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après lui, le P. Honoré de Sainte-Marie (1) aient regardé comme supposé cet ouvrage de saint Isidore il suffit, pour en prouver l'authenticité, de dire que saint Ildefonse l'énumère parmi les ouvrages de ce Père de l'Eglise (2). En outre, de Marca avait trouvé ce livre parmi les œuvres de saint Isidore dans un manuscrit du IXe siècle (3). Après saint Isidore, saint Julien de Tolède assigne la Gaule à saint Philippe comme ayant été le champ de sa mission (4); et Fréculphe, évêque de Lisieux en 823, reproduit intégralement, dans sa Chronique, ce passage de saint Isidore (5).

On voit, par tous ces témoignages, que, si des apôtres et des hommes apostoliques ont évangélisé la Gaule dès le premier siècle, on ne doit point trouver étonnant que leurs envoyés y aient fondé des Eglises.

Et l'on voudrait que l'Evangile n'eût été annoncé dans la majeure partie des Gaules que deux siècles après la mort de saint Pierre et de saint Paul! Et l'on voudrait que le littoral de la Méditerranée, si voisin de l'Italie, que les villes d'Arles et de Narbonne, par exemple, n'eussent été évangélisées que deux siècles plus tard, lorsque saint Cyprien arrosait de son sang le sol de Carthage, lorsque Tertullien avait composé ses ouvrages immortels! - Et l'on voudrait, sur la foi d'un texte sans valeur, donner un démenti à des traditions si respectables de tant d'Eglises qui s'accordent sur ce point! Et l'on voudrait que, à Rome, saint Pierre eût enchaîné la parole de Dieu! que la lumière se fût repliée sur elle-même ! L'on voudrait que saint Pierre n'eût pas songé à notre patrie lorsque tant de traditions s'accordent à dire qu'il y a envoyé des apôtres! — Je m'arrête sur ce point il me semble qu'il n'en faut pas davantage pour ruiner jusqu'aux fondements l'opinion historique qui s'appuie sur un passage de Grégoire de Tours. Mais cela ne me suffit pas :

il faut maintenant que je montre la légitimité de notre tradition, en remontant de siècle en siècle jusqu'aux apôtres, et en trouvant, jusqu'au dernier anneau de cette chaîne, des témoignages historiques qui confirment notre tradition.

(1) Réflexions sur les règles et l'usage de la critique, T. I, 2o part., dissert. VI, P 202.

(2) De Viris Illust.: Patrolog., T. XCVI, col. 202.— Voir, sur l'authenticité de ce livre, l'éditeur de saint Isidore, FAUSTIN AREVAL: Patrolog., T. LXXXI, p. 382 et suivantes.

(3) Apud Acta SS., T. V junii, p. 546.

(4) Comment. in Nahum prophet., no 76: Patrolog., T XCVI, col. 746. (5) Patrolog., T. CVI, col. 1148.

CHAPITRE SECOND.

TÉMOIGNAGES DE LA TRADITION EN FAVEUR DE LA MISSION
DE SAINT MARTIAL AU I

SIÈCLE.

Avant de produire les témoins de l'antique tradition du Limousin et de l'Aquitaine sur saint Martial, nous croyons devoir exposer les principes sur lesquels repose notre travail et les règles critiques qui nous ont servi de guide dans la recherche et l'appréciation des témoignages traditionnels.

Are RÈGLE. A défaut de témoignages historiques (et nous entendons par là des récits faits par des témoins contemporains, ou rédigés d'après des mémoires ou des témoignages contemporains) on peut arriver, avec un certain degré de certitude, à la connaissance de faits antérieurs dont la mémoire s'est conservée par la tradition, c'est-à-dire par la transmission des évènements faite oralement ou de vive voix, et communiquée, comme de main en main, d'une génération à la génération suivante (1).

2o RÈGLE. - Pour s'assurer de la vérité des évènements anciens rapportés par la tradition, il faut examiner si cette tradition a pour objet des faits publics et éclatants; si elle est constante et ancienne; et, quand il s'agit de faits qui appartiennent à une époque trèsreculée, il faut rechercher des preuves écrites de cette tradition, en remontant de siècle en siècle jusqu'à une époque qui ne soit pas trop éloignée de l'évènement (2).

