Page images
PDF
EPUB

manière de protester contre l'injuste mesure qui menaçait de briser sa carrière.

1794.

On sentit promptement le besoin de ses services, et, le 15 avril 1794, Jourdan commandait l'armée de la Moselle, et battait le corps. autrichien du général Beaulieu en avant d'Arlon. De cette position l'armée de la Moselle menaçait, d'un côté, l'électorat de Trèves et le Luxembourg; de l'autre, le pays de Liége et le Brabant. Jourdan pouvait, selon les besoins et les circonstances, secourir l'armée du Rhin ou celle du Nord, qui avait sa droite dans les Ardennes. Il était évident que les coups décisifs de la campagne se porteraient en Flandre et sur la Sambre, parce que les coalisés occupaient sur ce point une partie de notre territoire, et qu'ils y concentraient la masse de leurs troupes. Le 24 mai, Jourdan laissa le général René Moreaux (1) à la tête des trois divisions cantonnées entre Longwy et Kaiserslautern, et, quittant les environs d'Arlon avec cinquante mille hommes, se dirigea vers la Sambre. Le 3 juin, il rejoignait la droite de l'armée du Nord, qui, battue et repoussée pour la troisième fois derrière la Sambre, venait de lever le siége de Charleroi, et payait bien chèrement la fatale présomption et la barbare ignorance des représentants du peuple Lebas et Saint-Just. Les troupes, rassemblées au nombre de quatre-vingt mille hommes, devinrent l'armée de Sambre-et-Meuse depuis la célèbre campagne de Malplaquet, la France n'avait pas mis en ligne sur le même point des forces si redoutables. L'éclat qu'a jeté l'armée de Sambre-et-Meuse, son patriotisme, son désintéressement, sa patience dans les travaux, sa constance dans les revers, la grandeur et l'utilité de ses conquêtes, tous ces services rendus, toutes ces vertus communes au général en chef et aux soldats, les ont unis à jamais dans la mémoire des hommes; et Jourdan demeurera, pour la postérité, le type et le chef de cette famille militaire dont les membres les plus illustres ont été Kléber, Marceau, Championnet, Bernadotte, Grenier, Lefèvre, d'Hautpoul.

Après sa jonction avec l'armée des Ardennes, Jourdan se crut, non sans raison, assez fort pour repasser la Sambre il parvint à chasser les Autrichiens de tous leurs postes sur la gauche de cette rivière, et fit reprendre les travaux du siége autour de Charleroi. L'armée placée en observation occupait, en avant de la place, une

(1) L'orthographe seule du nom de ce général indique qu'il ne s'agit pas ici du célèbre vainqueur d'Hohenlinden.

position demi-circulaire, les ailes à la Sambre, et le centre dans la plaine de Ransart.

Le siége de Charleroi commença sous la direction du célèbre ingénieur Marescot. La place, poussée avec vigueur, capitula, le 25 juin, sans que le commandant eût pu en informer le prince de Cobourg, qui arrivait en hâte pour la secourir. La mémorable bataille de Fleurus fut livrée et gagnée le 26 juin indécise sur le terrain même de l'action, elle devint décisive le lendemain par la promptitude et la hardiesse que mit Jourdan à profiter du premier mouvement rétrograde du prince de Cobourg; elle a déterminé une suite continue de succès pour nous, de revers accablants pour les coalisés; revers qui ont prouvé le peu d'accord de leurs opérations et la divergence de leurs intérêts politiques. La victoire de Fleurus et le mouvement de concentration des armées du Nord et de Sambre-etMeuse obligèrent l'ennemi à évacuer notre territoire; et la jonction de nos deux armées s'opéra, le 10 juillet, à Bruxelles. La retraite des Anglo-Hollandais découvrait Landrecies, Le Quesnoy, Valenciennes et Condé. Le comité de Salut-Public décida qu'on reprendrait immédiatement ces places. L'armée de Sambre-et-Meuse et Marescot furent chargés de ces quatre siéges (1).

Le 16 juillet, Jourdan, avec ses divisions de gauche, battait les Autrichiens sur la position de la Montagne-de-Fer, en avant de Louvain; le même jour, sa droite s'emparait de la ville et de la citadelle de Namur; le 27, elle occupait Tongres, Liége, et menaçait les communications des impériaux, qui repassèrent à la rive droite de la Meuse.

