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le dut à votre accord unanime: cette distinction lui vint, comme toutes celles que son mérite lui a attirées, sans qu'il les ait demandées ni recherchées; on les lui donnait parce qu'on sentait qu'il était bon qu'il les eût.

Sa dernière maladie fut longue et douloureuse; mais, comme il y a en réalité moins de maux pour ceux qui savent raisonner, il supporta les siens avec constance et résignation; et même il les dissimulait par tendresse pour ses enfants, qui le soignaient avec un zèle pieux, et cette profonde inquiétude qu'on s'applique à cacher aux malades à force de dévoûment et de calme ostensible. Chez M. Dumazeau l'esprit ne plia pas, le corps seul céda sous le poids des infirmités; mais, aussitôt qu'il eut reconnu que sa faiblesse allait devenir un insurmontable obstacle au plein exercice de ses fonctions de magistrat, il songea à se retirer de sa compagnie, et à demander un successeur. Le décret du 1er mars ne le surprit pas il s'y attendait; il l'attendit, et, bien loin d'en être affecté, il donna à cette mesure, en ce qui le concernait, une approbation sans réserve.

Les jours de l'homme sont comptés au moment fatal, nulle science, nulle force humaine ne peut retarder notre dernière heure. Pour les hommes vertueux, la vie est un combat sans relâche: car le travail toujours, le travail partout est le champ d'honneur où ils doivent vivre, le lit d'honneur où ils doivent mourir. Aussi M. Dumazeau, infatigable pionnier de la pensée, et vaincu du temps selon l'expression de Malherbe, mourut comme chacun doit souhaiter de mourir, plein de jours et de bonnes œuvres, en chrétien humble et sincère qui soumet les lumières de sa raison aux saintes obscurités de la foi.

NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR M. GRELLET-DUMAZEAU.

GRELLET-DUMAZEAU (Jean-Baptiste-Michel), conseiller à la cour d'appel de Limoges, chevalier de la Légion-d'Honneur et membre correspondant de l'Académie d'Archéologie de Belgique, était né à Aubusson le 10 juin 1777. Son père, avocat au parlement, occupait dans la province de la Marche un des premiers rangs parmi les jurisconsultes, et avait ce qu'on appelle au barreau la haute

consultation. Sous le gouvernement républicain et sous le régime impérial, il fut juge au tribunal civil de Guéret, puis président du tribunal d'Aubusson jusqu'à sa mort, en 1807.

Il est rare qu'on sache quelque chose d'utile à rapporter de l'enfance et de la première jeunesse d'un homme; et cependant on raisonne en général de ce temps inconnu pour le reste de la vie. M. Dumazeau, après avoir terminé d'une manière distinguée le cours des études ordinaires, s'appliqua avec ardeur aux mathématiques, et même à l'architecture, pour laquelle il conserva toute sa vie une singulière prédilection. Aussi ferons-nous remarquer ce trait caractéristique en lui, c'est que l'inclination la plus forte et la mieux marquée l'avait d'abord poussé, pendant sa jeunesse, vers les arts et les sciences exactes; mais, à l'âge de trente ans, lorqu'il devint magistrat, il montra tout de suite la maturité du savoir et l'ampleur de connaissances que ses fonctions comportaient.

Réquisitionnaire de l'an VI, il s'était vu obligé d'interrompre ses études de droit à Paris son parent le célèbre navigateur Bougainville le fit incorporer dans le 2 bataillon de la 4re demi-brigade des canonniers de marine en garnison à Brest. Il n'y servit que dix-huit mois, ou plutôt il compta sur les registres de ce corps sans y faire de service actif; car M. de Bougainville, en l'envoyant à Brest, l'avait confié à deux de ses amis, le général d'Oraison, commandant de la place, et le contre-amiral Terrasson, chef militaire du port ils lui firent obtenir, en l'an VIII, l'autorisation de se retirer en fournissant un remplaçant.