3o RÈGLE.

Ce serait se montrer trop sévère en matière de critique d'exiger que les preuves écrites de la tradition remontassent au temps même où l'évènement s'est passé en effet, un document

(1) On peut consulter sur la valeur historique de la tradition le savant académicien Fréret. (Mém. Acad. Bell. Lett., T. VI, p. 153.)

(2) Prima est, ut de eo quod in traditione positum dicitur, diversis et temporibus et locis scriptum sit à pluribus exploratæ fidei viris, qui producantur ut testes. (LAUNOY, Dissert. de Sulp. Sever., § 16, p. 86.)

contemporain serait quelque chose de plus qu'un témoignage traditionnel ce serait un témoignage historique.

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4 RÈGLE. Quand on a des témoignages anciens qui établissent qu'une tradition a été reconnue pendant une série de siècles, il suffit qu'on n'en trouve pas le commencement pour supposer avec raison qu'elle existait dans les siècles antérieurs où l'absence de documents ne permet pas d'en rechercher les traces en fait de tradition possession vaut titre.

5 RÈGLE. En vertu du même principe, lorsqu'une ou plusieurs provinces sont en possession tranquille, depuis plusieurs siècles, d'un fait traditionnel admis sans contestation, il ne suffit pas, pour les en déposséder, de mettre en avant l'objection vague qu'on appelle l'argument négatif, et qui se fonde sur le silence des anciens écrivains il faut, pour rejeter cette tradition, alléguer des témoignages historiques qui la combattent formellement, ou qui démontrent qu'elle est récente et supposée; ou bien il faut produire des raisons si fortes et si convaincantes qu'elles forcent un homme sage et prudent de rejeter cette tradition (1).

6e RÈGLE. Une tradition a d'autant plus de valeur qu'elle est plus en harmonie avec l'enseignement général de l'histoire, et elle a d'autant moins de force qu'elle y semble plus opposée.

7 RÈGLE. Quand il y a divergence entre les traditions sur un même fait, on doit préférer le témoignage des auteurs du pays à celui des auteurs étrangers (2); on doit préférer celle des traditions qui est la plus ancienne, et qui est enseignée d'une manière constante, à celle qui serait relativement récente, et qui ne reposerait que sur un témoignage isolé.

8e RÈGLE. Quand bien même il se trouverait dans un écrivain, dans un récit historique, dans une légende rédigée d'après la tradition, quelque fait suspect de supposition, ou invraisemblable, ου même dont la fausseté serait démontrée, ce ne serait pas une raison de rejeter tout le reste; car, comme l'a dit le P. Honoré de Sainte

(1) CE HONORÉ DE SAINTE-MARIE, Réflexions sur les règles et l'usage de la critique, T. I, 2o partie, dissert. VII, § 3, p. 302.

(2) « Il semble qu'il est de l'équité de préférer toujours les anciens auteurs d'un pays aux étrangers il est très-difficile en effet de savoir exactement ce qui se passe dans des lieux éloignés; et nous voyons souvent que les bruits populaires qui se répandent d'une nation chez une autre et que les récits qui viennent de loin ont trompé beaucoup d'écrivains, dans un temps surtout où le commerce des lettres était rare et difficile. » (HONORÉ DE SAINTE-MARIE, ibid., p. 287.)

Marie, on ne méprise pas le témoignage d'un écrivain parce qu'il s'est mépris quelquefois (1). « Que deviendrait la science du passé, dit dom Guéranger, s'il était permis de ne tenir aucun compte du témoignage d'un écrivain dont la probité est d'ailleurs incontestable, par cela seul qu'on rencontrerait dans ses récits quelque trace d'inexactitude ou de préoccupation (2)? »

9e RÈGLE.

Dans un ouvrage apocryphe, c'est-à-dire dans un ouvrage qui n'a pas été composé par l'auteur dont il porte le nom, mais qui a été supposé à une époque postérieure, on peut trouver un écho véritable de la tradition sur un évènement, au moins pour l'époque à laquelle on prouve que cet ouvrage a été véritablement écrit (3).

