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de la mission de ces premiers évêques : nous avouons de bonne foi qu'il y a de grandes difficultés de part et d'autre (1) ».

Enfin, au milieu du dernier siècle, les auteurs de l'Art de vérifier les dates, comprenant la valeur des arguments présentés par Marca et les deux Pagi, abandonnèrent Grégoire de Tours sur l'époque de la mission des premiers évêques des Gaules et de saint Martial qu'ils assignaient au temps du pape saint Clément, c'est-à-dire à la fin du siècle : « Quoi qu'en disent plusieurs savants modernes, il y a bien de l'apparence que c'est à saint Clément, et non à saint Fabien, que l'on doit rapporter la mission des premiers évêques dans les Gaules, tels que saint Saturnin de Toulouse, saint Trophime d'Arles, saint Gatien de Tours, saint Denys de Paris, saint Paul de Narbonne, saint Austremoine de Clermont, saint Martial de Limoges. (Marca et les deux Pagi.) (2) ».

Quoi qu'il en soit, pour ce qui concerne saint Martial en particulier, il faut reconnaître, pour être dans le vrai, que la majorité des savants, dans les deux derniers siècles, ne s'est pas montrée favorable à sa mission au temps de saint Pierre; et, si l'on compte en faveur de cette opinion des hommes d'une érudition incontestable, tels que le bénédictin Millet (3), André du Saussay (4), Dadin d'Hauteserre (5), Bonaventure de St-Amable, etc., et des hommes qui joignaient une haute critique à une vaste érudition, tels que de Marca (6), Noël Alexandre (7), François Pagi (8), Jean Smith (9), et nos savants Limousins du dernier siècle, l'abbé Nadaud (10), Oroux (11), et le chanoine Devoyon (12), on compte dans le camp

p. 616. Saint Martial,

p. 161.

(1) Hist. gén. du Languedoc, in-fol., T. I, note XXIII,
(2) Art de vérifier les dates, édit. 1770, p 239.
,P
(3) Vindicata Ecclesiæ Gallic. de suo Dionysio Gloria, p. 34.
(4) De Myst. Gall. Script., p. 302.

(5) Rerum Aquitanic., 1. IV, cap. IX.

Martyrol. Gallic., 30 jun.

(6) De tempore prædicatæ primum in Galliis fidei. ( Acta SS, T. V junii, p. 549.)

(7) In Hist. Eccl. sæc. I. dissert. XVI, prop. prima. (Hist. Eccl. in-folio, T. III, p. 164.)

(8) Critica in Annales Baronii, an. 1032, no 2.

(9) Notes au martyrologe de Bède : Patrolog., T. XCIV, p. 961.

(10) Mém. mss., T. I, p. 228 et suiv. Table des évêques de Limoges.

(11) Légende du bréviaire de 1783. Rem. mss. prop. SS. Limoges, p. 65 et suiv.

(12) Rituel de 1774 : Catalogue des évêques de Limoges.

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opposé Descordes, Launoy, Bosquet (1), Ellies du Pin (2) Tillemont (3), Baillet (4), Ruinart (5), Fleury (6), Longueval (7), Denys de Sainte-Marthe (8), Moréri (9), le Dictionnaire de Trévoux, l'abbé Velly (10), le cardinal Orsi, etc. La majorité des savants ayant communiqué le mouvement à l'opinion, il faut avouer que la victoire est restée au parti de Grégoire de Tours; et il est bien peu de livres d'histoire imprimés en France depuis deux cents ans qui n'aient donné raison à Descordes et à Launoy, et qui n'aient assigné la mission de saint Martial au milieu du me siècle.

Eh bien, c'est à ce point où en est la discussion que nous avons le courage de la reprendre en sous-œuvre. Il faut, nous l'avouons, une certaine confiance en ses propres forces pour aborder une question que des savants de premier ordre ont traitée en sens contraire, sans donner une solution péremptoire et définitive: il y a là d'autant plus d'audace et d'ambitieuse prétention que, les historiens des deux derniers siècles paraissant s'être prononcés en faveur de Grégoire de Tours, nous entreprenons de faire réviser ce jugement de l'histoire c'est là pourtant la rude tâche devant laquelle nous ne reculons pas. Oui, nous venons nous inscrire en faux contre un enseignement historique qui est devenu classique, en quelque sorte, par le grand nombre et l'autorité des savants qui l'ont accrédité depuis deux cents ans. Prenant pour guide, dans notre travail, ces règles de critique sage et modérée que nous a tracées un illustre compatriote, notre savant limousin le P. Honoré de Sainte-Marie (Pierre Vauzelle) dans son ouvrage si estimé : « Réflexions sur l'usage et les règles de la critique touchant l'histoire de l'Eglise, la vie des saints, etc. », règles d'après lesquelles la science contemporaine se dirige, sans en faire honneur à celui qui les a tracées le premier, nous espérons faire revenir l'histoire

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(3) Mémoires pour servir à l'hist. ecclés des six premiers siècles, éd. 1696, T. IV, p. 442, 475.

