canut-le-Grand (1) des présents magnifiques et vraiment royaux, et, entre autres, un livre, écrit en lettres d'or, dans lequel se trouvaient les noms des saints avec leurs images. Le duc Guillaume, homme lettré, montra ce livre aux évêques, dans le coucile de Poitiers, comme un témoignage de l'antiquité de l'apostolat de saint Martial, qui se trouvait placé là dans le catalogue des apôtres. Ce prince si instruit disait à l'archevêque de Bordeaux et aux autres prélats qui assistaient au concile : « Nous pouvons juger de quelle autorité est le saint patron de l'Aquitaine, puisque la tradition qui le met au rang des apôtres a été transmise aux Anglais par saint Grégoire, qui a tant travaillé au salut de cette nation. Il serait peu habile de révoquer en doute ce dont le pape Grégoire n'a pas douté. Vous voyez, vénérables évêques, que, dans ce livre qui a été écrit chez les Anglais, on a omis Timothée, Cléophas, Silas et les autres dont on trouve le nom dans les Evangiles, dans les Actes des apôtres et dans les Epitres de saint Paul, et auxquels vous reconnaissez, en dehors des douze, les prérogatives de l'apostolat, et cependant on n'a pas omis notre illustre apôtre, quoiqu'on ne trouve pas son nom dans les Evangiles (2). »

Ce fait, dont nous empruntons le récit à l'abbé Odolric, dans le second concile de Limoges, est confirmé par Adémar de Chabannes : << Dernièrement, dit-il, le roi des Anglais a envoyé au duc d'Aquitaine, avec d'autres présents, un livre, écrit en lettres d'or, dans

(1) Cf. ADÉMAR, Histor., L. III, n. 41: Patrolog., T. CXLI, col. 56.

(2) Illud quoque mihi memorandum est quod, ante hos septem annos, rex Anglorum duci Aquitaniæ regalia munera misit, simulque codicem litteris aureis scriptum, in quo nomina sanctorum distincta cum imaginibus continebantur. Quod volumen jam olim in concilio Pictavensi, dum hac eadem de re quæstio esset, idem dux Wilielmus, litteris edoctus, in testimonium antiquitatis pontificibus ostendit. Erat enim ibi Martialis in aliorum apostolorum catalogo positus. Qui peritissimus princeps dicebat archiepiscopo Burdigalensi et aliis qui ibidem aderant episcopis « Conjicere, inquiens, possumus quam egregiæ auctoritatis sit beatus Aquitanorum patronus de quo Gregorius in illa sui laboris gente hanc legem tradidit observandam. Nimirum imperitorum est dubitare de quo sanctus papa Gregorius non dubitavit. Videtis ecce, o episcopi, in hoc codice qui apud Anglos scriptus est, prætermissum esse Timotheum, et Cleopham, et Silam, et alios quorum nomina in Evangeliis, et in Actibus Apostolicis, sive in Epistolis Pauli leguntur, quos Apostolos dicitis præter duodecim esse non tamen prætermissum esse illum nostrum patronum,... cujus nomen in Evangeliis reticetur. (HARDOUIN, Concil., T. VI, pars I, p. 865, 866. Patrolog., T CXLII, col. 4369.)

lequel Martial se trouve placé dans la série de saint Pierre et des autres apôtres (1) ».

1 Concile de Limoges (1028).

Quelques années après, l'an 1028 (2), il se tint à Limoges un concile dont les actes ne sont point parvenus jusqu'à nous nous savons toutefois qu'il y avait plusieurs évêques et les abbés des principaux monastères. On y décida que saint Martial, étant du nombre des soixante-douze disciples désignés par le Seigneur comme apôtres, et ayant reçu du Sauveur lui-même le pouvoir de prêcher l'Evangile, devait être regardé comme un apôtre (3). Le dernier jour du concile, le dimanche 3 août 1028, l'évêque Jourdain, au milieu d'un immense concours de peuple, leva le corps de saint Martial de son sépulcre, et le transporta avec grande pompe sur le maître-autel de la cathédrale, où l'on célébra la messe en son honneur comme d'un apôtre (4). Ce même jour, quand on eut rapporté les saintes reliques dans l'église du Sauveur, l'évêque de Limoges et ses chanoines, d'une part, l'abbé de Saint-Martial et ses religieux, d'autre part, firent un concordat par lequel ils s'en

(1) Nam et nuper illius gentis (Anglorum) rex codicem litteris aureis scriptum Aquitaniæ duci cum aliis muneribus direxit qui in serie beati Petri et aliorum apostolorum Martialem continet scriptum. (Apud BALUZE, Histor. Tutel, Append, col. 397. Patrolog, T. CXLI, col. 122.)

