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gouvernement fut transporté dans le conseil privé du souverain, qui délibérait sur toutes les affaires politiques; ce pouvoir d'antichambre devint bientôt un foyer d'intrigues, dans lequel les caprices d'une courtisane ou d'un affranchi, d'une Agrippine, d'un Narcisse ou d'un Pallas, rendaient des décisions sur les questions les plus graves de l'Etat.

Le même système de despotisme qui pesait sur les magistrats de Rome, s'exerçait également à l'égard des fonctionnaires des provinces. Les dispositions principales du droit public des Romains manifestent l'attention des empereurs à soumettre toutes les volontés, en particulier celles des magistrats, à la volonté suprême du souverain. Auguste, averti par l'exemple de César, ne voulait pas que son gouvernement pût être mis en question par la rivalité d'un agent subalterne trop puissant; dans ce but, il réduisit les pouvoirs des gouverneurs des provinces, afin d'être assuré de leur subordination et de leur dépendance complètes. Ses règlements montrent un soin extrême pour limiter l'influence des fonctionnaires dans les provinces dont ils avaient l'administration.

Cependant, malgré les restrictions apportées à leur autorité, les pouvoirs des gouverneurs étaient encore très-étendus: ils étaient à la fois magistrats civils et magistrats criminels, juges de première instance et d'appel. Toutes les branches de juridiction, divisées à Rome entre les consuls, les préfets du prétoire, les préteurs et les autres magistrats, étaient concentrées dans la personne du gouverneur. Comme contrepoids à des pouvoirs aussi grands, les empereurs avaient gardé pour eux la nomination et la révocation des gouverneurs de province; et comme ils ne désignaient pour cette charge que leurs créatures dévouées, qu'ils tenaient constamment sous le coup d'une révocation, ils étaient assurés de leur fidélité.

L'administration des finances occupe une place très-importante pendant la période actuelle. A côté de l'ancien trésor

public, ærarium, destiné à subvenir aux dépenses du gouvernement, Auguste créa le trésor militaire qui s'appela le fisc, fiscus (1). Les fonds de ce trésor impérial étaient laissés à la disposition du monarque, tandis que l'administration du trésor public appartenait, pour la forme du moins, au sénat. Les revenus de chacune de ces caisses étaient perçus, non plus, comme autrefois, par des questeurs, mais par des préfets, qui, dans les provinces, s'appelaient procurateurs de César; outre la fonction de percevoir les impôts, ils devaient encore pourvoir aux dépenses publiques; cette charge, peu importante à l'époque de sa création, devint plus tard très-considérable, par le cumul des fonctions de procurateur et de gouverneur, qui donna à cés magistrats les attributions de proconsuls; on voit un exemple de ces doubles fonctions, confiées au même magistrat, dans la personne de Ponce-Pilate, en Judée. Dans la suite, le trésor public fut absorbé dans le trésor impérial; mais la séparation se maintint longtemps encore.

Quant aux sources des revenus, il fallut recourir à la création de nouveaux impôts pour les alimenter et les rendre plus fécondes; deux causes nécessitèrent les mesures qu'on dut prendre d'un côté la suppression des anciens impôts accordée pour Rome et l'Italie, à la fin de la période précédente, et sur laquelle les empereurs ne crurent pas devoir revenir explicitement; de l'autre, les prodigalités de la cour, et les distributions abondantes faites régulièrement au peuple; telles étaient les deux plaies qui menaçaient de ruine le trésor public. Pour combler le déficit, on remania complétement le système de l'impôt, en ayant soin de soumettre aux charges nouvelles Rome et l'Italie, comme le reste de l'empire. Les impôts furent tellement multipliés, que tout était sujet au tribut : « Il n'existe rien, ni parmi les hommes, ni parmi les choses,

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(1) Il y a sur ce sujet plusieurs questions controversées. Comparez Dion-Cassius, LV, 25, avec Pline, Paneg. 36, 37, et voy. Holtius, Hist. jur. Rom., pag. 262 et 265.

» disait à ce sujet Suétone, qui n'ait été imposé et soumis » au tribut (1). » On doit cependant signaler quelques améliorations introduites par le gouvernement impérial, dans la perception des revenus publics d'abord, qui fut plus régulière que sous le régime précédent, et ensuite dans la vigilante sollicitude qu'apportèrent en général les empereurs pour réprimer les exactions dont les gouverneurs avaient donné si souvent le scandale.

Si l'on veut avoir quelque idée du système financier établi par les empereurs, on peut consulter la table de l'ouvrage de Boulanger, qui donne une idée approximative de la multiplicité effrayante des impôts; on en compte jusqu'à trente-sept sortes, parmi lesquelles on peut remarquer une taxe sur les apprentissages; une autre du quarantième sur les procès; la plus exorbitante est celle qui assujettit jusqu'à l'ombrage des arbres à une contribution (2).

