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monuments de cet âge, aussi bien ceux construits selon le cintre et l'arcade romaine que ceux qui avaient pour principe les combinaisons ogivales.

Le mot gothique voulait dire laid, absurde, barbare; en perdant sa signification propre, il était devenu une injure comme le mot jésuite. Mais l'épuisement du terrain antique, l'influence d'un romancier anglais, peut-être la Restauration, d'autres causes plus élevées et non moins puissantes, tournèrent l'attention vers les monuments de notre pays. Il suffit alors d'ouvrir les yeux pour reconnaître que tous les monuments groupés sous la commune dénomination de gothiques appartenaient à deux classes bien distinctes les uns, plus anciens, plus lourds, plus massifs, étaient voûtés en berceau. Le cintre dominait dans la courbe des baies et des voûtes; les murs fortifiés, ou non, portaient toute la construction supérieure; l'ornementation y avait souvent une physionomie antique ou exotique. Les autres, plus légers, plus évidés, plus étendus, avaient pour caractère apparent l'emploi d'un arc aigu, formé de deux segments de cercle, dans les portes, les fenêtres et et les voûtes. Leur système de construction reposait sur une donnée entièrement nouvelle, qui affranchissait les murs en reportant toute la poussée des voûtes sur quelques points fortifiés. Moulures et ornements, piliers et feuillages, tout y était nouveau, tout s'y produisait avec des formes jusqu'alors inconnues.

Toujours généreux, et, en leur qualité de Français, toujours disposés à faire aux étrangers les honneurs de leur pays, les écrivains de ces premiers jours attribuèrent bien vite les monuments anciens aux Lombards, aux Saxons et aux Byzantins. Quant à l'architecture plus élégante des derniers temps, elle était revenue de la croisade, après avoir été empruntée aux Arabes ou aux Sarrasins. Sans doute l'ogive se retrouve dans les monuments arabes; mais l'ogive n'est ni le principal ni le premier caractère des monuments élevés en style ogival. Elle est souvent absente des fenêtres et des voûtes dans une foule de monuments de la première époque. Par exemple, toutes les fenêtres des églises limousines au XIIIe siècle sont fermées par un demi-cercle; et au contraire, dans les premiers âges, l'ogive se montre, dans la même province, dans presque tous les bas-côtés et dans les grands arcs des voûtes. La question n'est donc pas de savoir qui le premier a employé l'ogive, puisqu'on la trouve partout, même dans les tombeaux des rois de Juda; elle se réduit à constater par quel peuple a été imaginé, en quelle province. a été employé pour la première fois le style nouveau, où l'ogive tient

sans doute une place considérable, mais dont elle n'est qu'un des éléments. A cette question ainsi posée les faits ont répondu d'une manière concluante le système ogival est né à Paris, ou près de Paris, dans l'Ile-de-France, dans le dernier tiers du XIIe siècle.

Les Sarrasins ou Arabes n'ont imaginé qu'un système d'ornementation ils n'ont pas d'architecture propre; leurs ogives diffèrent essentiellement des nôtres. La mosquée de Grenade et l'Alhambra n'ont rien de la construction ogivale. On ne saurait donc donner le nom de sarrasins ou d'arabes à des monuments pour lesquels les Arabes n'ont fourni aucune forme, aucune indication.

Dans un précédent travail, M. de Verneilh a mis en relief cette conclusion il a même réduit les étrangers à leur rôle de copistes ou d'imitateurs. Grand nombre d'écrivains, d'après un savant illustre, M. Boisserée, voulaient voir dans la cathédrale de Cologne le prototype, le modèle inspirateur des édifices en ogive. Cet édifice colossal a été, malgré son étendue, replacé à un rang secondaire. Son chœur, la partie ogivale la plus ancienne, reproduit le plan, la disposition et même l'ornementation des chœurs d'Amiens, de Beauvais et de Limoges, et ces édifices lui sont presque tous antérieurs. Le langage archéologique reste dont scientifiquement fixé en ce point. L'architecture ogivale gardera ce nom, parce que l'ogive en est le caractère le plus apparent; mais on ne l'appellera plus ni sarrasine ni arabe. L'ogive n'est pas revenue de la croisade, comme l'a dit spirituellement un poète elle y est allée j'en atteste les monuments nombreux que les croisés ont construit en style ogival à Rhodes, dans l'île de Chypre, dans la presqu'île asiatique, et dans toute la Terre-Sainte. M. Félix de Verneilh tient un rang des plus honorables dans la petite légion de savants qui ont mis ce fait en Jumière.