De retour à Paris, M. Dumazeau eut l'occasion et le bonheur de connaître M. Brial, ancien bénédictin de la congrégation de SaintMaur c'est dans sa conversation, et en suivant les conseils de ce savant antiquaire, qu'il prit le goût décisif des fortes études historiques, qui complètent si puissamment l'instruction des juristes; car la science des temps anciens, renfermant dans ses profondeurs les origines de toutes nos institutions nationales, tient à la science du droit moderne par des liens en quelque sorte maternels. A Brest, le spectacle du port, celui de la flotte et la société de quelques marins instruits avaient engagé M. Dumazeau plus avant dans l'étude des mathématiques : il chercha laborieusement à en faire une application aux machines de guerre; car, depuis la rupture du traité d'Amiens, les moyens de faciliter la guerre maritime étaient les préoccupations de tous les esprits. M. Dumazeau imagina un bateauplongeur destiné à servir aux reconnaissances des côtes méridionales de l'Angleterre. L'idée était heureuse, dit-on, le plan bien conçu

et bien calculé; il l'adressa à l'Institut; et le célèbre Gaspard Monge lui répondit, le 26 thermidor an XII, qu'il se réservait de présenter lui-même le rapport relatif à cette utile et ingénieuse invention.

Nommé juge au tribunal d'Aubusson le 14 janvier 1808, M. Dumazeau hérita sans interruption et tout naturellement de la haute confiance que son père avait inspirée à ses collègues, et s'attira promptement l'attention des chefs du parquet et de la cour d'appel de Limoges. En 1809, on lui attribua les fonctions de juge d'instruction i les a exercées pendant trente ans, et ne les a quittées que pour venir occuper un siége de conseiller à la cour royale de Limoges. Il mourut, dans cette ville, le 25 avril 1852.

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L'exactitude de M. Dumazeau, son habileté et son inaltérable droiture lui avaient donné, au tribunal d'Aubusson et à la cour de Limoges, une autorité dont peu de magistrats ont joui de leur vivant au même degré que lui: travailleur infatigable, il savait néanmoins se ménager des loisirs occupés, et avait toujours du temps de reste qu'il employait à ses études favorites. Docte, profond et érudit, il ne croyait pas que, à raison de ses graves qualités, il pût se dispenser d'être un homme aimable dans le commerce du monde. Conseiller municipal de la ville d'Aubusson, membre du conseil général de la Creuse, et l'un des membres fondateurs de la Société Archéologique et Historique du Limousin, il en remplissait les obligations avec la même régularité de travail, et cette exactitude et cette diligence qui ne sont pas seulement d'une valeur réelle, mais qui ont aussi le mérite d'une précieuse politesse.

Ce fut sur la proposition de M. Thiers, ministre de l'intérieur, et comme membre du conseil général de la Creuse, que M. Dumazeau reçut la croix de la Légion-d'Honneur le 10 janvier 1835. Il l'avait précédemment refusée des mains du garde des sceaux d'alors, M. Persil; car il croyait avoir à se plaindre de ce ministre à cause d'un passedroit commis à son préjudice dans l'ordre d'avancement de la magistrature.

M. Grellet-Dumazeau aimait la polémique des journaux par goût et par raisonnement; il estimait que, à une certaine époque, la presse quotidienne, sentinelle avancée de l'esprit public, était le meilleur moyen de propager les vérités utiles. « De cette manière, >> disait-il en s'appuyant sur l'autorité du général Lamarque, les » mêmes idées frappent simultanément tous les esprits elles y »germent, elles y grandissent, et forment à la fin cette opinion. » publique dont l'influence est immense dans un gouvernement

» constitutionnel, ou même dans une nation qui reconnait l'empire » des salons (1) ».

Aussi, dans l'intervalle de 1827 à 1835, il est peu de questions importantes qu'il n'ait traitées au moment où l'opinion publique les mettait à l'ordre du jour ; et beaucoup de ses articles ont eu l'honneur de soulever une rude controverse lorsqu'ils ont paru, soit à Paris, soit dans les journaux des départements.