Avec une masse pareille d'impôts et un mauvais système d'économie politique, il est facile de juger de l'épuisement auquel fut réduit l'empire romain, après plusieurs siècles d'existence. Ce mauvais état des finances s'aggrava encore par la situation politique dans laquelle se trouva bientôt après l'empire. Quand de toutes parts se montrèrent sur les frontières les barbares du Nord, le gouvernement dut pourvoir à la défense des provinces, au prix des sacrifices les plus multipliés et les plus onéreux. Mais ensuite, ces sacrifices n'ayant pas été suffisants, et les aigles romaines ayant été humiliées par les hordes envahissantes, les empereurs furent contraints, à diverses reprises, d'acheter, au poids de l'or, une paix honteuse et surtout ruineuse pour l'empire. Or, l'impossibilité pour les citoyens de soutenir les charges écrasantes qu'on leur imposait, et, par suite, l'appauvrissement du trésor public, telle

(1) Nullo rerum aut hominum genere omisso cui non tributi aliquid imponeret. Sueton. in Caligul. 40, et alibi.

(2) Boulanger, De vectigali fumi, umbræ et aeris, cap. XVII.

est la principale cause de décadence du gouvernement impérial; il faut en tenir compte si l'on veut connaître les circonstances qui hâtèrent la désorganisation et la dissolution de cet empire romain, si florissant sous Auguste, et qui fut entraîné si rapidement à sa ruine, sous ses successeurs.

Telle était la situation de la société romaine au point de vue du droit public, quand le Christianisme fut annoncé au monde; l'âge de la force avait disparu pour faire place à l'âge de la vieillesse et de la décrépitude; la décadence faisait chaque jour de rapides progrès; elle atteignait les institutions civiles et politiques, les sciences et les arts; et comme nous venons de le dire, on ne tarda pas à voir apparaître vers les frontières les peuples du Nord, qui se préparaient à fondre sur les provinces comme sur une proie offerte à leurs convoitises; c'est dans ces circonstances que la nouvelle religion jeta les fondements de l'édifice qui devait abriter les générations et sauver le monde.

SECTION II.

INFLUENCE GÉNÉRALE DES PRINCIPES DU CHRISTIANISME SUR LE DROIT PUBLIC.

L'influence des maximes de l'Evangile sur les institutions, et sur le droit public en particulier, ne pouvait être dans le début de sa prédication que fort indirecte et peu sensible; et cela se conçoit facilement, puisque le Christianisme avait à traverser son époque militante, et à combattre chaque jour pour son existence incessamment menacée par ses ennemis. Cependant l'ensemble des doctrines qu'il enseignait et des préceptes que ses disciples mettaient en pratique, renfermait les principes salutaires qui allaient régénérer la société et servir de base à l'organisation politique et sociale des peuples

modernes. Jésus-Christ n'était pas venu pour réformer l'ordre politique, et l'Evangile n'a pas été promulgué pour servir de code de droit public; néanmoins, comme sa morale a pour objet de rendre l'homme meilleur, plus soumis à ses devoirs, plus dévoué à ses semblables, il en résulte qu'en réformant la société au point de vue religieux, elle arrive indirectement à une réforme politique et sociale d'autant plus certaine qu'elle a sa base dans la conscience, et qu'elle s'appuie sur la plus puissante de toutes les idées, sur l'idée religieuse. Cette simple considération fait pressentir le rôle important que le Christianisme était appelé à remplir, le jour où son triomphe lui permettrait d'exercer une action plus prépondérante sur la société.

En attendant ce jour, il travaillait indirectement à réformer le droit public, en proclamant ces doctrines humanitaires qui tendaient à changer l'ancienne condition des différents membres de la société, et à rétablir l'unité à la place de la division, le droit à la place du fait. Autrefois l'humanité avait été divisée en deux classes; parmi les hommes, les uns étaient libres et les autres esclaves; aux premiers appartenaient tous les priviléges, aux autres toutes les charges; et encore, parmi les hommes libres, il y avait un grand nombre de catégories, déterminées par la différence des droits assignés à chaque citoyen. Toutes ces inégalités, condamnées par la loi nouvelle, devaient disparaître par la force même des principes que proclamait cette loi. Des hommes, dont l'origine était commune, qui étaient appelés à la possession des mêmes avantages, et qui entrevoyaient dans l'avenir des destinées semblables, ne pouvaient plus être gouvernés par ce droit rigoureux qui prétendait maintenir des distinctions arbitraires. Le Christianisme s'inquiétait peu d'établir le droit public moderne sur des textes consignés dans un code; pour proclamer les droits imprescriptibles de l'homme, que la société ancienne avait voulu nier, mais qu'elle n'avait pu étouffer, il lui suffisait de prêcher

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