Reste l'architecture antérieure au gothique. Déjà l'histoire prouvait qu'ils étaient de beaucoup postérieurs aux peuples auxquels on avait voulu les attribuer; M. de Caumont avait, avec raison, proposé de leur donner le nom de roman, de même que les langues du midi de l'Europe avaient été appelées romanes parce qu'elles s'étaient formées des éléments altérés du langage romain. Cette appellation ingénieuse n'avait pas prévalu sur tous les points. Ils n'étaient pas rares les antiquaires qui conservaient à ces édifices le nom de byzantins ou de romano-byzantins. L'ouvrage de M. de Verneilh fera cesser cette confusion.

Le nom de byzantin sera désormais uniquement attribué aux édifices évidemment inspirés de Byzance ou de Sainte-Sophie. On les

reconnaîtra aux caractères suivants : 4° voûtes uniquement formées de coupoles sphériques inscrites dans des carrés dont les angles sont rachetés par des pendentifs qui sont eux-mêmes des portions de sphère; 2° absence d'appui extérieur; 3° rareté de l'ornementation sculptée, remplacée presque toujours par des peintures.

Ces édifices, peu nombreux, forment une école qui a son centre et son point de départ près de nous, à Périgueux, et dont nous avons un type voisin à Solignac. Nous ne saurions, en quelques lignes, analyser convenablement le travail profond et patient qui amène cette conclusion en 300 pages remplies de faits précis et d'études aussi profondes qu'étendues. M. Félix de Verneilh recherche le point de départ de cette école orientale, et décrit sa filiation. Saint-Front de Périgueux, merveilleuse copie en matériaux français de SaintMarc de Venise, reproduit sa disposition, toutes ses formes et jusqu'à ses dimensions, le pied italien se trouvant traduit en pied français. Il faut lire dans l'ouvrage même les indications au moyen desquelles notre patient collègue suit l'influence de ce type, et le montre dégénérant d'âge en âge jusqu'au XIe siècle, et survivant encore en quelques monuments à travers les formes ogivales.

Grâce à ce travail remarquable, on saura donc désormais : 4° Ce qu'il faut entendre par style byzantin;

2o En quoi le style byzantin diffère du style roman;

3o Comment une école byzantine d'architecture s'est établie en France; à quelle époque; quel est son point de départ; quelle est l'étendue de son action.

Pour arriver à des conclusions si précises une immense lecture n'a pas suffi. Les monuments de notre Aquitaine ont été analysés sur place, pour la plus grande partie, par M. de Verneilh, avec la patience d'un anatomiste. Peu d'architectes, même parmi les plus instruits, ont pénétré si avant dans les lois de la construction à tous les âges. Et tous ces résultats si patiemment obtenus se produisent, avec les qualités toutes françaises d'une grâce et d'une urbanité exquises, en un style aussi rapide qu'élégant. Nous ne disons rien des côtés matériels de cette publication. Le papier, l'impression, le tirage, rivalisent avec les plus magnifiques publications étrangères, et, sur plusieurs points, leur sont supérieurs. Tout le monde sait que Mackensie venait en France animer ses magnifiques dessins par des bons-hommes dus au crayon de l'antiquaire Langlois. Les planches nombreuses dues à la collaboration fraternelle de M. Jules de Verneilh et au crayon brillant de M. Gaucherel n'ont pas besoin d'un secours étranger. On y retrouve unies, à un rare degré, la fidélité

archéologique des détails, la finesse du burin et une légèreté spirituelle qui n'appartiennent qu'à notre pays. Nous qui connaissons l'autre travail que vont publier ces deux artistes, nous ne pouvons que féliciter le Périgord d'être si bien servi par un Limousin, et nous nous recommandons à ces crayons aussi rapides qu'ingénieux.

Limoges, 11 juin 1852

TEXIER,

Supérieur du petit séminaire du Dorat.

Nous

empruntons aux « Annales Archéologiques » de M. Didron l'article suivant, dont le savant rédacteur accompagne l'annonce, faite par M. de Verneilh, de l'ouvrage sur l'Architecture byzantine en France:

Je demande à M. de Verneilh la permission d'ajouter quelques phrases à son travail, pour signaler, d'une part, la planche qui accompagne son article, et, de l'autre, la mise en vente du volume préparé depuis plus de dix ans.