(4) Vies des saints, 30 juin, éd. 1701 in-folio, T. II, p. 396.

(5) Edit. Gregor. Turon., p. 917, note.

(6) Hist. Eccl., L. VI, no XLIX.

(7) Hist. de l'Eglise Gallic., L. I, an 250.

(8) Gallia Christ., T. II, p. 499.

(9) Dict. Historique, art. saint Martial.

(10) Hist. de France, T. I, diss. prélim., p. 21.

générale sur un point historique si important. Nous entrons dans la lice avec d'autant plus de confiance que nous nous présentons armé de documents nouveaux qui jettent sur la question une lumière nouvelle; et, afin de mettre dans cette discussion de la méthode et de la clarté, voici la marche d'après laquelle nous procèderons : dans un premier chapitre, nous réfuterons le passage de Grégoire de Tours sur lequel s'appuie l'opinion des savants qui font venir saint Martial au milieu du me siècle; après cette réfutation, nous produirons les témoins de la tradition historique qui assigne la mission de saint Martial au 1er siècle, et nous remonterons la chaîne traditionnelle à partir du xre siècle jusqu'au-delà du temps de Grégoire de Tours; en troisième lieu, nous examinerons la concordance des traditions étrangères avec les traditions de l'Aquitaine sur l'apostolat du premier évêque de Limoges. L'antiquité de notre tradition une fois établie, nous réfuterons les objections que le système grégorien oppose à l'opinion des traditionalistes; et, pour donner à cette dissertation un complément nécessaire, nous examinerons l'époque à laquelle sont venus dans les Gaules les premiers évêques que Grégoire de Tours présente comme les compagnons de saint Martial; enfin, dans un appendice, nous donnerons la liste chronologique des écrivains qui, depuis le xIe siècle jusqu'à nos jours, ont assigné la mission de saint Martial au 1er siècle de notre ère.

CHAPITRE PREMIER.

REFUTATION DE GRÉGOIRE DE TOURS.

Il est très-vrai que Grégoire de Tours a dit, dans son Histoire des Francs, que saint Martial n'était venu qu'au milieu du Ie siècle, sous le consulat de Dèce et de Gratus. Voici ses paroles : « Du temps de Dèce, sept personnages ordonnés évêques furent envoyés pour prêcher dans les Gaules, comme le raconte l'histoire du martyre de saint Saturnin; car elle dit : « Sous le consulat de Dèce » et de Gratus, comme on s'en souvient par une tradition fidèle, la >> ville de Toulouse commença à avoir saint Saturnin pour évêque ». Voici donc ceux qui furent envoyés aux babitants de Tours,

l'évêque Gatien; à ceux d'Arles, l'évêque Trophime; à Narbonne, l'évêque Denis; aux Arvernes, l'évêque Austremoine; à Limoges, l'évêque Martial (1) ». Voilà le passage historique ou plutôt le document traditionnel sur lequel on s'est appuyé jusqu'ici pour retarder jusqu'au milieu du me siècle la mission du premier évêque de Limoges.

Or nous allons montrer que ce passage n'a aucune autorité : 4° parce qu'il s'appuie sur une citation inexacte; 2° parce qu'il est en contradiction avec des écrivains antérieurs dont le témoignage a plus de valeur que celui de Grégoire de Tours; 3° parce qu'on trouve dans ce passage des faits particuliers dont on démontre historiquement la fausseté; 4o parce que, dans ce passage, Grégoire de Tours est en contradiction avec lui-même; 5o parce que les partisans de cet historien reconnaissent eux-mêmes que ce passage est très-défectueux. La démonstration de ces cinq propositions va faire l'objet des cinq paragraphes suivants.

Ster. Ce

-

passage s'appuie sur une citation inexacte.