L'armée autrichienne changea de chef: Clerfayt succéda au prince de Cobourg. Le nouveau général avait établi derrière l'Ourthe et l'Aiwaille le corps du comte de Latour, la droite dans le camp retranché de La Chartreuse, et la gauche sur les hauteurs de Sprimont. Jourdan, pour reprendre l'offensive, n'attendait que la reddition des places assiégées dans la Flandre et l'arrivée des troupes que lui menait Schérer. Le 48 septembre, il fit franchir l'Ourthe et l'Aiwaille à quatre divisions, qui enlevèrent la position de Sprimont.

Ce combat, conduit avec audace et précision, força Clerfayt à quitter la ligne de l'Ourthe et les positions de la Meuse; il se replia sur Aix-la-Chapelle, et concentra son armée derrière la Roër, sous le canon de Juliers.

(1) Ces places capitulérent Landrecies, le 16 juillet; Le Quesnoy, Valenciennes et Condé, les 16, 26 et 27 août.

Jourdan ne devait pas songer à la conquête de Maestricht tant que Clerfayt se tiendrait à portée de secourir cette forteresse : le 2 octobre, l'armée de Sambre-et-Meuse, réunie pour la première fois au nombre de cent mille combattants, remporte la victoire d'Aldenhoven, qui, selon nous, est le plus beau fleuron de la couronne militaire de Jourdan. Le lendemain, Juliers se rend à discrétion; le 6, l'armée entre à Cologne; le 40, à Bonn; le 23, la droite de l'armée occupe Coblentz; enfin, le 4 novembre, après treize jours seulement de tranchée ouverte, Maëstricht ouvre ses portes. Il ne resta aux coalisés, sur la rive gauche du Rhin, que Mayence et Luxembourg.

Cette campagne, heureuse sur tous nos points d'attaque, nous a valu les plus utiles acquisitions de territoire. L'armée de Sambre-etMeuse nous a donné, pour sa part, les provinces rhénanes comprises entre la Meuse et la Moselle, magnifique joyau que l'Europe coalisée et victorieuse en 1814 a détaché de la ceinture militaire de la France. Au début de la guerre, nos vaillants conscrits avaient marché sur les champs de bataille plutôt en martyrs qu'en soldats contre les troupes les plus solides et les plus manœuvrières; mais trente mois s'étaient écoulés à peine que soldats, sous-officiers, chefs de corps et généraux avaient atteint le plus haut degré d'instruction: grâce à eux et à leurs excellentes traditions guerrières, la révolution frat çaise a pu être une longue victoire de dix-huit années.

1795.

L'armée de Sambre-et-Meuse, composée de quatre-vingt-deux mille hommes, était cantonnée ou campée sur la rive gauche du Rhin depuis Bingen jusqu'au-dessous de Dusseldorf. En face d'elle, de l'autre côté du fleuve, Clerfayt lui opposait ses quatre-vingtseize mille impériaux. Le 7 septembre, Jourdan passa le Rhin: ses instructions étaient d'obliger l'ennemi à évacuer le duché de Berg et la partie de la Vétéravie située entre le Mein, le Rhin et la ligne de neutralité que garantissait un cordon de troupes prussiennes. En conséquence il s'avança sur le Mein, et prit position entre Hoechst et Cassel. Par ce mouvement, l'armée couvrait le siége d'Ehrenbreistein, confié à Marceau, et complétait, sur la rive droite du Rhin, l'investissement de Mayence, bloquée de l'autre côté du fleuve par quatre divisions de l'armée de Rhin-et-Moselle. Le 11 octobre, Clerfayt, ayant traversé le Mein au-dessus de Franc!ort sans rencontrer la moindre opposition de la part du général prussien qui commandait le territoire neutralisé, marcha sur Bergen.

Jourdan se porta à sa rencontre. Le lendemain, il y eut, sur la Nidda, un très-vif engagement entre les troupes légères des deux partis les Autrichiens manœuvraient pour déborder notre gauche, s'emparer de nos communications, et nous couper du Rhin. Une affaire générale n'était pas acceptable dans la position très-resserrée de Jourdan il se mit donc en retraite, et, le 20 octobre, reprit ses anciens cantonnements sur la gauche du fleuve.

Cette retraite a été amèrement critiquée par les écrivains français et allemands voici de quelle manière la jugeait Kléber sur les lieux mêmes où elle se passait. Il écrivait à son ami le général Etienne Damas (1):

« J'imagine bien que le tableau de notre retraite n'a pas été » présenté sous un coloris brillant rien au contraire n'a dû être » négligé pour le noircir; d'ailleurs ceux qui regardaient notre >> passage du Rhin comme une opération ordinaire ne pouvaient >> raconter différemment une retraite qui n'est autre chose qu'une >> manœuvre dictée par les circonstances et l'impérieuse nécessité » de quitter un pays dont les ressources sont entièrement épuisées.