M. Dumazeau a publié plusieurs brochures, les unes politiques, les autres de droit administratif et de droit civil:

1o Essai sur la Souveraineté, qui a eu pour contradicteurs les rédacteurs de la Gazette de France; et particulièrement le comte de Saint-Roman, pair de France (Paris, chez Paulin, 1834);

2o Du partage des Commmunaux dans le département de la Creuse (Aubusson, chez Bouyet, 1831);

3o Du Bail à métairie perpétuelle (Limoges, chez Ardillier); 40 Des phases de la Dot (Limoges, chez Ardillier, 1848).

Il a laissé en portefeuille un manuscrit très-précieux L'AideMémoire du président des cours d'assises. D'après l'opinion des magistrats qui l'ont lu attentivement, il est regrettable que la cour d'appel de Limoges n'en ait pas déjà provoqué l'impression.

Comme membre de la Société Archéologique et Historique, M. Dumazeau a fait insérer dans le Bulletin plusieurs mémoires fort curieux :

4° Sur la mort de Richard-Coeur-de-Lion;

2° Sur Waïffre, duc d'Aquitaine, et sur la lionne de l'église de St-Sauveur, à Limoges ;

3o De la Domination anglaise sur certaines provinces d'outre-Loire ; 4° Recherches historiques sur les idiomes vulgaires du moyen-âge dans les Gaules.

Saint-Léonard (Haute-Vienne), 29 juillet 1852,

Bon GAY DE VERNON.

(1) Mémoires du général Lamarque, T. II, page 128.

PAR M. FÉLIX DE VERNEILH (1).

Notre collègue et compatriote M. Félix de Verneilh vient de publier un de ces ouvrages qui font époque dans l'histoire de la science. Déjà un des maîtres, M. de Caumont, proclame que cette publication, la plus importante qui ait été faite depuis plusieurs années par son sujet et sa forme, est un évènement archéologique. Nous venons de relire ce travail considérable, dont nous connaissions déjà le progrès et les conclusions. Nous sera-t-il permis d'en signaler à l'avance les résultats?

S'il est une étude curieuse entre toutes, c'est certainement l'étude de la formation des langues. Un idiome national s'altère et se dissout lentement; par l'introduction d'éléments nouveaux, un nouveau langage se fixe peu à peu en s'épurant qui ne voit, à travers cette dissolution, le travail de la formation d'une société nouvelle? Mais, si la philologie possède en ces matières des données positives, trop souvent elle se meut dans un demi-jour qui lui permet de se payer de vraisemblances, et restreint ses conclusions à de simples probabilités.

Le langage scientifique a plus de précision. Formé le plus souvent à priori par les maîtres, il reste, en dernier lieu, plein d'exactitude. Tout le monde peut en suivre les changements, et chaque modification est un progrès. M. F. de Verneilh aura ce bonheur : il va fixer le sens du mot byzantin appliqué à l'architecture. Quelques mots d'explication deviennent nécessaires.

L'histoire de l'art, de ses formes et de ses procédés est demeurée long-temps sans écrivain. Les époques qui produisent n'écrivent guère. Chose étrange en ce sujet! tous les auteurs, y compris le moine Théophile, sont arrivés à une époque de transition, et partant d'incertitude. A la renaissance, en ce temps où l'art italien fit invasion en France, le dédain de notre art national faisait fermer les yeux sur ses beautés originales. D'un seul mot tout l'art intermédiaire entre l'empire romain et le milieu du XVIe siècle se trouva proscrit. On nommait gothiques, au xv siècle et avant, tous les

(1) Un volume in-4° de 320 pages, orné de 22 magnifiques gravures, à Paris, chez V. Didron, librairie, rue Haute-Feuille, 13.

Cet article a été lu le 19 juillet à la séance de la Société Archéologique.

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