Ce passage de Grégoire de Tours n'a aucune autorité, parce qu'il s'appuie sur une citation inexacte. En effet cet historien dit que « du temps de Dèce, sept personnages ordonnés évêques furent envoyés pour prêcher dans les Gaules comme le rapporte l'histoire du martyre de saint Saturnin» or la légende de saint Saturnin ne dit point cela elle dit seulement que,« sous le consulat de Dèce et de Gratus, la ville de Toulouse commença à avoir saint Saturnin pour premier évêque ». - Pourquoi donc Grégoire de Tours, s'appuyant sur cette légende, lui fait-il dire ce qu'elle ne dit pas? Pourquoi se fonde-t-il sur cette légende pour assigner la mission des sept évêques à l'empire de Dèce, lorsque cette légende parle uniquement de la mission de saint Saturnin? Si la citation est fausse, si le fondement est nul, l'autorité de ce texte est ruinée par la base ainsi ce passage n'a aucune autorité, parce qu'il s'appuie sur une citation inexacte.

(1) Hujus (Decii) tempore, septem viri episcopi ordinati ad prædicandum in Gallias missi sunt, sicut historia passionis sancti martyris Saturnini denarrat. Ait enim : << Sub Decio et Grato consulibus, sicut fideli recordatione retinetur, primum ac summum Tolosana civitas sanctum Saturninum habere cœperat sacerdotem ». Hi ergo missi sunt: Turonicis, Gatianus episcopus; Arelatensibus, Trophimus episcopus; Narbonæ, Paulus episcopus; Tolosa, Saturninus episcopus; Parisiacis, Dionysius episcopus; Arvernis, Stremonius episcopus; Lemovicinis Martialis est destinatus episcopus. (Hist. Franc., L. I, C. XXVIII.)

Non seulement cette citation est inexacte à l'égard de la légende de saint Saturnin, d'où Grégoire de Tours dit l'avoir tirée : elle est encore inexacte par rapport à la véritable source où cet historien a puisé la mission simultanée des sept évêques. En effet, où Grégoire de Tours a-t-il trouvé que ces sept évêques sont venus ensemble et en même temps dans les Gaules? Est-ce dans une tradition orale ou écrite? Cette tradition, orale ou écrite, est-elle fondée ou ne l'estelle pas? Pour répondre à ces difficultés, l'embarras des grégoriens était visible. Bosquet, dans son Histoire ecclésiastique des Gaules, avait hasardé le premier cette explication : « Comme c'était une tradition que ces sept évêques étaient venus ensemble dans les Gaules, Grégoire, ignorant le temps précis de leur mission, et sachant d'ailleurs que l'époque du martyre de saint Saturnin était clairement indiquée dans ses Actes, écrivit qu'ils étaient venus tous ensemble sous l'empire de Dèce (1) ». Tillemont (2) et Baillet (3) avaient trouvé cette explication si plausible qu'ils l'avaient adoptée. Dom Ruinart (4) et les auteurs de l'Histoire du Languedoc pensaient que c'était sur une simple conjecture que Grégoire de Tours avait fait venir ces sept évêques dans le même temps écoutons dom Vaissette : « L'époque fixe de la mission de saint Saturnin de Toulouse, marquée dans ses Actes authentiques, l'aura peut-être déterminé (Grégoire de Tours) à lui joindre les anciens évêques des Gaules dont on avait alors la connaissance, mais dont peut-être il ignorait le temps précis où ils avaient vécu (5) ». On voit que l'expli

(1) Cum autem illos septem episcopos simul venisse in Gallias traderetur, certum missionis tempus ignorans Gregorius, Saturnini martyrium ex Actibus ejus compertum habens, jam sub illis consulibus fuisse scripsit. (Hist. Eccl. Gall., L. I, cap. ult.)

(2) Il y avait sans doute une tradition dans les églises de France que ces sept évêques y étaient venus à peu près en même temps. (Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, etc., T. IV, p. 442.)

(3) Il a suivi sans doute une tradition, qu'il y avait de son temps dans les Eglises de France, que ces sept évêques étaient venus ou ensemble ou assez près. ( Vies des Saints, in-folio, T. II, p. 396.)

(4) Acta S. Saturnini ejus in Gallias missionis tempus exhibent; sed nibil habent de cæteris hic recensitis, quorum in Gallias adventum alii aliis temporibus assignant. Gregorius tamen, qui eos putavit simul in Gallias accessisse, ex certa epocha quæ in Actis sancti Saturnini habetur, cæterorum etiam tempora deduxit. (RUINART, edit. Gregor. Turon., col. 23, L. I, G. XXVIII.)

(5) Histoire générale du Languedoc, in-folio, T. I, note XXX, p. 616.

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