>> Tu connais les motifs qui nous ont fait abandonner les bords » du Mein la famine seule, qui nous poursuit partout, nous a fait >> quitter ceux de la Lahn. Tu peux dire aux prôneurs des succès » de nos ennemis que la supériorité des armes est toujours restée de »> notre côté figure-toi dans quel état d'accablement devait être » une armée arrivant en colonnes pour passer un pont qu'elle voit >> brûler et submerger par deux cents bateaux marchands embrasés, >> qui arrivaient avec rapidité par dix, quinze ou vingt amarrés >> ensemble, coupant les cordages et entraînant avec eux les ponts. » Cet effrayant spectacle était imposant on eût dit le Rhin tout en » feu. Eh bien! malgré tout cela, l'ennemi, encore tremblant de la » défaite de la veille, attendait avec la même impatience que nos » soldats le rétablissement du pont pour arriver sur les bords du >> Rhin sans engager d'affaire. Tandis qu'on rassemblait les débris » des deux ponts pour en établir un, je rangeais les troupes (2) en » bataille, les disposant au combat par une harangue qui ne leur >> laissait pas ignorer leur position; mais l'ennemi, qui n'avançait » qu'en tâtonnant, resta caché dans les gorges jusqu'à ce que nous >> recommençâmes notre retraite....... Sans doute on exagère

(1) Lettres au général Etienne Damas (24 octobre et 23 novembre 1795). (2) Les trois divisions de Championnet, de Bernadotte et de Poncet.

>> beaucoup la perte de nos équipages et caissons, quoiqu'elle soit >> peu considérable : nous n'avons pas eu la honte d'en voir enlever » un seul par la force des armes nous en avons perdu quelques» uns faute d'attelages ou par la défaillance des chevaux. Nous, au >> contraire, avons enlevé de vive force plusieurs pièces d'artillerie >> avec leurs caissons à l'ennemi tu vois toujours de notre côté le » courage sans moyens de faire la guerre; et, de l'autre, les moyens » sans courage. L'ennemi ne peut donc pas se targuer de nos pas ré» trogades..... Si nous avions seulement pour douze jours de subsi» stances assurées pour les hommes et les chevaux, nous mènerions >> encore loin M. le maréchal comte de Clerfayt. »

Clerfayt, poursuivant l'offensive, attaqua les lignes de Mayence, les força pendant la journée du 29 octobre, et, le lendemain, rejeta derrière la Pfrim l'armée qui les avait défendues. Jourdan accourut de Coblentz sur la Nahe; mais, tandis qu'il faisait ses préparatifs pour traverser cette rivière, il apprit la reddition de Manheim, la perte de la bataille de la Pfrim par Pichegru, et la retraite de l'armée du Rhin-et-Moselle derrière la Queich.

Il aurait été trop dangereux pour l'armée de Sambre-et-Meuse de s'aventurer au-delà de la Nahe; d'ailleurs Jourdan avait la défense formelle de livrer une bataille sur la rive gauche du Rhin : il se replia derrière la Moselle. Le 24 décembre, Clerfayt proposa un armistice, que nos généraux s'empressèrent d'accepter, car les troupes étaient épuisées par les privations de tout genre. Le cabinet de Vienne, mécontent de Clerfayt, le rappela. L'archiduc Charles reçut le commandement des armées impériales: c'était son début dans la carrière de général en chef qu'il a parcourue si glorieu

sement.

1796.

L'armée autrichienne du Bas-Rhin faisait face à l'armée de Sambre-et-Meuse, et lui était de beaucoup supérieure, surtout en cavalerie. Le 1er juin, Jourdan fit déboucher par la tête du pont de Dusseldorf son avant-garde et sa gauche sous les ordres de Kléber. Le 4 juin, ce général battit si complètement, à Altenkirchen, le corps autrichien du prince de Wurtemberg, que l'archiduc abandonna ses positions de la Nahe, et se retira par Mayence pour venir défendre le passage de la Lahn. Son mouvement rétrograde dégagea notre centre, qui franchit le Rhin à Neuwied, et se réunit, le 5 juin, au corps de Kléber. L'armée, forte de quarante-cinq mille hommes, prit position sur le Lahn, sa droite au Rhin, et sa gauche à

« PreviousContinue »