(2) Jusqu'ici presque tous les historiens et collecteurs de conciles ont placé en 1029 le premier concile de Limoges. Ils se fondent sur ce que disait, en 1031, l'évêque Jourdain, que ce concile s'était tenu la première année de la dédicace de l'église de Saint-Martial, dédicace que Geoffroy du Vigeois, écrivain du xe siècle, rapporte à l'an 1028. Mais le témoignage d'Adémar, qui écrivait sa lettre sur l'apostolat l'an 1028, quelques mois après la tenue du concile de Limoges, dont il rappelle toutes les circonstances, ce témoignage positif et contemporain nous paraît devoir l'emporter sur une induction tirée de Geoffroy du Vigeois, qui n'écrivait que dans le siecle suivant. La dédicace de l'église du Sauveur aurait donc eu lieu l'an ¡027.

(3) Quia ipse est egregius apostolus Christi, licet non sit de illis duodecim, sed unus ex septuaginta duobus qui post duodecim a Domino designati sunt apostoli.... Nam verum est quia ipse est Domini discipulus ; et verum est quia ab ipsius ore Domini accepit potestatem prædicandi et authoritatem ligandi et solvendi.... (Mss. de Saint-Martial, apud BONAV., T. I, p. 609.)

(4) Aggregato maximo populorum conventu, sacratissimum corpus patroni a suo levavimus tumulo, et piissimo obsequio transtulimus super hoc sanctum altare.... Facta sunt hæc dominica resurrectionis die, in ipsa solemnitate Inventionis corporis sancti Stephani (JORDAN., in Concil. Lemov. II: HARDOUIN, T. VI, col. 871.)

gagèrent solennellement, en se donnant la main droite, à célébrer à l'avenir et à perpétuité l'office de saint Martial comme d'un apôtre (1). Et le concile fit un décret ainsi conçu : « Si quelqu'un ose combattre et enfreindre ce décret sur l'apostolat de saint Martial, qu'il soit anathème, et maintenant et à jamais! Et tous les évêques et abbés répondirent d'une voix unanime: Amen! qu'il en soit ainsi (2)!

Discussion d'Ademar et de Benoit de Cluse (1028).

Le jour de la clôture du concile de Limoges (3 août 1028), notre célèbre chroniqueur Adémar de Chabannes, partisan fougueux de l'apostolat, eut sur ce sujet une discussion assez vive avec un moine lombard nommé Benoît, prieur de Saint-Michel de Cluse, près de Turin. Le moine de Saint-Cybard a rendu compte de cette discussion dans une curieuse Lettre sur l'apostolat de saint Martial, datée de l'année 1028, que le docte Mabillon a publiée dans ses Annales Bénédictines (t. IV, append., p. 717 et suiv.), et que, tout récemment, l'abbé Migne a reproduite dans sa Patrologie (t. CXLI, col. 89-112). La discussion commença à la cathédrale, avant la messe synodale, que célébrait l'évêque Jourdain. Benoit de Cluse soutenait que saint Martial n'était qu'un homme apostolique ; Adémar prétendait que saint Martial est apôtre, comme étant du nombre des soixante-douze disciples qui sont appelés apôtres dans l'Evangile de saint Luc (3). La cérémonie de la messe synodale, et

(1) Ideo delatum est corpus beati Martialis apostoli in basilicam Sancti Stephani apud Sedem, dominica resurrectionis die, in festivitate dedicationis ejusdem ecclesiæ, et iterum ipsa die reportatum est ad suum sepulcrum, ubi manibus dextris firmaverunt episcopus et omnes canonici et monachi, ut omni tempore in perpetuum deinceps tam futuri quam præsentes cantent de ipso sicut de unius apostoli persona, tam in psalmis et responsoriis quam in hymnis et antiphonis et missis. (Mss. de Saint-Martial, ap. BONAV., T I, p. 609.)

(2) Si quis hanc scripturam de apostolatu beati Martialis repugnans violaverit, ex Dei auctoritate, et beati apostoli Petri, et ipsius sancti Martialis coapostoli ejus, omniumque sanctorum Dei, anathema sit, hic et in perpetuum. Dixerunt omnes unanimes episcopi et abbates: Amen, sic fiat! (Mss. de Saint-Martial, ap. BoNav., T. I, p. 610.)

(3) Et dicente illo: « Martialis est apostolicus vir, non apostolus » ; ac me ei obsistente: «< Martialis non est apostolicus vir, sed apostolus, nam unus est ipse de septuaginta duobus apostolis»; illoque inferente: « Ubi est auctoritas de illis?

« PreviousContinue »