Un jour, vers 1840, j'apportai à l'une des séances du Comité historique des arts et monuments le dessin de M. Jules de Verneilh, d'après lequel a été gravée la planche qui représente l'ensemble de Saint-Front. Sur le dessin, pas de lettre, pas de légende qui indiquât la contrée, le pays où se trouvait le curieux édifice. Vers l'abside, sur le territoire incliné qui descend à la rivière, M. Jules de Verneilh avait profilé un arbre dont le port offrait un faux air de palmier. A la vue de ces énergiques coupoles qui couronnent le monument byzantin, plusieurs membres du Comité, principalement M. Victor Hugo, le poète des Orientales, me demandèrent dans quelle partie de la Grèce, dans quelle ville de l'Asie était élevé cet important édifice, plus bossu que ne l'est Sainte-Sophie de Constantinople elle-même. D'abord je fis semblant de ne pas entendre, pour laisser courir les imaginations. L'un des membres, célèbre voyageur en Orient, croyait avoir vu ce monument même, ou du moins un monument tout-à-fait analogue, au Caire; un autre pensait y être entré à Brousse ou peut-être à Trébizonde, à moins que ce ne fût à Constantinople; un troisième s'imaginait l'avoir esquissé à Damas, et promettait déjà d'apporter, à la première séance du Comité, les croquis faits par lui dans une de ses expéditions d'art et d'archéologie. Comme on s'inquiétait; comme on voulait savoir enfin à quoi s'en tenir, je répondis à M. Victor Hugo et aux autres membres byzantins du

Comité que ce monument n'était ni au Caire, ni à Brousse, ni à Trébizonde, ni à Constantinople, ni à Damas, mais tout simplement en France, à Périgueux, dans le chef-lieu du département de la Dordogne. D'abord on me regarda comme un homme à qui la langue fourche, et qui se trompe de ville et de pays; mais je répétai mon assertion avec une telle assurance qu'il fallut bien s'y rendre.

L'étonnement du Comité fut au comble; car, pour la première fois on apprenait que nous possédions en France un véritable monument oriental. Le palmier était bien un peu inventé; mais le monument existait complètement, en chair et en os (qu'on me permette cette expression), dans la ville de Périgueux. Cette anecdote, parfaitement authentique, n'est pas encore oubliée des membres du Comité; de temps à autre, ainsi que M. le baron de Guilhermy le faisait récemment, on la rappelait à nos séances.

On voit par là combien Saint-Front est un vrai monument byzantin, et combien nos abonnés doivent remercier MM. Félix et Jules de Verneilh de mettre sous leurs yeux non-seulement un aussi beau, mais aussi curieux dessin; car nous estimons que cette planche d'aujourd'hui doit compter parmi les plus notables de notre recueil. Voilà donc le monument dont M. Félix de Verneilh a fait l'histoire complète. Ce livre, important au même titre que Saint-Front, l'église mère, et que la série des autres églises issues de Saint-Front, a pour titre L'ARCHITECTURE BYZANTINE EN FRANCE. Il se divise en deux parties. La première est une monographie complète de Saint-Front; la seconde, une statistique monumentale des églises à coupoles de la France. Au surplus, comme l'énoncé des chapitres en dira plus que nos réflexions, en voici les titres:

1° MONOGRAPHIE DE SAINT-FRONT. Analogie de Saint-Front de Périgueux et de Saint-Marc de Venise. Description de SaintFront. Clocher et grand porche. · Construction et décoration. —

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Sépulcre de Saint-Front.

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Cloître et monastère. Ancienneté de Saint

Front et colonie vénitienne à Limoges.

Saint-Front.

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Saint

2o EGLISES A COUPOLES. Considérations générales. Etienne et Saint-Silain de Périgueux. Monuments à coupoles du Périgord: abbayes, prieurés, églises paroissiales. Eglises à coupoles de l'Angoumois et de la Saintonge cathédrale d'Angoulême, Saint-Liguaire de Cognac, église de Bourg-Charente, cathédrale de Saintes, etc. Eglises à coupoles de Cahors, Souillac, Solignac, Saint-Emilion. Eglises à coupoles, mais non byzantines, du Puy

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