10 RÈGLE. Dans une légende composée sur des données traditionnelles, il faut savoir dégager le fait capital ou les évènements principaux des circonstances accessoires et des détails secondaires : ceux-ci, en passant de bouche en bouche, peuvent facilement s'altérer, et se mélanger d'additions étrangères; mais le gros des faits (4) est moins susceptible d'altération. La vraie et utile critique consiste à dégager la vérité des nuages qui la couvrent, en dépouillant le fait principal des détails inexacts.

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11 RÈGLE. On connaît que les détails d'un récit traditionnel ou d'une légende sont altérés ou apocryphes lorsqu'ils sont contraires aux mœurs, aux coutumes, aux manières de parler qui étaient en usage à l'époque où l'on suppose que s'est passé le fait traditionnel (6).

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12 RÈGLE. Lorsqu'il y a concordance entre deux ou plusieurs traditions sur un même fait, et que ces diverses traditions n'ont pu s'inspirer l'une chez l'autre, comme, par exemple, quand les pays où elles se sont transmises sont séparés par de longues distances,

(1) HONORÉ DE SAINTE-MARIE, Réflexions sur les règles et l'usage de la critique, T. I, 2 partie, dissert. VII, § 3, p. 302.

(2) Histoire de sainte Cécile, 2o édit., p. 387.

(3) « On ne saurait désavouer que plusieurs livres supposés ne soient de quelque autorité. Les critiques qui passent pour les plus délicats en cette matière ne manquent pas de les citer quand ils peuvent leur être de quelque secours. » (HONORE DE SAINTE-MARIE, loc. cit., p. 288.)

(4) Les esprits vraiment justes ne se croient point en droit de les rejeter (les traditions) pour le gros des fails. (FRERET, Mém Acad. Bell. Lett., T. VI, p. 453.)

(5) « Il faut que ces traditions n'aient rien de contraire aux usages et aux temps où ces choses ont été reçues. » ( Honoré de SaintE-MARIE, loc. cit., p. 301.)

cet accord de diverses traditions sur un même fait est une preuve non équivoque de la vérité de ce fait c'est une règle de critique dont Tertullien a donné la formule en ces termes : Quod apud multos unum invenitur non est erratum, sed traditum (1) : une tradition qui est la même chez divers peuples n'est pas une erreur ou un mensonge c'est une vérité transmise de vive voix.

Après avoir exposé les règles de la critique sur la tradition, produisons les témoignages traditionnels en faveur de la mission de saint Martial au rer siècle.

Il serait inutile et superflu d'énumérer ici les témoignages favorables à l'apostolat de saint Martial qui sont postérieurs au XIe siècle. On sait que, à partir du second concile de Limoges (1031), ce point d'histoire, promulgué par des conciles provinciaux, sanctionné par la haute autorité du souverain pontife, était reçu dans toute l'Aquitaine avec autant de respect qu'un article de foi. Du reste nous nous réservons de donner, dans un appendice, la liste des écrivains qui ont professé cette opinion historique depuis le x1 siècle jusqu'à nos jours. Mais, comme, dans une discussion de ce genre, ce qui fait le mérite d'un document c'est son antiquité, nous allons citer, à partir seulement du commencement du xr siècle, les témoignages favorables à l'apostolat de saint Martial.

XI SIÈCLE.

Au commencement du xr siècle, il se tint plusieurs conciles sur la question de l'apostolat de saint Martial; non pas que l'on fût divisé sur l'époque de sa mission: la tradition était reçue, dans l'Aquitaine et même dans toute la France, que saint Martial avait été envoyé au rer siècle par saint Pierre lui-même; mais l'on disputait seulement sur ce point si saint Martial devait être honoré du nom d'apôtre, ainsi qu'on le trouvait dans d'anciens martyrologes et livres liturgiques, ou si l'on devait continuer à l'honorer sous le titre plus modeste de confesseur-pontife, ainsi qu'on le faisait alors dans la cathédrale de Limoges. La discussion, commencée dans des assemblées de princes et de prélats, à Paris et à Poitiers, prit une telle importance que l'on convoqua des conciles provinciaux à Bourges et à Limoges pour la décider. Disons un mot de ces divers conciles.

(1) TERTULLIAN., De Præscript., Cap. XXVIII.

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